La réalité militante est souvent marquée par une certaine tristesse, alimentée par des échecs répétés au fil des décennies. Je n’ai jamais applaudi à ce que certains considèrent comme des sursauts d’espoir : les qualifications de Jean-Marie et Marine Le Pen pour le second tour d’une Présidentielle ou les succès du Rassemblement National lors d’élections dites intermédiaires. Ces faits n’ont guère changé la situation catastrophique de la France. Loin de représenter de véritables tournants, ils révèlent au contraire les limites de l’électoralisme face aux crises majeures qui frappent notre pays.
Ces prétendues réussites électorales sont souvent perçues par les aficionados de ces partis politiques comme des avancées significatives, au mépris des faits : chômage et violences endémiques, paupérisation des classes moyennes et inférieures, promotion de lois contraires à l’ordre naturel, etc. En réalité, ces supposées victoires ne font que que souligner la satisfaction de peu et la tendance à se contenter de gains symboliques ou éphémères. Récemment encore, certains, après le premier tour des Régionales, ont vraiment cru que Bardella occuperait Matignon. C’était là faire preuve de naïveté, de bêtise, ou d’une méconnaissance profonde du système médiatique et républicain qui régente notre société.
Comme toujours, le réel a rattrapé ces doux rêveurs, perdants éternels brisant leurs illusions de lendemains qui chantent. En définitive, ceux qui participent aux élections et se félicitent de ce qu’ils considèrent comme des succès aiment se rassurer sur leurs choix : un phénomène d’auto-satisfaction. Ils justifient l’absence de résultats concrets pour la société en expliquant que les votes permettent malgré tout de nourrir un espoir. Apparemment, 50 ans d’échecs électoraux ne suffisent toujours pas à remettre en cause la faillite de ces stratégies électorales. Cette persistance aveugle témoigne d’un déni certain et d'une volonté de s’accrocher à des méthodes qui n’inversent pas les tendances délétères ni ne provoquent de changements profonds.
Ils acceptent des compromis et, parfois, finissent par se compromettre pour des résultats qui, sur le long terme, n’inversent en rien la dynamique négative détruisant notre pays. L’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002, dans un contexte pourtant très favorable, les a amusés. Ils pérorent même bravement : « C’était trop bon de voir la tête des gauches et des gauchistes en crise ou en larmes ». Mais depuis ce fameux 21 avril, notre pays s’enfonce toujours plus dans la fange…
Réduire la politique et l’action militante à ce genre de considérations, putativement amusantes, montre l’étendue du désastre qui touche ces milieux. Ces réactions pusillanimes ne m’intéressent guère. Restons concentrés sur la doctrine et la bataille d’idées. Jean-Marie Le Pen n’a jamais défendu le traditionalisme politique français fondé sur le catholicisme et le monarchisme. Même dans le cadre républicain, cette surprise électorale n’a rien apporté de bon pour la France et les Français. Se satisfaire de ce type de résultats ou de quelques protestations isolées révèle un fatalisme militant, qui freine l’audace et l’engagement en profondeur.
Cette attitude ne fait qu’alimenter la médiocrité intellectuelle et renforce le spectre de la défaite, car les objectifs initiaux — prendre le pouvoir ou changer la donne dans la société — sont perdus de vue. Leurs satisfactions démocratiques empêchent une prise de conscience lucide. Malgré les revers successifs, les fausses victoires et la situation catastrophique du pays, rares sont ceux qui souhaitent remettre en cause le bien-fondé de l’électoralisme et envisager une alternative institutionnelle à la République.
En effet, même si la situation est difficile et que notre camp — au sens large — accumule les défaites, les désillusions et les trahisons, nous ne devons jamais perdre de vue l’Espérance qui doit nous animer. Le combat pour la France et le Bien Commun nous impose de toujours envisager la victoire finale, malgré les embûches et les peaux de banane semées sur notre route. Cette foi chevillée au corps, héritée de nos Ancêtres, doit nous pousser au dépassement de soi pour ne jamais céder au découragement. Le combat politique n’est pas une course de vitesse mais un marathon. Il nous faut militer à temps et à contretemps, pour reprendre une formule biblique, sans oublier que les grandes victoires exigent un engagement constant et une Espérance inébranlable.
Ceux qui s’engagent pour défendre leurs convictions se heurtent à un monde indifférent, où leurs efforts peinent à trouver un écho, car les victoires politiques et militantes sont rares. Dans un environnement où les convictions profondes et les valeurs sont souvent inaudibles, les militants affrontent la lassitude, le désespoir et le découragement. Ainsi, certains en profitent pour justifier l’inaction ou un désintérêt relatif pour la politique. Cruelle erreur ! Il est vrai que les actions militantes depuis des années n’entraînent que peu de changements visibles. Par conséquent, la désillusion s’installe chez nos contemporains qui semblent inertes et impassibles face aux catastrophes que nous vivons.
En réalité, la société militante, dite de droite, s’habitue à des gains modestes et se contente de victoires éparses ou dérisoires. Souvent, et je ne peux que regretter cette tendance, la défense de grandes causes se transforme en petites revendications. Les militants eux-mêmes finissent par accepter des accommodements bien loin des attentes initiales. L’excuse de minorité sert parfois de double justification pour expliquer l’incapacité à remporter la bataille politique et pour se rassurer quant à la faible portée de leur militantisme. D’une part, ils se contentent de dire : « Il est normal de ne pas peser dans le débat public en étant minoritaires ». D’autre part, ils se disculpent en disant que « c’est déjà bien de résister, même si nous ne sommes pas nombreux ».
Ces deux réponses s’avèrent en réalité catastrophiques. Elles mènent finalement à une satisfaction facile, où le peu devient acceptable, et où l’acceptable devient la norme. Pire encore, elles remplacent l’aspiration à de réels progrès par une tolérance des demi-mesures et de prétendues victoires symboliques, sans effet concret. Or, le cardinal Pie d’heureuse mémoire disait justement : « Avec un demi-christianisme on ne sauvera rien : les demi-moyens et les demi-remèdes n’ont plus d’efficacité. Et moi je déclare qu’avec un minimum de religion, le salut public est devenu impossible. Être franchement, pleinement chrétien, dans la croyance comme dans la pratique, affirmer toute la loi doctrinale comme toute la loi morale, c’est nécessaire ; mais ce nécessaire sera efficace ».
La constitutionnalisation de l’avortement fut adoptée sans provoquer la moindre vague, comme une lettre à la poste. Les partis et médias dits de droite sont restés muets face à cette décision scandaleuse. Quand je dis qu’ils sont restés silencieux, cela signifie qu’ils n’ont pas eu le courage de s’élever contre cette initiative mortifère du pouvoir républicain. Pourtant, certains se satisfont de la publication, par une infime minorité d’évêques, d’un texte de protestation passé totalement inaperçu. Comment peut-on se contenter d’une réaction aussi faible, aussi timide, et purement symbolique ? Voilà encore l’excuse de minorité à l’œuvre. Elle se traduit par un renoncement caché sous le prétexte fallacieux suivant : « C’est mieux que rien ». Refusons cette attitude minimaliste qui nourrit le défaitisme et étouffe l’ambition d’accomplir de grandes prouesses pour des causes vitales.
Si la droite était réellement fidèle à sa vocation, c’est-à-dire ancrée dans une optique authentiquement traditionnelle, tous ses acteurs – personnalités, groupes, médias, associations – se seraient levés d’une seule voix pour dénoncer ce crime odieux contre la loi naturelle. Cet exemple démontre le manque criant de mobilisation franche et déterminée, révélant même une certaine carence en héroïsme. Lors de discussions récentes à ce sujet, certains m’ont présenté l’argument suivant : « Si les évêques parlent, ils savent qu’ils ne seront pas écoutés ». Quelle erreur de jugement manifeste ! Une telle posture démontre une inversion profonde des priorités, où la crainte de ne pas être entendu prime sur l’impératif de rendre témoignage à la vérité pour défendre l’ordre naturel. Elle traduit surtout un manque criant de logique…
Prenons l’exemple illustre de saint Ambroise de Milan, un modèle incarnant parfaitement le contraire de cette pensée timorée et aberrante. Ambroise ne fut pas suivi par les Milanais et les Lombards en raison de son titre ou de son nom, mais bien pour ses vertus et talents qui avaient inspiré sa nomination comme évêque. En tant que successeur des Apôtres, il déploya un zèle chrétien remarquable, contribuant notamment à la conversion de saint Augustin d’Hippone. Sa renommée ne tenait pas à des mots vides, mais à la puissance de ses homélies et à sa pratique constante de la charité. Ce fut par son sens aigu de la justice, sa foi inébranlable en Jésus-Christ, sa détermination à défendre les plus faibles qu’il gagna l’adhésion et le respect de ses contemporains, riches ou pauvres, puissants ou anonymes. Ambroise symbolise ainsi une figure qui, loin de céder aux compromissions ou de justifier l’inaction, affirma avec courage et fidélité les principes chrétiens.
Pour rappel, Ambroise n’hésita pas à s’opposer à l’empereur Théodose, qui, par mesure de répression collective, avait injustement fait massacrer un dixième de la population de Thessalonique, soit des milliers de personnes. Pour Ambroise, le coupable, premier personnage de l’Empire, devait se soumettre à la pénitence publique, comme n'importe quel chrétien. L’empereur n'était pas seulement un chrétien à titre privé, car le christianisme s’identifiait alors avec l’Empire, étant même considéré, le cas échéant, comme religion d’État. Pour Ambroise, l'Église possédait seule la vérité absolue, reçue de la parole même de Dieu. En tant que dignitaire de l’Église, il estimait avoir un droit imprescriptible d'intervenir politiquement lorsque cette vérité était menacée par le pouvoir civil. Ambroise ne pouvait pas admettre que Théodose imposât aux habitants de l’Empire des décisions illégitimes.
Pendant des semaines, Théodose et Ambroise échangèrent des lettres, chacun restant ferme sur sa position. Cependant, Théodose, toujours interdit d’entrer dans la cathédrale de Milan pour accomplir ses devoirs religieux et ayant perdu le soutien des chrétiens, accepta finalement de s'humilier publiquement en se mettant à genoux devant Ambroise pour demander humblement pardon. Ambroise, ou plus exactement l’Église, avait triomphé face au pouvoir civil. Théodose fut enfin admis à la communion par saint Ambroise le 25 décembre 390.
Initialement, Ambroise ignorait s’il serait suivi par les chrétiens milanais à chaque fois qu’il posait un acte fort. Cependant, cette incertitude ne l’empêcha point d’accomplir sa mission d’évêque et de chrétien. Il a parlé, prêché, donné la direction à suivre, et les Milanais l’ont suivi. Ils l’encouragèrent même dans sa volonté de toujours défendre le Christ, l’Église et les chrétiens. Ambroise ne se cacha pas derrière les pouvoirs civils dont disposait Théodose pour éviter d’afficher ses convictions profondes, pas plus qu’il n’exprima des demi-vérités en chaire. Le combat politique ne pourra pas faire l’économie du discours de vérité et d’une prise de risque raisonnée et raisonnable.
De même, certains m'avancent l'argument du grain de sable pour avancer l’excuse de minorité. Mais encore une fois, les faits donnent tort à ceux qui suivent cette mauvaise stratégie. Un grain de sable peut effectivement enrayer le mécanisme d’une machine, la faisant cesser de fonctionner. Je cherche toujours ces grains de sable qui pourraient bloquer la culture de mort. Il faut être honnête et objectif : cet argument du grain de sable ne résiste pas à l’examen des faits.
Nous l’avons bien vu avec La Manif pour Tous ou la Marche pour la Vie. À cause de mauvaises stratégies et de principes mal adaptés, ces actions militantes n’ont jamais atteint leurs objectifs, à savoir remettre en cause les lois anti-naturelles. Bien au contraire, le gouvernement a, par la suite, renforcé ces directives. Il ne faut jamais confondre nos vœux avec la réalité. Nous devons partir de la réalité pour bâtir nos raisonnements, et non l'inverse.
Le problème reste entier. Certains, qui aimeraient éventuellement agir, ne prennent pas le chemin du militantisme en se basant sur les échecs répétés des prétendus grains de sable. Les autres justifient leur inactions en prenant appui sur l’inutilité et l’inefficacité du militantisme. Les militants, eux, disent « nous avons le mérite de militer malgré tout ». Ainsi, l’excuse de minorité pose un problème majeur, tant sur le plan intellectuel que dans l’ordre de l’action. D’un côté, elle justifie les militants qui persistent dans leur stratégie infructueuse ; de l’autre, elle sert de prétexte pour ceux qui refusent ou hésitent à s’engager…
Où sont passés aujourd’hui les Ambroise de Milan ? Ce n’est pas en refusant le combat politique que les catholiques pourront espérer gagner. Si les évêques ne protestent pas de manière franche contre la constitutionnalisation de l’avortement, qui le fera ? Les catholiques du quotidien, malheureusement en ordre dispersé, n’obtiennent que des résultats bien insuffisants. Pourtant, vous trouverez toujours des catholiques et même des prêtres pour vous dire : « Sept évêques qui dénoncent l’avortement c’est mieux que rien »…
Pour toutes les raisons exposées dans cet article, il est impossible de se satisfaire de cette position pusillanime. Très souvent, pour justifier l’excuse de minorité, ils expliquent que très peu de chrétiens se trouvaient aux pieds de la Croix. Mais est-ce vraiment le sujet ? En toute sincérité, le parallèle est-il pertinent ? Suite au meurtre de l’Innocent, les chrétiens conquirent tout l’Empire romain. Nous en sommes très loin aujourd’hui. De plus, cette mort était prévue et annoncée dans les Écritures. Cet argument est nul et non avenu. Nous ne pouvons nous contenter de la passivité et de l'attentisme. Soyons les moteurs du changement pour porter une voix forte dans la société, sans faiblesse ni caricature.
En fin de compte, la résignation semble avoir pris le pas sur la volonté d’agir. Il en résulte une passivité qui fragilise l’ardeur militante et nourrit l’acceptation des demi-mesures. L’excuse de minorité sert d’étendard pour blanchir les défaites ainsi que la passivité des uns et l’inactivité des autres. Face à cette situation, il est crucial de raviver l’esprit de lutte, de renouer avec des convictions fortes et de refuser toute forme de compromis qui érode nos principes. Le combat pour la Vérité, la Justice et le Bien Commun doit être mené avec audace et persévérance, car seul un engagement sincère et sans concession pourra réellement changer le cours des événements et éveiller les consciences endormies…
par (son site)
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-excuse-de-minorite-257551