“Comme s’il ne suffisait pas d’avoir ajouté aux échéances berlinoise et congolaise qui l’attendaient à la Maison-Blanche un rendez-vous cubain, les interventions intempestives de la C.I.A. venaient encore de ranimer au Laos un nouveau théâtre de guerre froide, et même tiède. L’armistice de 1954 avait prévu que les deux bataillons des forces communistes – le Phatet-Lao – qui occupaient les provinces contiguës au Viêt-Nam seraient intégrés dans l’armée royale. Après d’interminables discutions un accord avait fini par intervenir en 1959 sur les modalités de cette intégration. Mais le Phatet-Lao réclama à la dernière minute davantage que ce qui lui était promis: les forces royales tentèrent de désarmer ses troupes; celles-ci réussirent à prendre le large, rejointes un peu plus tard par deux cents officiers et soldats de l’armée régulière. Des combats sporadiques s’engagèrent et la presse américaine se remplit des informations les plus fantaisistes sur la participation massive du Viêt-Nam du Nord à des opérations qui pourtant n’engagèrent jamais que des effectifs extrêmement limités. Le 31 décembre 1959, au milieu de la confusion générale, le général Phoumi Nosavan prit le pouvoir à Vientiane, la capitale, avec la bénédiction et les dollars de la C.I.A., instaurant un régime ouvertement pro-occidental et organisant des élections truquées, au cours desquelles pas un opposant ne put passer.
Le 9 aout 1960, grâce à un autre coup d’Etat, un capitaine de 26 ans, Kong-Lé, s’emparait de Vientiane. Il annonçait son intention de «consolider la nation, la religion, le trône et la constitution», de maintenir la neutralité du Laos et faisait appel au prince Souvanna Phouma, ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale.
Le tandem Kong-Lé-Souvanna Phouma était probablement ce qui convenait le mieux à ce pays, si pacifique que ses soldats, parait-il, ont l’habitude de tirer trop haut, de manière à ne pas risquer d’atteindre l’ennemi. Winthrop Brown, l’ambassadeur des Etats-Unis, était bien de cet avis. Mais la C.I.A. tenait Kong-Lé pour un crypto-communiste, et persuada Phoumi Nosavan de repousser ses propositions de collaboration ce qui eut pour effet de rejeter davantage Souvanna Phouma vers le Phatet-Lao. Le 9 décembre 1960, Phoumi Nosavan déclencha une offensive contre les neutralistes, amenant Souvanna Phouma à s’adresser aux Russes. Ceux-ci, trop heureux de s’immiscer dans un pays qui jusqu’alors était la chasse gardée des Américains et des Chinois, mirent sur pied à toute allure un pont aérien. Il n’empêcha pas la chute de Vientiane, le 18, mais permit à Kong-Lé et au Phatet-Lao, qu’il était allé rejoindre, de s’emparer de plusieurs positions importantes, et notamment de l’essentielle plaine des Jarres. Pour masquer ses difficultés, le gouvernement mis en place par Phoumi Nosavan affirma le 31 décembre que le pays était l’objet d’une agression de la part de «sept bataillons nord-vietnamiens».
Lorsque le 19 janvier 1961, Eisenhower exposa a son successeur la situation au Laos, il s’excusa de lui laisser une telle «pagaille». Le mot aurait pu s’appliquer à l’ensemble des problèmes auxquels allait devoir s’attaquer sans perdre de temps le nouveau président des Etats-Unis.”
André Fontaine
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