Nous évoquions samedi FEVE (Fermes En ViE), initiative qui intervient en facilitant la reprise de ces fermes. FEVE (Fermes En Vie) via une foncière pour faciliter les installations agricoles tout en accélérant la transition agroécologique. Cette foncière achète des terres agricoles puis les loue avec option d’achat à des porteurs de projets se conformant à une charte agroécologique ambitieuse. La foncière est financée par des particuliers et des investisseurs institutionnels et a déjà permis l’installation de 11 fermes (19 agriculteurs et agricultrices) en France.
Nous avons interviewé Vincent Kraus, co-fondateur, pour qu’il nous parle de ce projet, mais aussi plus globalement, de la situation de l’agriculture en France.
Breizh-info.com : Quelle a été votre motivation principale pour créer FEVE en 2021 ?
Vincent Kraus, co-fondateur de FEVE : Nous avons créé Feve pour répondre à deux enjeux majeurs : le renouvellement des générations d’agriculteurs et la transition agroécologique. En effet la moitié des agriculteurs vont partir à la retraite dans les 10 prochaines années et 2/3 des personnes qui cherchent à s’installer sont hors cadre familial, et n’héritent pas de terres agricoles ce qui fait que l’accès au foncier est un des premiers freins à leur installation. Par ailleurs a transition agroécologique est nécessaire pour répondre aux enjeux systémiques environnementaux (climat, biodiversité, eau) en améliorant au passage la résilience des fermes sur le territoire. Pour répondre à ces deux enjeux, nous avons créé une foncière qui achète des fermes grâce à de l’épargne citoyenne pour permettre à des porteurs de projets de s’installer en agroécologie.
Breizh-info.com : Comment sélectionnez-vous les terres agricoles et les porteurs de projets éligibles à votre programme ?
Vincent Kraus, co-fondateur de FEVE. : Nous choisissons des porteurs de projets souhaitant s’installer en conformité avec notre charte agroécologique et nous vérifions la viabilité économique de leur projet ainsi que leur expérience pour le mener à bien. Enfin nous analysons la ferme pour vérifier que le prix est conforme au marché et qu’elle pourra être utilisée par un autre agriculteur dans le cas où le projet ne fonctionne pas correctement.
Breizh-info.com : Pouvez-vous détailler les critères de votre charte agroécologique et comment assurez-vous de leur application ?
Vincent Kraus, co-fondateur de FEVE. : La charte s’appuie sur le socle du label AB et essaie d’aller un peu plus loin sur des aspects de diversification des cultures, sur la conservation ou la création d’infrastructures naturelles (haies, point d’eau, bois…) et sur la préservation des sols. Nous effectuons un audit annuel et nous ajoutons à cela un audit réalisé par Ecofarms qui donne une note (Economique, sociale et environnementale) à chaque ferme.
Breizh-info.com : Quels sont les défis principaux rencontrés lors de l’acquisition de terres agricoles pour la transition agroécologique ?
Vincent Kraus, co-fondateur de FEVE. : Les bâtiments génèrent des difficultés majeures car leur adaptation est souvent nécessaire lorsque le projet évolue avec le changement d’exploitant. Regénérer les sols et leur redonner une meilleure fertilité naturelle prend également souvent du temps (plusieurs années) et rend les années de transition financièrement plus délicates (investissements plus importants avec une valorisation non augmentée). Il faut également parfois changer de matériel et d’équipement ce qui génère des investissements importants là aussi.
Breizh-info.com : Comment FEVE est-elle financée, et quel est le rôle des particuliers et investisseurs institutionnels dans ce modèle ?
Vincent Kraus, co-fondateur de FEVE. : Feve est majoritairement financée par de l’épargne citoyenne, c’est à dire des particuliers qui investissent entre 500€ et des centaines de milliers d’euros pour certains. Ces particuliers investissent pour donner du sens à leur épargne (d’un point de vue social et environnemental), investir dans un actif tangible et relativement peu risqué (le foncier agricole) et bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu (25% des sommes investies) ce qui améliore la rentabilité ! Des investisseurs institutionnels (la Caisse des Dépôts et un fonds du Crédit Mutuel) ont également participé au côté des particuliers.
Breizh-info.com : Quel impact FEVE a-t-elle eu sur la communauté agricole et l’environnement depuis sa création ?
Vincent Kraus, co-fondateur de FEVE. : Depuis la création de la foncière (juillet 2021), 16 fermes ont été installées (dont 11 en 2023) pour 27 agriculteurs et agricultrices. L’objectif est d’en financer entre 20 et 25 supplémentaires en 2024. Cela représente 1200 hectares convertis à l’agroécologie depuis le début !
Breizh-info.com : Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un souhaitant s’engager dans l’agriculture agroécologique en France aujourd’hui ?
Vincent Kraus, co-fondateur de FEVE. : Le métier d’agriculteur est un métier très difficile sur beaucoup d’aspects et qui nécessite d’avoir de multiples compétences (agronomie, technique, mécanique, vente, communication, comptabilité…). Une formation et surtout une expérience significative sont donc nécessaires. Mais c’est un métier de passionnés qui fait rêver et qui a une utilité très forte. N’hésitez pas à aller voir ce qui se fait sur différentes fermes avant de se lancer. On voit que les porteurs de projets les mieux préparés ont vu beaucoup de choses avant de définir leur manière de fonctionner.
Breizh-info.com : Quels sont les projets futurs de FEVE pour étendre son impact en France et potentiellement à l’étranger ?
Vincent Kraus, co-fondateur de FEVE. : Feve est déjà très présent dans la moitié Ouest de la France. On recrute d’ailleurs un chef de projet en Bretagne pour accélérer notre activité dans cette région. L’objectif est d’ensuite s’étendre sur la moitié Est de la France en continuant à nous développer de manière organique. Pas de projet international à ce stade, il y a déjà beaucoup à faire en France, notre objectif étant de financer une centaine de fermes par an d’ici 3 ans.
Breizh-info.com : Quel regard portez vous sur la crise de l’agriculture qui frappe l’Europe et sur les réponses apportées par les gouvernants ? La fin de la mondialisation et la fermeture des frontières ne sont elles pas les seules solutions pour garantir aux paysans de vivre de leur production, et aux populations de consommer local ?
Vincent Kraus, co-fondateur de FEVE. : Cette crise est tout à fait compréhensible car le métier d’agriculteur n’est pas reconnu comme il se doit aujourd’hui et en particulier financièrement. La réponse apportée me semble avoir été prise de manière trop rapide et sans réfléchir aux aspects plus long terme. Confronter agriculture et environnement est une grave erreur de vision à mon sens et il manque des mesures pour arriver à les concilier : les agriculteurs ne sont pas rémunérés aujourd’hui pour toutes les externalités positives qu’ils créent (impact positif sur le carbone, l’eau ou la biodiversité) ce qui ne les incite pas à enclencher plus largement la transition agroécologique. Cette transition permettrait à la fois de répondre aux enjeux environnementaux qui nous touchent tous (et les agriculteurs en premier lieu) mais également d’améliorer la résilience des territoires aux aléas climatiques et aux aléas de marché (en diminuant les besoins en intrants dérivés du pétrole achetés à l’étranger).
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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