De la protection des rois à la persécution des révolutionnaires
Avant ces jours sombres de la Révolution, la communauté religieuse du carmel de Compiègne coulait des jours heureux. Installées dans la ville et dans leur monastère depuis 1648, les filles spirituelles de sainte Thérèse d’Avila passent la majorité de leur temps à prier pour le monde à l’abri des regards, sous la protection des rois de France. Mais avec la disparition de l’Ancien Régime s’évanouit le précieux soutien qu’il apportait à ses protégées.
Dès lors, les nouvelles lois promulguées par les révolutionnaires bouleversent la vie des ordres religieux en France, dont celle des carmélites de Compiègne. Le 2 novembre 1789, les biens du clergé sont confisqués, provoquant ainsi la perte de leur habitat. Heureusement, elles obtiennent le droit de continuer de vivre dans leur ancien domaine… temporairement. L’interdiction de prononcer des vœux religieux, jugés contraires aux idéaux de liberté par les révolutionnaires, perturbent aussi le fonctionnement de la petite communauté. La benjamine des carmélites, Sœur Constance, se voit dans l’impossibilité de prononcer ses vœux perpétuels et reste donc novice dans l’espoir, un jour, de pouvoir se mettre pleinement au service de Dieu comme ses sœurs.
Après l’abolition de la monarchie en 1792, les persécutions religieuses se font plus fortes, en France. Nos carmélites sont ainsi expulsées de leur ancien monastère le 14 septembre et sont obligées de prêter le serment Liberté-Égalité imposé par la Révolution. Ce serment exige « d’être fidèle à la nation et de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir en la défendant ». Officiellement rendues à la vie civile, les religieuses continuent cependant officieusement leur vie religieuse. Dispersées dans Compiègne chez de courageux habitants, elles se retrouvent discrètement afin de continuer à prier. Cependant, sentant l’étau mortifère de la Révolution se resserrer sur elles, les carmélites, désormais clandestines, se disent prêtes à s’offrir en holocauste « pour que la paix soit rendue à l’Église et à l’État ». L'occasion de ce sacrifice pour le bien de la France ne tarde pas à venir.
« Elles ont l’air d’aller à la noce »
La Terreur, installée par le vil Comité de salut public, est un ogre qui demande sans cesse du sang pour étancher sa soif. Ainsi, quiconque est suspecté d’être un ennemi de la Révolution et de ses intérêts est sacrifié et envoyé à la guillotine. Cette folie se propage dans toute la France et arrive à Compiègne. Nos seize carmélites sont arrêtées le 22 juin 1794, puis emprisonnées dans leur ancien couvent devenu prison, avant d’être transférées à la Conciergerie, à Paris, le 12 juillet. La parodie de procès, dirigée par le Tribunal révolutionnaire, a lieu cinq jours plus tard, le 17 juillet. La veille, les religieuses célébraient la fête de leur ordre, celle de Notre-Dame du Mont-Carmel. Mais tout ceci n’émeut en rien les juges pour qui le verdict est déjà acquis. Il ne leur reste qu’à trouver des prétextes. Ces derniers portent alors sur deux points : le fanatisme, par la volonté des religieuses de rester prisonnières de leurs vœux, et la sédition, par la présence du Sacré-Cœur dans leurs affaires, « preuve » d'un ralliement aux brigands de Vendée. Avec ces accusations, le tribunal, sans aucun scrupule, les condamne toutes à être guillotinées le jour même.
Amenées en charrette jusqu’à la place de la Nation, les carmélites, vêtues de blanc, ne cessent de chanter en chemin. Les témoins, impressionnés par leur dignité, respectent silencieusement les derniers instants des religieuses. Certains vont même à dire qu'« elles ont l’air d’aller à la noce ». Pour se donner du courage en cet ultime instant, elles entonnent le chant du Veni Creator, renouvelant ainsi leurs vœux. Arrivées au pied de l’échafaud, elles sont appelées par le bourreau Sanson : d'abord, la toute jeune Sœur Constance, encore novice, avant que ne suivent les quinze autres religieuses qui continuent de chanter et de prier dans l’attente d’être exécutées. La dernière suppliciée fut la mère supérieure, Thérèse de Saint-Augustin, qui aura vu toutes ses filles périr avant qu’elle-même ne rejoigne à son tour son Créateur.
Leurs corps et leurs têtes sont ensuite jetés par les révolutionnaires, comme de coutume, à la fosse commune du cimetière de Picpus. Cette histoire, révélant encore une fois l’un des nombreux excès macabres de la Révolution, est aussi le témoin d’un événement extraordinaire. En effet, par un accomplissement céleste ou par coïncidence, les vœux des carmélites de s’offrir en holocauste « pour que la paix soit rendue à l’Église et à l’État » se réalisa dix jours après leur exécution quand, avec la chute de l’Incorruptible, la Terreur s’achève enfin.
Les carmélites sont béatifiées par le pape Pie X, le 27 mai 1906.
Note de BV : Voir aussi ce documentaire qui s'appuie sur les travaux récents de la recherche historique et raconte la véritable histoire des Carmélites de Compiègne. Le film suit le travail de la petite équipe carmélitaine qui oeuvre à la cause de canonisation, et offre des témoignages de personnes touchées par les Bienheureuses. Une coproduction KTO/DE GRAND MATIN 2024 - Réalisation François Lespés.