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Tous citoyens transatlantiques ou paneuropéens ?

« Aucune alliance n’est possible entre les États-Unis faisant le dîner et l’Europe la vaisselle : aux premiers la guerre, aux seconds le service après-vente »
Jean-Pierre Chevènement
« L’Europe aspire à être gouvernée par une commission américaine »
Paul Valéry (1925)

Selon Régis Debray, l’UE est en fait un « sas de dénationalisation », tout comme il en existe pour la décompression, afin que les arrière-cours s’entraînent à supporter le grand large atlantique.

Réalités géopolitiques transatlantiques

Il est vrai que les « Euro-Ricains » ne rêvent que « d’une nouvelle Amérique ». Dans son pamphlet ironique « L’Édit de Caracalla », Régis Debray propose même de bâtir les États-Unis d’Occident en prenant pour môle ceux d’Amérique, afin d’assurer une communauté de destin aux sociétés libérales fragilisées par l’immigration extra-européenne et la montée en puissance de l’islam, des pays émergents, de la Russie et de la Chine. L’Atlantique pourrait nous unir comme la Méditerranée unissait nos aînés et l’Océan pourrait traverser l’Occident comme la Seine, Paris ! Tout le monde serait Américain et quelques-uns pourraient être encore Italiens, Mexicains ou Hollandais…La terre des GI’s serait notre première patrie ; Allemands et Français n’auraient plus qu’à communiquer dans la lingua franca du tiers unificateur. Mais remarque encore Régis Debray : « Quand a-t-on vu un État digne de ce nom s’édifier sur le seul intérêt des consommateurs ? Un foyer d’appartenance fait seulement de « traders » et de managers ? Pourquoi l’OTAN n’a-t-elle pas été déclarée caduque lorsque le mur de Berlin s’est effondré en 1989 ? ». Loin de se dissoudre après la désintégration de l’URSS, alors que Gorbatchev avait insisté sur la « Maison Commune » Europe, l’OTAN s’est élargie à tous les anciens États satellites de Moscou en Europe centrale et orientale, à la Slovénie ainsi qu’aux trois Républiques baltes. L’OTAN est un régime féodal avec un suzerain américain et des féaux européens.

Par ailleurs au moment même où le cauchemar de la division du continent européen, symbolisé par le Mur de Berlin commençait à se dissiper, il restait devant nous l’horizon de la colonisation de l’âme européenne par un « way of life » matérialiste, égoïste, dépersonnalisant. Certaines de nos élites ont en effet tendance à rallier le camp des émigrés, non plus de Coblence, mais de Washington. L’Europe doit-elle être une sorte de non-lieu situé quelque part entre San Francisco et Jérusalem, définitivement affranchi de l’histoire et du réel, un grand marché offrant des débouchés aux produits, armements et services américains ainsi que des soldats pour des guerres qui ne sont pas les siennes, ou peut-elle mener une politique qui lui soit propre ? L’Europe devrait également, selon Washington, accueillir la Turquie, afin de garantir l’ancrage occidental d’Ankara et peu importe, bien évidemment, si cette adhésion rend encore plus problématique l’émergence d’une puissance politique européenne.
L’Union atlantique est de plus en plus le véritable bénéficiaire du désarmement des souverainetés nationales par le biais de l’Union Européenne. Tous ceux qui ont cru que l’élargissement préparait l’avènement d’une grande Europe Puissance réalisent que les nouveaux membres ne souhaitent qu’accéder à l’espace économique euro-américain et à l’OTAN, en plongeant dans cet univers occidental dont Washington est la seule figure de puissance.

Le monde transatlantique doit être en fait binaire : d’un côté, l’empire, de l’autre, ceux qui n’étant pas avec lui seront décrétés contre lui. Il n’attend pas sa stabilité d’un quelconque équilibre, mais d’un déséquilibre garanti en faveur de la première de ses deux moitiés. Au sein de celle-ci, des gouvernements instruits de ce qu’il en coûte d’encourir la disgrâce du maître rivalisent de servilité et n’aspirent plus qu’à obtenir de sa complaisance la clause du vassal le plus favorisé. C’est le rêve par exemple des dirigeants de l’Allemagne actuelle tant que l’AfD pro-russe et des hommes politiques de gauche clairvoyants tels qu’Oskar Lafontaine n’auront pas pris le pouvoir.
Autrefois un délit, l’ingérence devient un droit ou même un devoir, et la « guerre défensive » cède la place à la « moderne guerre préventive » style Irak, Lybie, Kosovo. On ne compte plus sur l’ONU pour légitimer l’emploi de la force, mais sur l’OTAN ou telle coalition des bien-pensants qu’on aura assemblés. Tout ce qui, jusqu’ici, était défini en termes nationaux, est réécrit en style impérial. Dans le document « Defense Policy Guidance » (1992-1994), il était déjà écrit, sans prendre de gants, que les États-Unis décourageront « les pays industrialisés avancés de toute tentative visant à défier leur leadership » et ne toléreront pas « l’émergence future de tout concurrent global »

Impossibilités et réalités géographiques du transatlantisme : l’Océan Atlantique qui sépare

Ortega y Gasset, dès 1937, remarquait dans La Révolte des Masses la primauté dans une union politique du contexte géographique et de l’avenir commun par rapport à la loi du sang et à la langue. « L’Espagne et les peuples du Centre et du Sud de l’Amérique ont un passé commun, une race commune, un langage commun. Cependant l’Espagne ne forme pas avec eux une nation, pourquoi ? Parce qu’il leur manque une chose, une seule, mais essentielle : l’avenir commun ». Il ajoutait avec un très grand sentiment prémonitoire : « nous allons assister de nos jours à un exemple gigantesque et frappant semblable à une expérience de laboratoire. Nous allons voir si l’Angleterre parvient à maintenir en une souveraine unité de communauté les différentes parties de son Empire, en leur proposant un programme attrayant ». Il se trouve qu’en 1982, Pierre Elliott Trudeau a rapatrié au Canada l’acte de l’Amérique du Nord britannique datant de 1867 et faisant office de constitution. Quant à l’Australie, chaque jour, elle devient de plus en plus une République asiatique en puissance. Le Premier ministre australien Paul Keating a pu dire : « l’Australie doit cesser d’être une annexe de l’Empire. Continuer à être associé à la Grande Bretagne reviendrait à affaiblir notre culture nationale ; notre avenir économique et notre destin sont en Asie et dans le Pacifique. »
De la même façon Jordis von Lohausen remarquait que jamais des fondations s’étendant loin au-delà de la vastitude de la mer, jamais des États établis sur deux rivages opposés, n’ont duré longtemps. Ni l’État suédois de la Baltique, ni la liaison Normandie-Angleterre, ni celle de l’Aragon avec Naples, ni l’empire portugais, ni le hollandais, ni le français, ni finalement le japonais et pas même l’empire britannique.

Quant aux auteurs pour qui l’Empire transatlantique existe déjà, certains commencent à réaliser l’absence de communauté de destin et la nécessité d’imaginer l’avenir en termes de blocs régionaux homogènes, suite aux prix élevés de l’énergie et des transports, et se hasardent même à parler de fracture transatlantique qui ressemblerait au schisme entre l’Empire romain d’Occident et l’Empire byzantin. Ce n’est jamais qu’une façon de présenter les choses, car, sur le fond, l’impossibilité transatlantique paraît chaque jour de plus en plus évidente. L’Atlantique n’est pas du tout une mare (« the pound ») comme se complaisent à le dire les Américains et les Britanniques, mais un véritable océan que Christophe Colomb a eu le premier l’audace de franchir, sans même savoir ce qu’il y avait au-delà de l’horizon. Un partenaire durable sera de préférence celui qui habite derrière un mur mitoyen. Une même clôture sépare l’Europe et la Russie, non l’Europe et l’Amérique. On peut aller à pied de Brest à Vladivostok, mais non à New York ou à Buenos Aires.
Compte tenu de ce contexte historique, géographique et géopolitique, on ne voit donc vraiment pas pourquoi les Européens devraient s’insérer dans un quelconque Commonwealth transatlantique du XXIe siècle piloté par Washington. Les États-Unis ne se sont-ils pas déclarés indépendants de l’Angleterre le 4 juillet 1776 pour éviter cette insertion ? L’Amérique ne pense d’ailleurs pas exclusivement transatlantisme, mais aussi bien panaméricanisme avec les deux sous-continents américains, panasiatisme avec l’ASEAN, Indo-Pacifique avec le « Quad », Australie avec l’AUKUS. Ce Commonwealth transatlantique et mondial américain ne sera jamais qu’un rêve irréalisable (« wishful thinking ») de plus, pour la domination économique, politique et militaire du monde.

Conclusion : Tous citoyens paneuropéens

Le choix véritable pour les Européens est donc entre une Europe des nations alliée avec la Russie et ses immenses richesses sibériennes en matières premières, gaz et pétrole, ou un Occident, capitale Washington, s’ils souhaitent rester dans une relation de subordination mortifère.

Marc Rousset – Auteur de « Notre Faux Ami l’Amérique / Pour une Alliance avec la Russie »
Préface de Piotr Tolstoï -370p – Librinova – 2024

http://marcrousset.over-blog.com/2024/07/tous-citoyens-transatlantiques-ou-paneuropeens.html

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