Par Gérard Leclerc
Sans doute convient-il qu’à chaque génération une nouvelle histoire de France soit proposée pour une prise de conscience d’un passé sans lequel nous ne serions pas ce que nous sommes. Michelet, Lavisse, Bainville ont été ainsi les médiateurs nécessaires de cette transmission. Philippe Delorme s’inscrit donc à leur suite, avec une autorité telle que son préfacier, Jean Tulard, peut écrire que son livre « devrait s’imposer à la place des manuels scolaires ». C’est dire son importance à un moment plutôt critique, où il n’est question que de déconstruction plutôt morbide, selon les canons de la religion wokiste.
Dans un tel climat, Philippe Delorme se veut historien rigoureux. Ni romance, ni repentance, proclame-t-il. J’aurais quelques remarques à faire sur la notion de roman national éveillée jadis par mon ami Paul Yonnet, mais ce qui relève de l’imaginaire d’un peuple doit se distinguer de la rigueur disciplinaire de l’historien de métier. Reste que celui-ci est forcément doté de convictions étayées par une longue pratique des destinées françaises. Philippe Delorme ne cache nullement « ses goûts et ses prédilections », au point de conclure son récit par un exposé sur la façon dont il conçoit la rénovation de nos institutions actuelles, en fonction des leçons qu’il a pu tirer de toutes les séquences qu’il a livrées à ses lecteurs.
Il n’est pas question ici d’esquisser la synthèse des 45 séquences qu’il a choisies, parce qu’elles lui semblaient le mieux caractériser les 2000 ans de la nation française. Elle se distingue par un souci de précision extrême, écartant les aspects légendaires mais revêtant aussi un aspect concret qui fixe l’attention et les rend comme familières. Au passage, on peut retenir quelques événements qui ont une résonance actuelle, du fait des phénomènes de civilisation qu’ils mettent en évidence. Ainsi, la fameuse victoire de Charles Martel qui arrêta l’invasion arabe près de Poitiers. L’enjeu est tellement frappant qu’il provoque la controverse. Philippe Delorme fournit sa propre interprétation. Une victoire aurait permis aux conquérants « encore mal islamisés » de s’installer sur notre territoire, de le coloniser et de l’intégrer au Dar al-Islam. « Mais il apparut que le mouvement parti de La Mecque, un siècle auparavant avait alors atteint sa plus haute crue, comme le flux aux marées d’équinoxe… »
Faut-il s’arrêter à Jeanne d’Arc ? Je ne connaissais pas, à son propos, le texte du pape Pie II (1458-1464) : « Ainsi mourut Jeanne, l’admirable, la stupéfiante vierge. C’est elle qui releva le royaume des Français abattus et presque désespérés, elle qui infligea aux Anglais tant et de si grandes défaites. À la tête des guerriers, elle garda au milieu des armées une pureté sans tache, sans que le moindre soupçon n’ait jamais effleuré sa vertu ».
En sautant les siècles, on peut saluer le Roi-Soleil, qui peut paradoxalement se montrer très familier de ses sujets et qui donnera, en ses derniers jours, l’exemple d’une foi solide. Mais n’y avait-il pas eu une véritable conversion à un moment du règne ?
Quant à la Révolution de 1789, elle est racontée sous un mode descriptif, permettant de comprendre ce qu’il y a d’aléatoire jusque dans les grands mouvements telluriques qui ont fait trembler le monde. De là le jugement de Taine, qui demeure l’un des meilleurs analystes de l’époque : « Le propre d’une insurrection populaire, c’est que, personne n’y obéissant à personne, les passions méchantes y sont libres autant que les passions généreuses, et que les héros n’y peuvent contenir les assassins ».
Philippe Delorme pratique assez peu ce qu’on appelle la philosophie de l’histoire, même sous le mode d’un François Furet, dont il reconnaît qu’il a accompli une mutation décisive dans l’interprétation de la Révolution. Mais la façon dont il suit et décrit notre aventure nationale nous permet d’être au plus près de ses acteurs. Ainsi se vérifie le conseil de Jean Tulard. Sa Contre-histoire de France peut servir agréablement de manuel à l’usage des jeunes générations.
https://www.actionfrancaise.net/2024/12/01/contre-manuel-dhistoire/