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Yalta 1945 – Entre coopération et rivalité : quelles leçons pour l’ordre mondial d’aujourd’hui ? (Partie 1)

par Ricardo Martins

Il y a 80 ans, entre le 4 et le 11 février 1945, la conférence de Yalta a prouvé que même des puissances rivales pouvaient coopérer pour assurer la stabilité mondiale. Alors pourquoi une telle diplomatie semble-t-elle impossible aujourd’hui ?

Cet article explore les enseignements de Yalta et les raisons pour lesquelles un nouveau grand compromis paraît hors de portée dans notre monde fracturé.

La Conférence de Yalta : un tournant majeur de la diplomatie internationale

La conférence de Yalta de février 1945 reste l’un des moments les plus marquants de la diplomatie internationale, façonnant l’ordre mondial d’après-guerre et établissant les bases de la sécurité et de la coopération. Malgré le fossé idéologique entre les Alliés et l’Union soviétique, les «Trois Grands» – Joseph Staline, Winston Churchill et Franklin D. Roosevelt – sont parvenus à des accords cruciaux qui ont non seulement déterminé le sort de l’Europe d’après-guerre, mais aussi jeté les fondations des Nations unies.

Pourtant, l’esprit de Yalta semble aujourd’hui bien lointain dans un climat géopolitique profondément divisé. L’espoir de bâtir un ordre mondial stable et coopératif après la Guerre froide s’est progressivement effondré, laissant place à une montée des tensions, en particulier entre la Russie et l’Occident. L’expansion de l’OTAN, la crise ukrainienne et le retour des rivalités idéologiques ont créé un contexte où un nouvel accord dans l’esprit de Yalta paraît de plus en plus irréalisable.

Cet article revient sur les grandes décisions de la conférence de Yalta, analyse comment des puissances aux visions opposées ont trouvé un terrain d’entente, et explore pourquoi une telle coopération semble inatteignable en 2025.

Yalta : un moment décisif pour l’ordre mondial d’après-guerre

En février 1945, la défaite de l’Allemagne nazie était imminente. L’Armée rouge avait déjà libéré une grande partie de l’Europe de l’Est, tandis que les Alliés occidentaux progressaient à travers la France et la Belgique vers la frontière allemande. Avec l’issue de la guerre désormais certaine, les dirigeants alliés se réunirent à Yalta, en Crimée, du 4 au 11 février 1945, pour négocier les conditions de la paix et la réorganisation de l’Europe.

Les principales décisions prises lors de la conférence furent les suivantes :

Occupation et démilitarisation de l’Allemagne : L’Allemagne fut divisée en quatre zones d’occupation (contrôlées par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’URSS et la France), avec un engagement à éradiquer le nazisme.

Les frontières et le gouvernement de la Pologne : Staline obtint la reconnaissance d’un gouvernement pro-soviétique en Pologne, en échange d’une promesse d’élections libres – une promesse qui ne fut jamais totalement tenue.

La création des Nations unies : La conférence posa les bases de l’ONU, avec la participation de l’URSS en échange de l’adhésion de l’Ukraine et de la Biélorussie en tant que membres distincts.

Le conflit avec le Japon : Staline accepta d’entrer en guerre contre le Japon après la capitulation de l’Allemagne, en échange de concessions territoriales en Asie.

Les accords de Yalta reflétaient à la fois une volonté de coopération et une profonde méfiance. Tandis que les dirigeants parvinrent à des compromis, les premières fissures de la Guerre froide étaient déjà visibles. Les Alliés occidentaux voulaient instaurer des gouvernements démocratiques dans les nations libérées, tandis que l’Union soviétique cherchait à garantir sa sécurité en établissant une zone tampon de pays amis. Malgré ces tensions, la conférence reste un exemple de diplomatie pragmatique dépassant les clivages idéologiques dans un objectif commun : prévenir de futurs conflits.

La signification de Yalta pour l’ordre mondial d’après-guerre

Bien que Yalta soit ensuite devenue synonyme de la division de l’Europe, elle fut perçue à l’époque comme un compromis nécessaire pour garantir la stabilité. Les décisions prises lors de la conférence ont façonné le système de Yalta-Potsdam qui, malgré ses imperfections, a instauré un ordre international ayant empêché une nouvelle guerre mondiale.

La coopération réalisée en 1945 est remarquable au regard du fossé idéologique qui séparait l’Occident capitaliste et l’Union soviétique communiste, comme l’a souligné l’historien S.Plokhy. L’objectif commun de vaincre le nazisme avait temporairement éclipsé les divergences stratégiques à long terme. Cela démontre que, même entre puissances rivales, une diplomatie pragmatique peut aboutir à des accords servant des intérêts globaux plus larges.

Cependant, cet esprit de coopération s’est rapidement dissipé. Dès 1947, la doctrine Truman et le plan Marshall signalaient l’engagement de l’Occident à contenir l’influence soviétique, tandis que Staline consolidait son emprise sur l’Europe de l’Est. La Guerre froide était enclenchée, et l’unité forgée à Yalta laissa place à des décennies de rivalité géopolitique.

Des occasions manquées pour une nouvelle architecture de sécurité en Europe

Malgré les tensions de la Guerre froide, plusieurs moments auraient pu permettre l’émergence d’un ordre sécuritaire plus coopératif entre l’Est et l’Ouest. Ces opportunités, cependant, n’ont pas été saisies, laissant place à un climat de méfiance et de confrontation. Voici quelques exemples de ces moments :

Le «Maison commune européenne» de Gorbatchev

Dans un discours prononcé en 1989 devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg, Mikhaïl Gorbatchev a exposé sa vision d’une Maison commune européenne : une Europe débarrassée de ses divisions idéologiques et fondée sur une coopération sécuritaire entre l’Est et l’Ouest. Il insistait sur l’importance du réalisme politique et de la nécessité d’une sécurité mutuelle pour garantir la stabilité du continent.

Cependant, après l’effondrement de l’Union soviétique, l’élargissement de l’OTAN a remplacé l’idée d’une sécurité indivisible. Ce changement a progressivement exclu la Russie de l’architecture sécuritaire européenne, renforçant à Moscou l’idée d’un encerclement occidental et alimentant un sentiment d’isolement stratégique.

Le Sommet de Malte en 1989

En décembre 1989, Gorbatchev et le président américain George H.W. Bush se sont réunis à Malte, où ils ont officiellement acté la fin de la Guerre froide et exprimé leur optimisme quant à l’émergence d’un nouvel ordre européen fondé sur la coopération. Lors de cette rencontre, ils se sont engagés à accélérer la réduction des armements et ont mis en avant des solutions politiques plutôt que militaires pour structurer la nouvelle Europe.

Gorbatchev a plaidé pour une transformation de l’OTAN et du Pacte de Varsovie, soulignant qu’ils «ne devaient plus rester de simples alliances militaires, mais évoluer vers des alliances politico-militaires, puis, à terme, vers de simples alliances politiques».

Cet espoir d’une sécurité collective plus inclusive fut toutefois de courte durée. Très vite, l’OTAN a poursuivi son expansion vers l’est, sapant la dynamique de coopération initialement envisagée à Malte et renforçant la perception russe d’un retour à la confrontation géopolitique.

La proposition de Medvedev en 2008 pour une nouvelle architecture de sécurité européenne

En juin 2008, le président russe Dmitri Medvedev a proposé un traité de sécurité européenne reposant sur le principe de la sécurité indivisible – autrement dit, la sécurité d’un État ne doit pas se faire au détriment d’un autre. Ce projet visait à instaurer un cadre de sécurité global et inclusif pour l’ensemble du continent européen.

Malgré son potentiel, cette initiative a été ignorée, l’OTAN poursuivant son expansion et marginalisant davantage la Russie au sein des structures sécuritaires européennes. Cette absence de prise en compte des préoccupations russes a alimenté une méfiance croissante entre Moscou et l’Occident.

La proposition de Poutine en 2010 d’une zone de libre-échange économique

En novembre 2010, le Premier ministre russe Vladimir Poutine a avancé l’idée de créer une communauté économique harmonieuse s’étendant de Lisbonne à Vladivostok, une vision ambitieuse d’un marché unifié englobant l’Europe et la Russie. Il a suggéré que ce projet pourrait évoluer vers une zone de libre-échange ou d’autres formes avancées d’intégration économique, avec un potentiel économique évalué à plusieurs milliers de milliards d’euros.

Bien qu’une étude européenne ait reconnu que cette intégration servirait au mieux les intérêts de l’UE, la proposition a été largement rejetée par les dirigeants européens. L’Occident a préféré poursuivre l’élargissement de l’OTAN et d’autres politiques sécuritaires qui excluaient la Russie des grandes décisions stratégiques. Cette approche a renforcé à Moscou le sentiment d’être tenu à l’écart et marginalisé dans l’architecture sécuritaire européenne.

En conclusion, une méfiance profondément enracinée

Ces différents épisodes montrent que des opportunités pour bâtir une architecture sécuritaire plus inclusive et coopérative ont bel et bien existé. Leur non-aboutissement a renforcé l’idée, à Moscou, que l’Occident cherchait moins à intégrer la Russie dans un cadre commun qu’à l’affaiblir et la contenir. Cette perception de marginalisation a largement contribué à la méfiance qui définit aujourd’hui le paysage géopolitique entre la Russie et l’Occident.

source : New Eastern Outlook

https://reseauinternational.net/yalta-1945-entre-cooperation-et-rivalite-quelles-lecons-pour-lordre-mondial-daujourdhui-partie-1/

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