Une séquence en particulier illustrait cette défaite. On y faisait la rencontre de Sylvie, professeur de français, la cinquantaine bien tassée, habitante du Tonkin, une cité malfamée de la banlieue lyonnaise. Attristée de voir son lieu de vie devenir un supermarché de la drogue, l’enseignante a monté un collectif de citoyens. Sa mission : ramasser les déchets laissés par les dealers. Une opération propreté qui permet aussi de dialoguer avec eux… dans la mesure du possible.
Un document sociologiquement fascinant
La scène est surréaliste. On voit la souriante boomer, épaulée par d’autres mamies, partir à la chasse aux détritus, se baisser et les ramasser au pied de dealers en pleine transaction. Histoire de ne pas se prendre un coup de couteau de la part de ces « jeunes désœuvrés », elles ont pris soin de se coller des affiches dans le dos qui expliquent, en grosses lettres multicolores, la nature pacifique de leur entreprise. « On fait le tour des points de deal, explique Sylvie, face caméra. On est extrêmement bienveillants, on est souriants. On reste toujours archi-polis, même si on se fait insulter, ça peut arriver… »
La cohabitation peut vite tourner en eau de boudin, mais jusqu’ici, tout va bien. Ou, du moins, c’est la version d’Envoyé spécial. « Grâce à leur mobilisation contre les dealers, les voisins du collectif du Tonkin essaient de maintenir ici un peu de vivre ensemble », affirme la voix off pleine d’espoir.
L’aspect tragi-comique de la situation culmine dans cette scène où la brave Sylvie tente de communiquer avec un des « jeunes » en train de faire le guet en bas de son immeuble. « Je rêve pour vous, comme pour tous les autres, de mieux. » Pour toute réponse, elle ne recevra qu’un rapide « merci », que le guetteur finit par lâcher, les dents serrées.
Tout est dans ce simulacre de conversation. D’un côté, une bienveillance naïve, teintée d’idéalisme post-soixante-huitard et d’un vieux fond de charité chrétienne. De l’autre, un matérialisme brut, un aplomb vertical, quasi militaire, galvanisé par la conscience d’être souverain sur ce territoire fraîchement conquis. Deux mondes qui n’ont rien en commun. Deux mondes appelés à s’affronter un jour ou l'autre ?
La France soumise
Hélas, Sylvie et les siens ont déjà abdiqué. L’enseignante affirme vouloir garder le contact avec les dealers « sinon, ce serait la guerre ». Mais c’est déjà la guerre, chère Sylvie. Et ils l’ont gagnée. Ils contrôlent votre cité.
Alors, face à cette réalité qu’ils disent combattre mais qu’ils ont en réalité déjà admise, les membres du collectif se comportent en bons dhimmis. Ils rasent les murs et font le ménage gratuitement pour leurs oppresseurs. « En tous les cas, merci pour la propreté qui est là ! », dira même Sylvie, tout occupée à ramasser les déchets aux pieds d’un dealer.
Trop de Français sont moralement désarmés face aux voyous qui pourrissent leur quotidien. C’est tout juste s’ils se permettent encore de leur faire des remarques sur leur manque d’hygiène. « Là, pour le coup, on est complètement légitime », veut croire Sylvie. Pourtant, la propreté ne devrait pas être son seul combat. Elle devrait plutôt être le cadet de ses soucis. En tant qu’autochtone, habitante de ce territoire depuis toujours, la Française est bien davantage « légitime » à demander l'interpellation, la condamnation et l’incarcération des délinquants, leur expulsion du pays, s'ils ne sont pas français, le respect de la loi, la possibilité de se promener tranquillement dans son quartier. Mais ces combats sont manifestement illégitimes aux yeux de Sylvie. Peut-être même d’extrême droite ? D’ailleurs, pour qui vote la sympathique enseignante ? Le reportage ne le dit pas, mais il est hautement probable qu’elle soutienne avec fidélité les politiques responsables de son malheur. Si tel est le cas, espérons que Sylvie apprenne un jour de ses erreurs…
Jean Kast
https://www.bvoltaire.fr/envoye-special-quand-des-mamies-boomers-font-le-menage-des-dealers/