Marc Baudriller sur B Voltaire
Ce 10 janvier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, accompagné du nouveau Premier ministre Gabriel Attal, a visité le commissariat de police d’Ermont-Eaubonne (Val-d'Oise). Objectif officiel : échanger avec les agents des forces de l’ordre, devant les caméras… La com' d’abord, dans la droite ligne du macronisme. Il s’agit de montrer aux électeurs de droite, de Reconquête, du RN et de LR, que le pouvoir prend le dossier en main. Enfin ! Que Darmanin et Attal s’entendent comme larrons. Qu’avec Darmanin, ça bardait, mais qu'avec Attal et Darmanin, le délinquant n’a plus qu’à bien se tenir. Et à raser les murs. On y croit !
En réalité, la pression sécuritaire qui ne cesse de monter dans la population bouscule le pouvoir. Il fallait d’urgence conforter Darmanin, qui n’a pas fait mystère qu’il n’était pas le plus fervent supporter de Gabriel Attal. Comme son ami Bruno Le Maire, Darmanin a pris comme une gifle la nomination de ce bambin gâté et inexpérimenté. La vertu des images transporte les sombres luttes d’influence gouvernementales en promenade au pays de Candi. Mais le pèlerinage à Eaubonne vise surtout, bien sûr, à mettre les premiers gestes de l’hôte de Matignon dans le sens de l'obsession présidentielle : reprendre des voix au RN, résister à la pression, éviter une déroute honteuse.
Sarkozy remixé 2024
Sur place, le Premier ministre tout neuf use des ficelles qui lui ont valu ce poste prestigieux : tenir un discours de droite avec conviction et laisser croire qu’il fera le travail. Du Sarkozy remixé 2024. Cela donne ces mots, prononcés devant le commissariat : « Partout en France vivent des Français qui aspirent à l’ordre et à la tranquillité, martèle Attal. Des Français qui travaillent, qui ne manquent jamais à leurs responsabilité […] Il n’y a pas d’ordre républicain sans notre police. » Depuis 2017, l’irréprochable Gérald Darmanin a accru de 14.000 les effectifs des forces de sécurité, rappelle le bon monsieur Attal. Et vous vous plaignez ? « Quand on parle de sécurité, quand on parle d’ordre, ce sont les forces de police qui sont en première ligne, mais c’est toute la société qui doit être mobilisée. » À deux doigts de plaider pour l’autodéfense (horresco referens), le Premier ministre cite le travail à faire dans les familles, les écoles (mais quel travail ?). Et ose ce saut incroyable dans la réalité : « Je crois que les Français sont dans l’attente que nous poursuivions cet effort absolu pour leur sécurité qui est une des conditions pour leur liberté et l’exercice de la fraternité dans notre pays. » La sécurité, condition de la liberté ? Dans la bouche d’un macroniste ? On se pince. L’aspirateur à bulletins RN est lancé à pleine puissance.
Bilan sécuritaire, le désastre
On y croirait presque si… le bilan sécuritaire du gouvernement ne venait de tomber. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il trouble un peu la fête promise par le duo, nouvelle terreur des banlieues. Selon le dernier bulletin produit par le Service statistique de la sécurité intérieure, daté de janvier 2024, « la plupart des indicateurs conjoncturels des crimes et délits enregistrent des hausses en décembre 2023 ». Tant pis pour le bilan de Darmanin et ses cris de victoire au lendemain du réveillon. « En décembre 2023, les violences sexuelles, les coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus, le nombre de mis en cause pour usage de stupéfiants et les escroqueries se situent à des niveaux bien supérieurs à ceux d’avant le premier confinement de 2020. Sur le dernier trimestre (octobre à décembre), la plupart des indicateurs sont en hausse par rapport au trimestre précédent », poursuit sans pitié l’organisme public. Parmi ces indicateurs, les homicides passent de 64, en septembre 2023, à 93, en octobre, pour atteindre 95, en décembre... Depuis 2017, les coups et blessures sont passés de 15.000, en décembre 2017, à plus de 30.000, le mois dernier, les violences sexuelles de 3.000 à 8.000 sur la même période, les escroqueries de 27.000 à 42.000. Seuls les vols de toutes sortes n’ont pas explosé et ont même parfois baissé (notamment les vols violents sans armes). « Chacun a vu que je n'ai pas terminé ma mission », dit Darmanin. Commentaire assassin d'Éric Zemmour sur X : « Chacun a vu que Darmanin n'avait pas commencé sa mission. » Darmanin reste donc en poste. Pour le politologue Arnaud Benedetti, « le bilan de Darmanin est perçu par une grande partie de la population comme loin d’être à la hauteur des paroles et de la communication du ministre, explique-t-il à BV. Mais il a malgré tout réussi à incarner la fonction. Il ne suffit pas d’être un techno comme le préfet Nuñez pour incarner la fonction. » Le président de la République, qui a bien peu de solutions de rechange et qui n’est pas pressé de se faire un ennemi politique de plus, a levé le pouce et sauvé la tête de son ministre, en dépit de son bilan.
Qu’importe ce bilan ! Que pèse le sort de la France et des Français dans les calculs politiciens d’Emmanuel Macron ? Y a-t-il songé un instant en expédiant Attal à Matignon ? « C’est une nomination express opérée pour l’image et pour faire campagne contre le RN, confirme Arnaud Benedetti à BV. Il ne faut pas que le RN soit trop loin devant les macronistes lors des européennes. » Darmanin et Attal usent bien de la même boussole, celle des démagogues dont l’aiguille indique la popularité... mais perd le nord.