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Histoire militaire – 1970, quand les États-Unis envahissaient le Cambodge

par Sylvain Ferreira

Au début 1970, le Cambodge, dirigé par le prince Norodom Sihanouk, tente de maintenir une fragile neutralité dans le conflit vietnamien. Cependant, le pays est de plus en plus impliqué malgré lui. Les forces communistes vietnamiennes, notamment le Viêt-Cong et l’Armée populaire du Nord-Vietnam (APNV), utilisent les zones frontalières cambodgiennes comme sanctuaires pour leurs bases logistiques et leurs lignes d’approvisionnement, connues sous le nom de «piste Ho Chi Minh».

Ces infrastructures permettent aux combattants nord-vietnamiens d’acheminer des armes et des renforts vers le Sud-Vietnam, contournant ainsi les défenses américaines et sud-vietnamiennes. En mars 1970, un coup d’État orchestré par le général Lon Nol, soutenu par les États-Unis, renverse Sihanouk. Le nouveau gouvernement, aligné sur les intérêts américains, autorise les opérations militaires sur son territoire pour détruire les sanctuaires communistes. Cette décision marque un tournant dans l’implication américaine au Cambodge.

Les opérations américaines

Avant même le coup d’État de 1970, les États-Unis ont secrètement lancé une campagne de bombardements aériens sur le Cambodge dans le cadre de l’opération Menu. Débutée en mars 1969 sous l’administration Nixon, cette campagne vise à détruire les bases communistes le long de la frontière cambodgienne. Les raids, menés par des B-52, larguent des milliers de tonnes de bombes, mais leur existence est cachée au public américain et au Congrès pendant des mois. Selon les archives déclassifiées, plus de 100 000 tonnes de bombes sont larguées lors de cette opération, faisant des centaines de victimes civiles et dévastant des régions entières. Le 29 avril 1970, et les forces américaines et sud-vietnamiennes franchissent la frontière cambodgienne, marquant une escalade dramatique dans la guerre. Baptisée Operation Cambodge, cette incursion est plus qu’une simple opération militaire : c’est une guerre dans la guerre, une tentative désespérée de couper les lignes de ravitaillement communistes qui serpentent à travers la jungle cambodgienne. En parallèle des bombardements secrets de l’opération Menu, cette offensive terrestre conçue par le général Abrams, qui commande les forces américaines au Sud-Vietnam, vise à démanteler les bastions ennemis, mais elle révèle aussi les failles d’une stratégie qui mise tout sur la destruction des «sanctuaires» adverses par des moyens militaires conventionnels.

Parmi ces «sanctuaires», deux sites emblématiques sont particulièrement visés : le «Bec de Perroquet», une langue de terre à 60 kilomètres de Saïgon, un point d’infiltration privilégié pour le Viêt-Cong, et le «Crochet», une région boisée proche de la frontière cambodgienne, censée abriter le mythique COSVN (Central Office of South Vietnam : état-major des forces communistes du Sud-Vietnam). Ces secteurs sont hérissés de bunkers, d’armes et de tunnels, un labyrinthe stratégique où se sont retranchés, selon les estimations américaines, 40 000 combattants nord-vietnamiens et Viêt-Cong. Près de 50 000 soldats américains issus de la 1st Air Cavalry Division (héliportée), de la 25th Infantry Division et de la 11th Armored Cavalry Regiment, accompagnés d’environ 50 000 Sud-Vietnamiens, sont engagés. Les hélicoptères UH-1 «Huey» déposent des troupes au milieu de nulle part, renouvelant les tactiques éprouvées depuis le premier combat de la 1st Air Cav à Ia Drang en 1965. Les chars M48 Patton et les véhicules blindés M113 détruisent les défenses ennemies, tandis que du ciel, les B-52 et F-4 Phantom poursuivent les opérations de bombardement

Dans le secteur du «Crochet», du 1er au 25 mai, les soldats américains découvrent un monde souterrain faits de tunnels et de dépôts, mais le COSVN demeure insaisissable, ses chefs ayant déjà fui le pays immédiatement après le coup d’état de Lon Nol. Les combats sont sporadiques car les unités communistes ont pour consigne de décrocher pour éviter d’être anéanties par la puissance de feu américaine. À Snoul, la 11th Armored Cavalry Regiment affronte une résistance farouche, les chars écrasent les positions ennemies sous un déluge de feu. À Kompong Cham, les bulldozers blindés américains travaillent d’arrache-pied pour déminer les routes, ouvrant la voie à une avancée sanglante. Dans le «Bec de Perroquet», les Sud-Vietnamiens, avec l’appui aérien des hélicoptères américains Cobra, mènent des raids de nettoyage, mais chaque pas en avant est coûteux. Après deux mois de combats les Américains se replient tandis que l’armée sud-vietnamienne maintient une partie de ses forces pour soutenir Lon Nol. Si les Américains et leurs alliés ont mis la main sur 11 000 armes, des tonnes de munitions, des archives entières, les pertes sont élevées. Les Américains déplorent 338 morts, 1525 blessés et 13 disparus et les Sud-Vietnamiens 638 morts, 3009 blessés et 35 disparus. Les services américains estiment que les pertes communistes à 11 369 dont 2328 prisonniers, même si beaucoup de civils tués sont faussement comptés comme combattants. On estime qu’au cours de l’année suivante, le dispositif communiste est totalement rétabli, ce qui illustre parfaitement l’impasse de la stratégie américaine dans la région qui est incapable de maintenir un contrôle durable sur un secteur chèrement conquis.

Les conséquences de l’intervention américaine

Les bombardements et l’opérations terrestre de l’US Army et de ses alliés sud-vietnamiens causent d’immenses souffrances à la population cambodgienne. Des villages entiers sont détruits, et des milliers de civils sont tués ou jetés sur les routes pour fuir les combats. Selon l’historien Ben Kiernan, les bombardements américains contribuent à radicaliser une partie de la population rurale, poussant de nombreux Cambodgiens à rejoindre les rangs des Khmers rouges. L’intervention américaine exacerbe les tensions politiques au Cambodge et affaibli le gouvernement de Lon Nol, déjà confronté à des défis internes. Les Khmers rouges de Pol Pot profitent du chaos pour gagner en influence et en soutien populaire. En exploitant le ressentiment contre les bombardements américains et le gouvernement pro-occidental, ils renforcent leur position avant de lancer une insurrection générale qui débouchera sur leur conquête du pouvoir en avril 1975. Aux États-Unis, la révélation des bombardements secrets et l’invasion du Cambodge provoquent une vague de protestations, notamment sur les campus. La fusillade de Kent State en mai 1970, au cours de laquelle quatre étudiants sont tués par la Garde nationale lors d’une manifestation contre la guerre, marque un tournant dans l’opposition publique à la guerre du Vietnam.

sources :

• Kiernan Ben, «The Pol Pot Regime : Race, Power, and Genocide in Cambodia under the Khmer Rouge, 1975-79», Yale University Press, 2008
• Stanton Shelby L., «The Rise and Fall of an American Army : U.S. Ground Forces in Vietnam, 1965-1973», Presidio Press, 1985.
• Wiest Andrew, «The Vietnam War, 1956-1975», Osprey Publishing, 2002.
• After Action Reports de la 1st Air Cavalry Division (1970)

source : Le Diplomate

https://reseauinternational.net/histoire-militaire-1970-quand-les-etats-unis-envahissaient-le-cambodge/

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