Pour ma part, je ne trouve rien de plus fascinant qu'une cicatrice qui fend la joue d'un homme ou qu'une petite ligne impétueuse qui coupe un sourcil. Quand nous étions petits, le plus séduisant et le plus populaire de la bande avait toujours des croûtes sur les genoux, le nez cassé ou une dent fendue. Quand, arrivée à l'âge adulte, on me proposa de faire disparaître au laser une vieille cicatrice, je m'enfuie en maudissant ce docteur qui osait vouloir éliminer cette médaille de guerre!
Il est clair qu’aujourd’hui les choses ont changé mais si d’un côté existe une tendance à corriger les « défauts », de l’autre on a vu se développer des « sous-cultures » comme le tatouage, la scarification ou les modifications corporelles. Mais, au-delà de ces modes circonstancielles et parfois ridicules, il existe des hommes qui se défient à la Mensur, discipline d’escrime à armes réelles, protégeant seulement les points vitaux et arborant fièrement des cicatrices qui leurs permettront dans le futur d’être reconnus par leurs pairs.
L’akademisches Fechten ou Mensur est un combat à l’épée traditionnellement pratiqué par certaines corporations étudiantes (Studentenverbindungen), en Allemagne, Autriche, Suisse et dans une moindre mesure en Estonie, Lituanie, Pologne et dans les Flandres.
La Mensur moderne n’est pas un duel, ni un sport mais une méthode traditionnelle d’entraînement physique et surtout moral visant à forger le caractère et la personnalité. C’est pourquoi personne ne gagne ou ne perd un combat de Mensur.
A la différence des sports de combat, les participants maintiennent leur position à une distance fixe. A l’origine de la Mensur, les participants étaient vêtus normalement ou éventuellement protégés au cou, au bras et à l’abdomen. Actuellement, les duellistes portent une cotte de maille, leur bras et leur main tenant l’épée sont protégés ainsi que le cou. Ils portent aussi des lunettes métalliques ressemblant à celles des soudeurs, protégeant les yeux et le nez. La rencontre se tient à distance d’un bras. Le corps demeure statique et les combattants cherchent à frapper le visage et la tête de l’adversaire. Il n’est pas permis d’esquiver les coups en bougeant, mais seulement en les parant avec son épée. Le but de la Mensur n’est donc pas d’éviter les blessures mais bien de les supporter stoïquement. Deux médecins sont présents lors des rencontres, un pour chaque combattant, afin de les soigner et éventuellement d’interrompre le combat si nécessaire.
Les participants, appelés « Paukanten », utilisent des épées spécialement adaptées à cette discipline. Ces « Mensurschläger » existent en deux versions. L’arme la plus commune est la « Korbschläger » qui dispose d’une poignée en forme de panier. Dans certaines universités de l’Allemagne orientale (Berlin, Leipzig, Greifwald, Dresde, Francfort, Freiberg) est utilisée la « Glockenschläger » qui a une poignée en forme de cloche. Certaines universités occidentales utilisent les deux types d’arme en particulier en raison des déplacements qui eurent lieu après la seconde guerre mondiale.
Les cicatrices infligées durant une Mensur se nomment « Schmiss » et étaient portées avec honneur en particulier durant la seconde moitié du 19ème siècle et au début du 20ème. Aujourd’hui, les « schmiss » sont un peu moins visibles du fait de l’amélioration des techniques médicales. De plus, le nombre de Mensur obligatoire a été considérablement réduit ces dernières années. Malgré cela, les cicatrices sont encore un symbole visible d’appartenance à une certaine « élite », la plupart sont infligées sur la partie gauche du front.
La Mensur n’est pas originaire d’Allemagne mais bien d’Espagne. Elle y apparaît à la fin du 15ème siècle et bientôt ces duels vont être pratiqués par un grand nombre d’aristocrates européens. Dans le Saint Empire Romain Germanique, la Mensur était pratiquée par les étudiants. Les bagarres et les conflits étaient fréquents dans le monde étudiant germanique et ainsi les duels se développèrent dans le monde académique afin d’encadrer et de réglementer ceux-ci. Les étudiants de l’époque étaient considérés comme une élite distincte du commun des mortels, ils s’habillaient de manière reconnaissable et pratiquaient des rites, des célébrations et des chants spécifiques. Ces duels s’appelaient en réalité « rencontres », en français dans le texte.
Gérer la violence et construire des caractères
Les armes utilisées étaient les mêmes que celles employées dans le duel civil, la rapière et la dague (Kostümdegen) qui étaient portées quotidiennement et toujours prêtes à l’usage. La vie des étudiants de l’époque était dangereuse, en particulier au 16ème et 17ème siècle en raison des guerres de religion et de la guerre de 30 ans (1618-1648). Chaque jour, les étudiants pouvaient être amenés à faire l’usage de leurs armes.
Ce fut la nécessité de gérer cette violence qui provoqua l’introduction de règles de conduite. Ces règlements apparaissent au 18ème siècle, le duel était décidé au moment de l’offense puis le jour et le lieu du combat étaient fixés lors de négociations officielles. C’est le rôle du « Kartellträger » d’arranger la rencontre. Chaque duelliste était acocmpagné d’un protecteur qui pouvait intervenir, même physiquement, en cas d’injustice ou de tricherie. Lors de la rencontre, un arbitre et deux médecins étaient présents comme nous l’avons dit plus haut.
Après la Révolution française, le port d’arme fut abandonné, voire contrôlé ou pire interdit. Ceci réduit considérablement le nombre de duels qui devinrent clandestins. Ce fut alors que l’on introduit le fleuret français afin de continuer à s’entraîner et ne pas perdre la main. En effet, bien qu’interdits, on sait que les duels étaient régulièrement pratiqués de manière illégale en utilisant des épées aiguisées. C’était la méthode par excellence pour résoudre des conflits d’honneur car les questions d’honneur ne peuvent être résolues qu’en utilisant de véritables armes.
Les étudiants pratiquant la Mensur effectuent, en moyenne, entre 10 et 30 duels. Fritz Bacmeister, un étudiant allemand détient le record du nombre de Mensur combattues durant le 19ème siècle avec 100 rencontres combattues à Göttingen, Iéna et Würzburg entre 1860 et 1866. Au 20ème siècle, le record est détenu par Alexander Liesch avec 60 rencontres!
Ces duels ne naissaient pas seulement d’une soirée trop arrosée, par pure brutalité ou bravade mais participaient de la construction du caractère du jeune homme qui était jugé à sa façon de combattre. Quand vinrent à manquer les motifs de duels, les corporation étudiantes commencèrent à obliger leurs étudiants à se défier à la Mensur au moins une fois par année scolaire. Du fait de l’amour de la précision allemande, il était nécessaire de créer une offense mais qui ne blesse pas non plus excessivement l’amour propre de l’étudiant.
Naturellement, la Mensur présentait des différences selon qu’elle opposait des étudiants ou des officiers. Dans le cas des militaires, on utilisait des épées réglementaires plutôt que des dagues ou autres armes. De nombreux officiers avaient alors le visage marqué de cicatrices. Pensons par exemple à Otto Skorzeny, célèbre SS-Obersturmbannführer dans la Waffen-SS, qui se distingua sur le front de l’est. Sa joue gauche était traversée par une énorme « Schmiss ». Durant le Troisième Reich, la Mensur et les Corporations étudiantes furent abolies car susceptibles d’échapper au contrôle absolu du « parti ». Après guerre, ces corporations furent reformées et de nos jours des centaines d’étudiants pratiquent encore la Mensur, faisant perdurer une tradition jugée barbare par certains, glorieuse par d’autres.
« Pour découvrir, pour la première fois en photos, la Mensur de l’intérieur
www.latestadiferro.org/prodotto/bloodline/
https://www.revue-elements.com/mensur-les-cicatrices-sont-des-medailles/