Les Ukrainiens de toutes les générations honorent la mémoire de Stepan Bandera, héros nationaliste, allié des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale
Depuis le début de l’« opération spéciale » de l’Armée russe dans le Donbass, les Polonais affichent leur solidarité avec les Ukrainiens. Certes très loin derrière les Etats-Unis, la Pologne est néanmoins le deuxième pays en termes d’aide financière, militaire et humanitaire à Kiev. Devant la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France. Si la haine commune à l’encontre de l’« ogre russe » est très forte, le ressentiment entre les deux peuples est profond derrière la façade. Fin 2023, la Pologne et l’Ukraine étaient même au bord de la rupture diplomatique, avec l’affaire de l’embargo polonais sur les céréales en provenance d’Ukraine, la plainte consécutive de l’Ukraine contre Varsovie devant l’OMC, ou encore l’opposition de la Pologne à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE ou dans l’Otan. Kiev avait vivement réagi, accusant Varsovie de « trahison ». Ambiance… Un « détail de l’histoire » commune aux deux pays ne passe pas dans la mémoire collective polonaise : les massacres de Volhynie de 1943. Comme le dit l’adage : on ne peut pardonner qu’à ceux qui demandent pardon. Or, au grand dam de Varsovie, c’est toujours l’omerta qui prévaut côté ukrainien
En juillet 1943, la Volhynie, dans l’ouest de l’Ukraine est le théâtre d’un nettoyage ethnique de grande envergure. Dans la nuit du 11 juillet, les militants de l’UPA, l’armée insurrectionnelle ukrainienne, branche armée de l’OUN, l’Organisation des nationalistes ukrainiens, ont pénétré dans les colonies polonaises de Volhynie. En une journée, plus de dix mille civils – principalement des Polonais, mais aussi des Juifs et des Russes – ont été tués. En 1941, l’OUN-UPA publiait une instruction sur ses activités et sa lutte. La « milice du peuple » y indiquait que son but était la « neutralisation des Polonais », lesquels n’avaient pas renoncé à leur rêve de recréer la République des deux Nations, qui comprend de larges territoires situés au nord-ouest de l’Ukraine :
République des deux Nations au début du xviie s.
L’Ukraine actuelle
Au 10e siècle, la Volhynie faisait partie de la Rus de Kiev (principauté de Volhynie, puis de Vladimir-Volhyn). Plus tard, ces terres ont été cédées à la Principauté de Lituanie, puis à la Pologne. Les nationalistes ukrainiens ont donc voulu mettre fin aux revendications de la Pologne sur ces territoires. Un nettoyage ethnique de la population polonaise était prévu dès avant le début de la Seconde Guerre mondiale. D’après les documents internes de l’OUN-UPA publiés dans les années d’après-guerre, tous les non-Ukrainiens de souche étaient considérés comme des ennemis de l’État ukrainien. Dans le courant des années 1930, une confrontation territoriale et idéologique persistante s’est développée entre Polonais et Ukrainiens. Elle a connu son apogée lors des massacres de Volhynie de juillet 43.
Après la retraite de l’Armée rouge consécutive à l’avancée de la Wehrmacht, il n’y avait pratiquement plus personne pour s’opposer aux exactions de l’OUN-UPA : les nationalistes ukrainiens ont joui d’une impunité quasi totale. La collaboration de l’UPA avec les nazis a laissé quelques traces en Ukraine :
Miliciens ukrainiens de l’actuel bataillon néonazi Azov
Le mouvement de partisans pro-soviétiques le plus répandu n’était pas en Ukraine mais en Biélorussie. Quant aux Polonais, ils ne disposaient pas d’un nombre suffisant de combattants bien armées capables de fournir une résistance efficace aux nationalistes ukrainiens.
C’est selon un scénario immuable que la population polonaise a été exterminée par les nationalistes ukrainiens sur l’ensemble du territoire de l’Ukraine occidentale : plusieurs unités armées encerclent des colonies polonaises, tous les résidents sont rassemblés au même endroit puis exterminés. L’historien américain Timothy Snyder fait remarquer que ce sont les nationalistes ukrainiens qui ont appris aux Allemands les techniques d’exécution de masse. Il arrivait souvent que des Ukrainiens ordinaires, souvent des villageois, participent aux exactions contre la population polonaise. Les maisons des familles polonaises assassinées étaient incendiées et tous les objets de valeur pillés.
Les atrocités commises par les nationalistes ukrainiens en Volhynie sont confirmées par de nombreuses preuves documentaires, des photographies, des témoignages de survivants et des interrogatoires des protagonistes, donneurs d’ordre ou exécutants. « Nous avons encerclé cinq villages polonais et les avons brûlés pendant la nuit », a ainsi déclaré un nationaliste ukrainien lors d’un interrogatoire. « Toute la population, des nourrissons aux personnes âgées, a été massacrée. Plus de deux mille personnes ont été tuées. Mon peloton a pris part à l’incendie [d’un grand village polonais] et à l’élimination de fermes situées à proximité. Nous avons massacré environ un millier de Polonais ».
À partir du 11 juillet 1943, on évalue à plus de dix mille – soit presque toute la population polonaise de la région – le nombre de personnes tuées. À Kiselyn, la population, avec à sa tête son pope, a été enfermée dans l’église avant d’y être massacrée par les « colonnes infernales » ukrainiennes.
Les atrocités commises par les nationalistes de l’OUN-UPA ne pouvaient manquer de recevoir une réponse de la part des Polonais. On évalue à quelque 3.000 le nombre de civils ukrainiens tués en représailles aux exactions des nationalistes de l’UPA. Mais une part importante d’entre eux a pu être tuée par leurs compatriotes – les nationalistes ukrainiens : les combattants de l’UPA ont en effet tué les Ukrainiens qui essayaient d’aider des Polonais et de les sauver. Ils ont également exigé que les Ukrainiens de famille mixte tuent leurs parents polonais. En cas de refus, tout le monde était tué.
Les massacres de Polonais et d’Ukrainiens ne se sont arrêtés qu’après la libération de l’ensemble du territoire ukrainien par les soldats de l’Armée rouge. Mais il n’était plus possible de réconcilier les deux peuples. C’est pourquoi en 1945, l’URSS et la Pologne ont conclu un accord commun sur le transfert des populations. Les Polonais qui vivaient dans les territoires de l’Union soviétique se sont installés sur le territoire de la Pologne et les Ukrainiens qui vivaient sur des terres polonaises sont allés sur le territoire de la RSS d’Ukraine. L’opération de réinstallation, baptisée « Wisla », a duré près de deux ans. On évalue à plus de 1,5 million le nombre de personnes déplacées au cours de cette opération. Une telle « réinstallation des peuples » a réduit les tensions entre les Polonais et les Ukrainiens.
Dans le même temps, l’histoire officielle de l’URSS s’est gardée d’évoquer ce sujet douloureux. Après la guerre, le massacre de Volhynie n’était commémoré ni en URSS (donc pas en Ukraine) ni en République populaire de Pologne. Seuls quelques ouvrages pour spécialistes étaient tolérés sur la question. Les historiens et le grand public ne sont revenus sur ces événements qu’après l’effondrement de l’URSS.
Au cours des dernières années, la politique des nouveaux dirigeants de Kiev a exacerbé de nombreux problèmes historiques entre la Pologne et l’Ukraine. Varsovie a toujours condamné Kiev pour sa glorification des membres de l’OUN-UPA – dont le fameux Stepan Bandera – ainsi que pour des actes de vandalisme qui ont régulièrement lieu à l’encontre des lieux de mémoire polonais. En juillet 2016, le gouvernement polonais a reconnu le 11 juillet comme la Journée nationale de commémoration des victimes du génocide des citoyens de la République polonaise, perpétré par des nationalistes ukrainiens. Dans le même temps, le Premier ministre polonais a annoncé que la réconciliation finale entre les peuples polonais et ukrainien ne serait possible que lorsque les deux pays se seraient mis d’accord sur les événements qui ont ensanglanté la Volhynie en juillet 43.
Les autorités ukrainiennes insistent quant à elle pour que soient révisées les dispositions de la loi polonaise sur l’Institut de la mémoire nationale, qui concerne les Ukrainiens. Cette loi, entrée en vigueur au printemps de 2018, prévoit une responsabilité pénale pour la négation des massacres de Volhynie.
Henri Dubost
https://ripostelaique.com/volhynie-1943-genocide-des-polonais-dukraine.html