Les dernières années ont été du pain bénit pour pour le courant alarmiste. Gros coups de chaud et sécheresses ont planté un décor idéal pour annoncer des malheurs. En 2020 une étude affirmait que le double épisode de sécheresse 1028 et 2019 était unique depuis 250 ans (image 1 : 2019).
1303
Ainsi, selon Geo :
« Utilisant des données remontant jusqu’en 1766, l’étude publiée jeudi dans la revue Scientific Reports "montre que les sécheresses de deux étés consécutifs en 2018 et 2019 sont sans précédent depuis 250 ans… »
En 2021, rebelote : une étude affirmait que les récentes sécheresses depuis 2015 et surtout 2019 étaient les plus sévères des deux derniers millénaires.
Il est vrai qu’en Europe, surtout de l’ouest, la pluviométrie s’est affaiblie depuis deux ou trois décennies.
Mais depuis 2 000 ans ? Voyons cela. SudOuest a rappelé quelques sécheresses du Moyen-Âge et ultérieures.
« C’est en 1303, au Moyen Âge, que la France a connu la sécheresse la plus importante du millénaire. “En Alsace, on voyait les raisins mûrs à la Saint-Jean [24 juin]… Le Rhin était assez bas entre Strasbourg et Bâle pour qu’en beaucoup d’endroits, on pût le traverser à pied”. Ce sera de nouveau le cas en 1882. »
Il y eut 1540, année d’une méga-sécheresse (voir en fin de note).
Puis 1719 :
« Plus terrible encore est 1719 : dans l’Est, « la terre desséchée est comme de la cendre et les grains brûlent sur pied « et dans le Centre, « pas de pluie du 25 mars au 1er novembre, sauf un orage le 24 juillet. »
Déficits
Pas de pluie pendant donc d’abord pendant 4 mois (117 jours), puis un orage, puis sec pendant trois mois et demie (98 jours).
J’en passe. Il y a eu 1921, une sécheresse monstre d’un an et demie à laquelle j’ai consacré deux notes. Petit rappel quand-même pour cet épisode commencé en 1920. De Wiki :
« À l’observatoire du Parc Saint-Maur, les six premiers mois de l’année ont été déficitaires de 60 %. La sécheresse, qui a atteint son maximum dans le bassin parisien, s’est étendue à toute la France, l’Angleterre, les Pays-Bas, l’Ouest de l’Allemagne et la Suisse. Le déficit était de 38 % à Nantes, de 42 % a Dunkerque et à Bordeaux. »
Les 30 ans de réchauffement entre 1921 et 1952 sont causés, comme depuis 1990, « par un flux de sud à répétition. Tiens, déjà ?
Il y a eu des déficits plus sévères qu’en 2023. Il y a eu la série des années 1940, qui n’ont rien à envier aux années actuelles. La raréfaction des pluies était alors une préoccupation majeure.
Une sécheresse est une période sans pluie ou dont les rares pluies sont inférieures à 1mm par mètre carré (<1mm). La durée est le critère majeur de sa gravité. D’autres conditions jouent, comme la saison et donc la chaleur et l’évaporation, la force des vents, la qualité des sols, l’état du paysage. Ces conditions influent sur la gravité des effets de la sécheresse.
Durée
Mais l’élément majeur est la durée et la continuité de cette absence de précipitations. La durée est, avec l’extension spatiale, ce qui cause les plus grands bouleversements. Ensuite il y a la répétition, ou les séries sèches sur plusieurs années.
Deux périodes sèches peuvent se suivre comme nous l’avons connu entre 2022 et 2023 en Europe. Deux années consécutives aussi en 2018-2019, mais aussi en 1989-1990 et 1949-1950.
L’étude mentionnée plus haut annonce pourtant qu’il n’y a jamais eu deux années de suite : « Les sécheresses de deux étés consécutifs en 2018 et 2019 sont sans précédent, d’après l’étude parue dans Nature Geoscience. »
Pourtant si, il y en a eu, trois fois en 70 ans.
Alors qu’est-ce qui rendrait les dernières si exceptionnelles ? Leur durée ? Non. 1976 reste le record absolu mesuré depuis 100 ans (exception pour 1921). La chaleur ? Oui, probablement, mais ce n’est pas un marqueur majeur des sécheresses. La surface de territoire touché en France ou en Europe ? Pas plus d’après les documents que j’ai pu lire.
Garnier
Nous disposons de relevés précis depuis quelques décennies. Avant le XXe siècle il a été possible de reconstruire le climat passé par différentes méthodes : cernes des arbres, isotopes, chroniques officielles ou de l’Eglise. etc.
Peut-on comparer l’intensité des sécheresses dans le temps ? Depuis un demi-siècle nous les chiffrons mieux : nombre de jours par région, surface concernée. Il est possible que celles du passé soient sous-estimées.
En France Emmanuel Le Roy Ladurie a posé une oeuvre de référence avec ses Histoires du climat. En fin de vie il semble être devenu pessimiste sur l’avenir climatique.
Emmanuel Garnier a pris la relève. Son étude de l’histoire du climat montre que les plus grandes sécheresses ont eu lieu dans le passé (image 2). Le graphique s’arrête à 2008. Il a cependant mis en évidence des sécheresses de plus de 300 , 200 jours.
Le graphique 3 de MétéoSuisse pour Genève montre deux pics ces deux dernières années, qui ne suivent pas une courbe ascendante et dont on ne peut dire si elles sont fortuites ou si elles montrent une tendance. La plus longue durée est de presque 50 jours.
Les chiffres diffèrent, comme le montre les images 4 à 6 en France (région Languedoc-Roussillon).
Maximiser
Une autre recherche a été réalisée par Laurie Caillouet et publiée en 2021. Plus régionale et portant en partie sur les étiages (niveaux minimaux, signalant des sécheresses) de deux rivières française, la Corrèze (Massif Central) et l’Ubaye (Alpes-de-Haute-Provence), elle révèle des années de très forts étiages (image 7) donc de sécheresse météorologique concomittante.
Les années 1893 ou 1921, entre autres, montrent des étiages sévères. Sans surprise car ce sont des années très sèches. 1893 a connu 66 jours de sécheresse en continu au printemps. C’est un record non battu à ma connaissance.
La même étude appliquée à la France entière montre l’étendue spatiale des sécheresses. Les plus vastes territoires touchés par des sécheresses ne le sont ici pas depuis 40 ans comme affirmé dans certaines études, mais depuis bien avant dans le siècle.
Il ne s’agit pas de nier le réchauffement mais d’essayer de voir plus clair dans les rafales à répétition d’informations discutables quant à leur ton et à leur contenu.
Les annonces alarmistes contiennent des informations incomplètes, ou inexactes. L’intention de maximiser le présent a pris l’ascendant sur un regard historique. Or sans ce regard historique il n’y a pas de climatologie, science ancrée dans le passé pour établir des séries longues jusqu’au présent.
Corrélation
La pire sécheresse en 2 000 ans ? Je ne suis pas convaincu. Nous manquons de recul. Même un siècle ou dix siècles sont un temps insuffisant pour déterminer ce qui se joue à des échelles planétaires ou plus. Par exemple on compare les sécheresses 1976-2018 :
« Une comparaison des sécheresses de 1976 et 2018 a montré que, dans l’est de la France, 2018 fut comparable à 1976 par son intensité, mais que, en 2018, les impacts furent moindres, car le territoire était mieux préparé donc moins vulnérable. »
Dans dix ans nous pourrons en dire un peu plus sur les années actuelles. Peut-être.
Par ailleurs :
« On constate ainsi que des sécheresses extrêmes et aussi sévères que les événements de l’été 2022 se sont déjà produites par le passé ; mais ces épisodes deviennent à présent plus fréquents et plus précoces. »
Plus précoces, difficile à dire. Plusieurs sécheresses passées ont commencé sans corrélation avec la chaleur de l’été. Plus fréquents : c’est possible, bien que je m’interroge : est-ce par proximité temporelle ? Les mesurons-nous mieux ? Ou est-ce une série, comme dans les années 1940 ?
Conclusions
On le saura au siècle prochain… En durée, intensité et superficie (Europe centrale) il semble que nombre de sécheresses passées n’ont rien à envier au présent. Alors, connaissons-nous les pires sécheresses depuis deux millénaires ?
Si la méthode de datation des cernes des arbres a gagné en précision, je reste dubitatif. Les contradictions entre les différentes sources de relevés relativisent les annonces de records.
Toutefois quelles que soient les contradictions nous devons anticiper, préparer notre environnement aux influences et effets d’un réchauffement moyen du climat. Pourquoi moyen ? Parce que le pire est fondé sur des modèles climatiques extrêmes, que rien ne vérifie.
Pour finir, voici un petit ajout à propos de la sécheresse de 1540 :
« En janvier 1540, une phase de sécheresse a commencé, comme l’Europe centrale n’en a jamais connu de mémoire d’homme, selon les scientifiques qui ont pu rassembler d’énormes archives de données météorologiques. Pendant onze mois, il n’y a pratiquement pas eu de précipitations, les chercheurs parlent d’une « méga-sécheresse ».
Et aussi :
« Onze mois de pluie quasi inexistante et de chaleur extrême : plus de 300 chroniques provenant de toute l’Europe révèlent les détails macabres d’une gigantesque catastrophe survenue en 1540. Et elles montrent que la catastrophe peut se reproduire. »
L’année 1540 aurait battu tous les records. Contrairement aux estimations précédentes des climatologues, l’été 2003 n’est pas le plus chaud connu – 1540 l’a dépassé de loin, écrit le groupe de recherche international dirigé par Oliver Wetter de l’Université de Berne.
Je ne suis pas convaincu par cette annonce. Il y a des raisons de penser que les sécheresses des siècles passés étaient aussi sévères, voire parfois plus sévères, que celles des dernières décennies. Celles-ci sont-elles au moins plus fréquentes ? Je trouve imprudent de l’affirmer.
Images : cliquer pour agrandir. Elles représentent différents relevés de durées dans différentes régions. La première ci-dessous relève que la sécheresse de 1976 fut la plus sévère depuis cinquante ans. Source.
Et l'évolution des températures prédite par la centaine de modèles climatiques du Giec (en rouge) et celles observées réellement (en vert). Les modèles surchauffent :