Ce 8 janvier à Pékin, Xi Jinping prononçait un important discours, qui mérite d'entrer dans les annales. Le lendemain, l'officiel Quotidien du Peuple en date du 9 janvier le reproduisait en place de choix. Chef de l'État, il s'exprimait dans le cadre d'une session plénière de la 20e Commission centrale de contrôle de la discipline du Parti. Il était flanqué en la circonstance des membres du Comité permanent c'est-à-dire de la petite instance, théoriquement collégiale, exclusivement masculine, qui dirige en fait le pays : soit Li Qiang, premier ministre depuis mars 2023, Zhao Leji, Cai Qi et Ding Xuexiang, ainsi que de l'inévitable Wang Huning. Cet idéologue, marxiste intransigeant et défenseur du régime politique autoritaire, entré en 2017 en tant que numéro 4 du Comité permanent, a rédigé les discours des dirigeants successifs du pays depuis 30 ans. Il était déjà l'inventeur des Trois représentations de Jiang Zemin en 1993. Il fut aussi le concepteur du Rêve chinois slogan de Xi Jinping en 2011.
C'est dans un tel contexte que le dictateur a cru bon de revenir lourdement sur un propos qu'il avance régulièrement depuis 2012, sans beaucoup de succès visiblement : la lutte contre la corruption.
Le phénomène est extrêmement puissant dans un pays et dans une société où le gros argent joue un rôle considérable.
La presse internationale s'attache à comptabiliser le nombre des milliardaires, y voyant sans doute, depuis l'époque de Deng Xiaoping l'annonce d'une démocratisation qui ne vient toujours pas, plus de 25 ans après la disparition, en 1997, du Petit Timonier. L'Américain Forbes rivalise, sur ce terrain, avec le média anglo-chinois Hurun, la seule divergence portant sur la définition des ultra-riches. Forbes compte en milliards de dollars, Hurun place le seuil des grosses fortunes à 5 milliards de yuans, soit environ 685 millions de dollars. Au total en mars 2023 on comptait 495 milliardaires en Chine, en recul de plus de 10 % par rapport à 2022, et un effondrement par rapport à 2021, où, malgré le COVID, Pékin avait atteint le nombre record de 992 ultra-riches.
Depuis lors en effet, en novembre 2022, Hurun publiait un classement recensant 1 305 personnes en Chine disposant d'une fortune estimée à au moins 5 milliards de yuans, cette population se comptant en recul de 11 % sur un an. Leur fortune cumulée avoisine les 3 500 milliards de dollars. Elle se trouve en baisse elle-même de 18 %. Il s'agissait alors de la plus forte chute en 24 ans.
Tout cela n'a donc rien à voir avec une démocratisation ou une libéralisation politique : cela reflète surtout les difficultés de la conjoncture. En particulier la catastrophe gigantesque du secteur immobilier a vu reculer Xu Jiayin, patron d'Evergrande quitter le classement des 100 plus riches, rétrogradé à la 172e place alors que son entreprise croulait sous une dette de 300 milliards de dollars.
Parallèlement on a beaucoup parlé des difficultés politiques de Jack Ma, fondateur d'Alibaba, dégringolant économiquement, après des paroles critiques, de la 5e à la 9e place après avoir perdu 29 % de sa fortune.
Au contraire, c'est un industriel proche du pouvoir tel que Zhong Shanshan, qui a fait sa fortune dans l’eau minérale et les tests Covid-19, qui est désormais considéré comme l'homme le plus riche de Chine, tout en demeurant dans les limites politiques fixées par le parti communiste.
Car, dans ce pays et dans ce système l'entreprenariat dépend à tout moment du coup de tampon positif d'un bureaucrate ou, au contraire, d'une exaction des organes répressifs du régime.
Le processus est admirablement décrit dans le livre de 268 pages publié en 2022 par Desmond Shum sous le titre "La roulette chinoise" sous-titre : Révélations d'un milliardaire rouge, Argent, pouvoir, corruption et vengeance dans la Chine d'aujourd'hui. Le couple de l'auteur et de son ex épouse Whitney Weihong, semblait extrêmement puissant dans la Chine des années 1990 et 2000. Il était lié au premier ministre Wen Jiabao. Celui-ci après avoir été vice-premier ministre de 1998 à 2003, dirigea même le gouvernement "Conseil des affaires de l'État" pendant les 10 années qui suivirent jusqu'à l'arrivée de Xi en 2012-2013.
Récit bien réel de l'ascension puis de la chute spectaculaire le livre commence tandis que Whitney avait disparu, on ne sait comment, depuis 4 ans. Elle ne se manifestera qu'au moment de la publication pour tenter de l'entraver, le régime communiste exerçant un chantage autour de leur fils.
Le 26 octobre 2012, c'est le New York Times qui lançait un livre The Wen Family Empire, révélant que Wen Jiabao avait accumulé une fortune de 2,7 milliards de dollars. Le 13 novembre 2013 le même journal publiait un article encore plus compromettant sur les liens de JPMorgan et de la famille Wen. Au total on apprit que cette famille possédait des intérêts diversifiés dans des banques, des bijouteries, des stations touristiques, des compagnies de télécommunication et des projets d’infrastructure, en recourant parfois à des entités extraterritoriales...
Grandement facilitée par le New York Times, cette dénonciation du clan Wen permit alors, en 2012-2013 l'ascension de son rival, le camarade Xi grand pourfendeur du phénomène.
On doit se demander toutefois comment Xi Jinping ce militant communiste, fils d'un compagnon de Mao, envoyé aux champs pendant la révolution culturelle, aujourd'hui rémunéré modestement, au tarif de la fonction publique chinoise, à hauteur de 22 500 dollars par an, soit moins de 2 000 euros par mois a pu épargner et accumuler une fortune estimée à 1,5 milliards de dollars...
JG Malliarakis
https://www.insolent.fr/2024/01/lempire-de-la-corruption-communiste.html