par Alexandre Lemoine
Le président polonais Andrzej Duda a déclaré que son pays était prêt à accueillir des armes nucléaires américaines. Moscou a averti que leurs dépôts deviendraient des «cibles légitimes à attaquer».
La Pologne est prête à accueillir des armes nucléaires américaines, a annoncé le président de la République, Andrzej Duda, le 22 avril dans une interview au journal Fakt à l’issue de sa visite aux États-Unis. Il a confirmé avoir évoqué cette question à Washington. «Je ne cache pas que lorsque j’ai été interrogé à ce sujet, j’ai exprimé notre disposition à le faire. Si nos alliés décident de déployer des armes nucléaires sur notre territoire dans le cadre d’une utilisation conjointe pour renforcer la sécurité du flanc oriental de l’OTAN, nous sommes prêts», a-t-il expliqué.
Moscou y a réagi le jour même. «Les militaires analyseront bien sûr la situation en cas de mise en œuvre de tels plans et prendront toutes les mesures nécessaires pour garantir notre sécurité», a déclaré aux journalistes le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov.
Le ministère des Affaires étrangères a noté que la Russie portait une attention particulière à la Pologne dans sa planification militaire compte tenu des menaces émergentes. «Il n’est pas difficile de supposer que si des armes nucléaires américaines sont déployées en Pologne, les sites en question seront immédiatement ajoutés à la liste des cibles légitimes en cas de confrontation militaire directe avec l’OTAN», a déclaré la porte-parole du ministère, Maria Zakharova.
Ce n’est pas la première fois que les autorités polonaises soulèvent la question nucléaire. En octobre 2022, dans une interview à Gazeta Polska, Duda a discuté avec les Américains de la participation de son pays au programme Nuclear Sharing de l’OTAN. D’après lui, cette question reste ouverte et rien n’indique que Varsovie obtiendra des armes nucléaires dans un avenir proche. Le département d’État américain a répondu que la Pologne était un allié important de l’OTAN, mais qu’il n’y avait pas de projets de déployer des armes nucléaires dans les pays qui ont rejoint l’Alliance après 1997, et Washington ignore si la question de la participation de la Pologne au programme Nuclear Sharing se posera.
La Pologne a réitéré sa volonté de déployer des armes nucléaires sur son territoire en juin 2023. Le Premier ministre Mateusz Morawiecki a expliqué que la Russie déployait de telles armes en Biélorussie. «Nous exprimons notre volonté d’agir rapidement à cet égard», a-t-il déclaré après le sommet de l’Union européenne à Bruxelles. À l’époque, la Maison-Blanche avait refusé de le commenter.
Comme le note Euractiv, le précédent gouvernement conservateur et nationaliste dirigé par le parti Droit et Justice (PiS, Conservateurs et Réformistes européens), au pouvoir jusqu’en décembre dernier, était favorable à la participation de la Pologne au programme de partage nucléaire, tout comme le parti d’opposition d’extrême droite Confédération.
«Le stationnement d’armes nucléaires sur le territoire polonais constituerait une garantie de sécurité bien plus sérieuse que toute autre forme de coopération avec les alliés», a déclaré l’année dernière Michal Wawer, porte-parole du parti Confédération.
L’ancien ministre de la Défense, Tomasz Siemoniak (Plateforme civique/PO, membre de la Coalition civique), avait averti l’année dernière que les spéculations sur une telle solution «ne servaient pas la sécurité de la Pologne».
Le Nuclear Sharing est un mécanisme qui prévoit l’utilisation conjointe d’armes nucléaires par les pays de l’OTAN, impliquant qu’en cas de conflit, ces armes seraient portées par des avions alliés certifiés pour des missions à double usage, avec le soutien des forces conventionnelles de l’Alliance. En d’autres termes, en cas de conflit nucléaire, la décision d’utiliser de telles armes repose sur les puissances nucléaires, mais elle serait mise en œuvre avec la participation des alliés.
Bien que cela ne soit pas officiel, il est de notoriété publique que des armes nucléaires américaines sont actuellement stockées dans des bases américaines et européennes : dans les bases aériennes de Kleine-Brogel en Belgique, de Büchel en Allemagne, d’Aviano et de Ghedi-Torre en Italie, de Volkel-Uden aux Pays-Bas ou encore dans celle de Inçirlik en Turquie.
Actuellement, environ 100 bombes nucléaires B61 sont déployées en Europe, selon le Bulletin of the Atomic Scientists, représentant le seul type d’arme nucléaire tactique dans l’arsenal américain (prévu pour être remplacé par des bombes modifiées B61-12).
L’intention de la Pologne de participer au Nuclear Sharing est motivée davantage par des considérations politiques que militaires, estiment les analystes de l’International Institute for Strategic Studies (IISS). Il s’agit d’envoyer un signal à Moscou et de rassurer les membres du flanc oriental de l’Alliance sur l’engagement de l’OTAN à les protéger. «En cherchant à jouer un rôle plus actif dans le cadre du Nuclear Sharing, le gouvernement polonais tente probablement de renforcer le potentiel de dissuasion de l’OTAN et d’aider les États-Unis à confirmer leur engagement envers la dissuasion étendue (ce qu’on appelle le parapluie nucléaire). Cependant, l’utilité militaire du déploiement permanent d’armes nucléaires en Pologne est contestée», affirment les analystes de l’IISS. En cas de confrontation directe avec l’Alliance, la Russie ciblerait en priorité les bases les plus proches de ses frontières. «Ainsi, paradoxalement, un déploiement avancé permanent augmenterait le risque d’attaque contre la Pologne aux premiers stades du conflit et limiterait la viabilité nucléaire de l’OTAN», concluent les experts.
source : Observateur Continental
https://reseauinternational.net/ou-menera-lappel-de-duda-a-deployer-des-armes-nucleaires-en-pologne/