Le 22 mai, le président de la République rendra dans la prison de Caen un hommage national aux deux surveillants pénitentiaires assassinés (finalement Gabriel Attal remplacera le président parti en urgence pour la Nouvelle-Calédonie).
Les Français "ne font pas confiance à l'exécutif pour contrer l'insécurité (...) et après le braquage sanglant du fourgon pénitentiaire dans l'Eure, la sécurité se hisse parmi leurs principales préoccupations" (Le Figaro).
Je réunis ces deux informations, de nature différente certes mais qui montrent bien le caractère tragique et surréaliste du hiatus entre l'état de la France et la politique régalienne du président et des ministres concernés.
Les citoyens ne réclament pas du président la multiplication des hommages nationaux aux victimes de ses faiblesses, en les honorant à chaque fois de sa présence avec des discours somptueusement écrits mais dont l'enflure répétitive occulte en fin de compte toute émotion véritable.
Cet hommage national, animé par les meilleures intentions du monde, me semble pervers. Il occulte le fait que, si les deux agents ont été assassinés pour probablement permettre la fuite de Mohamed Amra, le pouvoir a toutefois une responsabilité capitale et profonde dans cette horreur : il est défaillant dans l'exercice de l'une de ses missions essentielles, protéger et punir. En ne favorisant pas le comportement le plus efficace possible des institutions régaliennes (forces de l'ordre, justice et administration pénitentiaire), sans leur fournir les moyens matériels et humains qui conviennent ni le soutien qu'elles méritent.
Est-il besoin de rappeler l'état de délabrement de certains lieux d'enfermement, plus de 2 000 matelas encore, des établissements où des détenus font la loi, où tout circule, drogue, portables, instructions vers l'extérieur, où la corruption s'installe... Le courage politique consisterait à la fois à restaurer de la dignité dans les prisons et à redonner au personnel pénitentiaire ses lettres de noblesse. Il faudrait, par-dessus tout, que la prison signifie la cessation absolue des transgressions délictuelles ou criminelles alors qu'aujourd'hui, elle en est devenue l'un des moyens...
Les crimes dans l'Eure : la révélation d'une absence dramatique de moyens sur le plan du nombre de l'escorte, de l'armement, la froideur glaçante de ces tueurs, avec leur recherche pour l'instant encore infructueuse, l'indignation générale après les assassinats, la rencontre des syndicats dans l'urgence avec le garde des Sceaux, les promesses de ce dernier... et après, tout recommencera...
Il n'y a aucune raison pour que d'un coup ce qui crève les yeux et désespère depuis au moins quarante ans, et a pris une ampleur inédite sous Emmanuel Macron - avec des ministres choisis en totale contradiction avec leur philosophie d'avant - soit dissipé et miraculeusement éradiqué au bénéfice d'une aurore pénitentiaire !
Il n'y a aucune raison pour que les engagements formulés dans la suite directe de l'émoi causé par ces crimes ne soient pas, comme d'habitude pour le monde politique de droite ou de gauche qui se trouve au pouvoir, la continuation enrobée, hypocrite et noblement verbeuse d'une impuissance et d'un abandon qui indignent, par intermittences, quand le pire survient et les mettent en évidence...
L'avocat Dupond-Moretti plaidait contre la prison, le ministre s'en désintéresse, comme beaucoup de Français... Au fond, ce n'est pas un monde qui nous regarde. Pour le sort de l'univers pénitentiaire, cette indifférence est un crime.
On comprendra alors pourquoi, plutôt qu'à la place d'un hommage national beau et inutile, on aurait voulu espérer en nos hommes politiques d'aujourd'hui... On ne les prendrait plus pour des marchands d'illusions, pour des réalistes du jour mais des traîtres du lendemain...
Le pouvoir n'a pas été pris par surprise. Tout était su, tout était écrit. Il suffisait de ne pas faire comme si on ne le voyait pas. Qu'on ne nous dise pas que les choses étaient impossibles. Comme l'a déclaré un jour Nelson Mandela, elles le sont jusqu'au moment où elles se réalisent. Mais de grâce, nous en avons plus qu'assez de l'alibi des hommages nationaux !
Le pouvoir qui les multiplie est coupable de son incapacité à les rendre inutiles.
https://www.philippebilger.com/blog/2024/05/plus-quassez-de-lalibi-des-hommages-nationaux-.html