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[TRIBUNE] L’UE applique-t-elle de l’État de droit ou le fait du prince ?

© Fred Romero/Wikimédia
© Fred Romero/Wikimédia
Qu’il me soit permis, en tant qu’ancien ambassadeur de Hongrie grandi dans la culture juridique française, d’apporter ma contribution au débat actuel sur l’État de droit. L’État de droit n’est autre que l’inverse du fait du prince.

Sous le fait du prince, les citoyens sont gouvernés par un prince qu’ils n’ont pas choisi et dont ils subissent passivement les décisions, sans avoir le moyen de les influencer. Certes, il faut espérer que le prince gouverne dans l’intérêt de ses sujets, mais rien ne le garantit.

Sous l’État de droit, les citoyens sont gouvernés par un ensemble de règles – dont la base est le suffrage universel – qu’ils ont librement choisies au travers d’élections libres tenues sans contrainte et qui s’appliquent uniformément à chacun d’entre eux d’une manière réglementée et connue d’avance, dans le respect du principe de non-rétroactivité de la règle de droit. Dans la mesure où ces critères sont satisfaits, il faut admettre pour postulat que le citoyen, par l’exercice de son suffrage, ne votera pas dans un sens attentatoire à ses propres intérêts.

Dévoiement et instrumentalisation de la notion d’État de droit

Quels sont ces intérêts ? Comme l’a récemment très bien écrit Jean-Eric Schoettl dans les colonnes du Figaro : le libre exercice des libertés publiques, c’est à dire vivre, se déplacer, travailler, mener une vie privée et familiale, contracter, entreprendre, exprimer son opinion, ainsi que leur condition première : la garantie de la sûreté. Sous l’État de droit, le citoyen est en mesure de contrôler l’application de ces critères par la répétition des élections à intervalles réguliers.

La réalisation de ces critères suffit amplement à épuiser la définition de l’État de droit. On nous dit parfois que les citoyens peuvent se tromper, qu’une catégorie d’électeurs est inculte, ou manipulée ; c’est conceptuellement faux : l’électeur ne peut être « manipulé » que par son ressenti, et par son environnement. C’est ce qui le différencie d’un robot. Prétendre qu’il a « mal voté » n’a démocratiquement aucun sens.

On ne peut que regretter le dévoiement de la notion d’État de droit, et son instrumentalisation à des fins politiques. Aucun État de droit n’a jamais comporté l’obligation de consentir à des politiques particulières (immigration, LGBT, etc.). Il ne peut être invoqué pour stigmatiser quiconque sur un plan politique, pire, justifier des « sanctions ». Hélas l’institution qui devrait en être le gardien suprême – l’Union européenne – s’en affranchit en permanence, épuisant la notion non plus de l’État de droit, mais du fait du prince. Le cas de la Hongrie est emblématique. Deux exemples.

L’année dernière, la Commission a contesté la présence de personnages politiques (ministres et secrétaires d’État) dans les conseils d’administration des universités et a privé celles-ci du droit aux fonds Erasmus+ et Horizon. La Hongrie a obtempéré, les intéressés ont démissionné. Mais ce « n’était pas suffisant » [sic]. La Hongrie cherche désespérément depuis des mois à savoir ce qui serait « suffisant », mais sans obtenir de réponse. Et les fonds Erasmus+ et Horizon sont toujours bloqués.

La Commission intente souvent contre la Hongrie des actions en « infraction aux règles communautaires » en sachant parfaitement que leur base juridique est fragile, voire inexistante, et qu’il s’agit davantage de controverses philosophiques que de questions de conformité à une règle de droit clairement reconnue par les deux parties, base de l’État de droit. Dans le cadre de cette procédure, elle « demande des explications » à la Hongrie. Ces explications sont données et redonnées, mais naturellement jamais acceptées. Car ne sachant eux-mêmes à quoi se référer, les commissaires concernés ne trouvent toujours qu’une seule et même réponse : « nous ne sommes pas satisfaits », laissant l’infortuné État-membre désemparé devant une situation sans issue. Ce petit jeu est indigne. L’ancien commissaire Reynders, chargé de la Justice [sic], a excellé dans cet exercice aussi peu juridique que possible. A la fin, on se demande quand ces commissaires daigneront être « satisfaits » : sans doute jamais, et nous retombons dans l’instrumentalisation de l’État de droit à des fins politiques.

Il me semble que, lorsqu’un différend apparaît – comme il est naturel – entre la Commission et un État membre, la moindre des choses soit de s’efforcer de le résoudre de bonne foi, pas de le faire durer en privant l’une des parties des moyens de répondre ou en jouant à cache-cache avec ce qu’on attend d’elle. La preuve négative n’a pas sa place dans l’État de droit.

Cette seule et sèche expression « nous ne sommes pas satisfaits » est terrible : elle est un coup de pied au concept même de droit, elle montre l’arbitraire et le fait du prince dans toute leur hideur : elle est politiquement compréhensible, mais juridiquement scandaleuse.

Difficile, dans ces conditions, de satisfaire le prince. Mais n’est-ce pas ce qu’il cherche ?

Georges Károlyi

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