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Délinquants et «ultra-riches» – Comment ils ont fait élire Macron

par Gauthier Mesnier

Adoubé par des milliardaires des médias comme Bernard Arnault ou Patrick Drahi dès 2013 en raison de sa posture «pro-business», Emmanuel Macron était devenu leur candidat favori pour 2017. Fragilisé par une relation amorcée avec Brigitte alors qu’il n’avait que 14 ans et par des rumeurs d’homosexualité, il va être protégé à compter de 2014 par Vincent Bolloré et deux fortes personnalités au passé sulfureux : Michèle Marchand et Xavier Niel.

Problème : l’ancien Premier ministre Alain Juppé est alors en tête des sondages. À 36 ans, le secrétaire général adjoint de l’Élysée est, lui, encore inconnu du grand public. Il sait que, pour gagner une élection, il a besoin de la presse. Pour faire décoller sa carrière politique, Macron va s’efforcer de séduire les milliardaires qui contrôlent les médias : Martin Bouygues, qui règne sur l’empire TF1, Arnaud Lagardère, maître de la presse people avec Paris MatchLe Journal du Dimanche et Europe 1, Bernard Arnault, empereur du luxe et propriétaire des Échos, ou encore Xavier Niel, fondateur de Free et contrôlant Le Monde et L’Obs.

À cette époque, Vincent Bolloré commence discrètement à prendre le contrôle de Vivendi, avec l’objectif d’imposer sa vision et d’éliminer l’esprit frondeur de Canal+. Ces milliardaires, qui ne sont pas issus du monde de la presse mais de l’industrie, du luxe ou des télécoms, ne rachètent pas ces médias pour des raisons économiques, mais pour «exercer une influence», estime Laurent Mauduit, co-fondateur de Mediapart.

Tisser des liens avec les actionnaires des médias

Contrairement à François Hollande, qui entretenait des relations avec les journalistes politiques pour cultiver une certaine proximité avec la presse, Emmanuel Macron adopte une approche différente. Comme le raconte Marc Endeweld, il préfère tisser des liens avec les actionnaires des grands groupes de médias, persuadé que c’est «à ce niveau-là que les décisions sont réellement prises».

Dès 2013, depuis l’Élysée, Macron se rapproche ainsi d’Arnaud Lagardère, qui détient Paris MatchLe Journal du Dimanche et Europe 1. Il l’aidera à revendre ses actions EADS, ce qui permettra à ce dernier d’empocher une confortable plus-value de 1,8 milliard d’euros. Grâce à l’intervention de Jérôme Cahuzac, alors ministre du Budget, Arnaud Lagardère bénéficiera en outre de la «niche Coppé». Il ne paiera pas 700 millions d’euros d’impôts sur cette plus-value, mais seulement 70 millions.

«Macron-mania»

À partir de 2015, une véritable «Macron-mania» se met en place. Paris Match lui offre pas moins de cinq couvertures en un an. Le Parisien, tout juste racheté par Bernard Arnault, lui consacre des articles élogieux. La presse économique et politique vante son «dynamisme», sa «jeunesse» et son «indépendance vis-à-vis des partis traditionnels». Cette stratégie est renforcée par des sondages opportunément diffusés : l’institut Odoxa, créé au moment de sa nomination à Bercy, publie des études favorables à Macron, relayées par des journaux comme Le Parisien.

Pourtant, d’autres instituts plus sérieux montrent qu’en cette année 2015, la moitié des Français ignorent encore qui il est. «Cela montre que le sondage d’Odoxa était bidon, soyons clair», lâche Eric Stemmelen, auteur d’un livre enquête sur Emmanuel Macron, non sans rappeler que cet institut était alors partiellement contrôlé par Bernard Arnault.

Faire taire la rumeur

À l’été 2015, alors qu’Emmanuel Macron envisage de se présenter à la présidentielle, un obstacle inattendu surgit : des rumeurs insistantes circulent sur une supposée liaison homosexuelle entre lui et l’un des policiers du service de la protection (SDLP) chargé de sa sécurité.

Dans l’entourage du Premier ministre Manuel Valls, alors rival politique de Macron, on se frotte les mains. Certains auraient été jusqu’à lâcher que les Français ne sont «pas prêts à élire un président homosexuel». Début 2016, dans Le Point, Nicolas Sarkozy y va à son tour de sa petite phrase à propos d’Emmanuel Macron : «Que voulez-vous que j’en pense? Il est cynique. Un peu homme, un peu femme, c’est la mode du moment. Androgyne».

Brigitte Macron, l’épouse d’Emmanuel, est particulièrement affectée. Elle craint en outre que des photos de son mari en présence d’un homme circulent dans le Tout-Paris. Elle aurait alors sollicité l’aide de Xavier Niel. Patron de Free et du groupe Le Monde, il aurait sondé discrètement quelques propriétaires de presse de la Place de Paris pour savoir si une photo existe. En vain.

Xavier Niel et Michèle Marchand au service des Macron

Pour aider Brigitte, Xavier Niel décide alors de lui présenter son amie Michèle Marchand. «Reine» de la presse people, elle a un passé sulfureux : longtemps mariée au braqueur de banques Maurice Demagny, surprise par la police en 1994 au volant d’une camionnette transportant 500kg de haschisch, elle fera plusieurs séjours en prison. Devenue patronne de boites de nuit, elle se recycle dans la presse people et devient une figure incontournable de l’hebdo Voici. Avant d’en être évincée en 1998 après une prétendue interview d’un ancien garde du corps de Lady Di (morte accidentellement à Paris en 1998, ndlr) jugée «bidon» par l’actionnaire Axel Ganz.

Par l’entremise de Xavier Niel, c’est donc cette ex-trafiquante de drogue reconvertie dans la «peopolisation» des politiques qui va prendre en charge la communication des Macron à un an de la présidentielle de 2017. Des clichés soigneusement mis en scène sont publiés dans Paris-Match : on y voit Emmanuel et Brigitte Macron s’afficher complices et amoureux sur les plages de Biarritz. Peu à peu, le couple devient une figure centrale de la presse people, séduisant un électorat sensible à cette histoire d’amour hors normes. À l’approche de l’élection, toute critique sur leur relation est soigneusement neutralisée…

Dans cette promotion d’Emmanuel Macron, Xavier Niel aurait également joué un rôle important. À l’époque où il avait racheté Le Monde, en 2010, il était tombé sous son charme, le décrivant en 2017 dans Vanity Fair comme «dynamique, intelligent et avec une grande capacité dadaptation». Mais à l’instar de Michèle Marchand, Xavier Niel a un passé controversé marqué par un passage en prison. En cause ? Ses investissements dans l’industrie du sexe.

Les millions du minitel rose

Dès les années 1990, il devient millionnaire grâce au Minitel Rose, des messageries érotiques facturant à la minute des clients accros à des hôtesses sous pseudos payées pour les faire fantasmer, au risque de plomber leurs factures téléphoniques. Selon deux de ses anciennes collaboratrices interviewées par Off investigation, Xavier Niel aurait toléré l’utilisation de pseudos de nature à attirer des pédophiles. C’est ce que nous a confié Claudia Tavarès, une ancienne prostituée passée par la case prison qui travaillait pour Niel dans les années 1990 comme animatrice minitel rose : «C’était des pseudos comme «Onze ans, à défoncer» ou «Petit Cul à élargir», nous a-t-elle précisé. «S’il fallait avoir une petite chatte sans poils, on avait une petite chatte sans poil», complète Izza, son ex-collègue retirée aujourd’hui à Marseille.

A la question de savoir si ces pseudos ou éléments de langage étaient de nature à attirer des pédophiles, Claudia est catégorique : «Bien sûr, cela attirait des pédophiles. Xavier Niel était d’ailleurs le premier à créer des faux pseudos pour attirer les gens». Et elle raconte cette anecdote : «Une fois, je suis rentrée dans son bureau après avoir repéré le pseudo «Jeune fille, 11 ans, à enculer» et je lui ai dis : «mais putain c’est quoi ce bordel ?» Il m’a répondu : «c’est pour voir si vous êtes alertes et vous travaillez bien». Je n’ai jamais trouvé que l’excuse était bonne». Via son avocate, Xavier Niel nous a fait savoir qu’il «démentait cette allégation», avant de préciser : «Une partie significative du travail de ces collaboratrices était justement de contrôler l’activité, d’assurer la modération et de supprimer tous les pseudos déviants».

Flirter avec la pédophilie

En 1996, quand les gendarmes perquisitionnent ses locaux après la découverte d’images pédo-pornographiques dans les serveurs de sa société Worldnet, Niel déclare sur France 3 : «Quand les services de gendarmerie sont arrivées, ils ont eu accès à de la pédophilie (…) le seul moyen d’éviter ce type de chose c’est qu’au niveau mondial tous les pays puissent trouver une législation qui s’adapte à internet et qui évite ce type d’abus qui sont repréhensibles au plus au point et scandaleux».

«Ce qui était reproché à Worldnet était qu’Internet permettait d’accéder à des contenus pédophiles» nous a confirmé l’avocate de Xavier Niel, qui relativise : «Il était actionnaire de Worldnet à hauteur de 25%, c’est-à-dire actionnaire minoritaire (…) Il ne se mêlait pas de la gestion de la société».

À l’époque, pourtant, c’est bien en tant que «Directeur de Worldnet», que Xavier Niel avait été interviewé sur France 3. «En 1999, le TGI de Paris a jugé que Worldnet et Francenet n’étaient pas responsables des contenus pédophiles stockés sur leurs serveurs», précise enfin son avocate.

Sex-shop et prostitution

En parallèle de ses activités Internet et Minitel, Xavier Niel investit avec son associé Fernand Develter dans des sex-shops, à Paris et Strasbourg. En mai 2004, après que la justice ait constaté la présence d’activités de prostitution dans leurs sex-shop et le fait que Develter et Niel se rémunéraient illégalement en liquide, ce dernier est écroué pendant quelques semaines à la prison de la Santé, à Paris. La justice le soupçonne de «proxénétisme aggravé» et «abus de biens sociaux».

Jugé en 2006, il écopera de deux ans de prison avec sursis et de 250 000 euros d’amende pour «abus de bien sociaux». Dans le volet «proxénétisme aggravé», en revanche, il bénéficiera d’un non-lieu, le juge Van Ruymbeke n’était pas parvenu à établir que Niel savait que ses employées se prostituaient.

Procédures abusives contre Libération

Pour avoir publié de simples comptes-rendus du procès de Xavier Niel, Renaud Lecadre sera visé par cinq plaintes en diffamation. «Niel ne supportait pas qu’on parle de tout cela, a-t-il confié à Off investigation. Il voulait se refaire une virginité, oublier ce passé sulfureux». Le 28 novembre 2008 au petit matin, suite aux plaintes de Niel, Vittorio de Filippis, alors directeur de la rédaction de Libérationsera arrêté devant ses enfants, menotté, insulté et placé en garde à vue au commissariat du Raincy, en Seine Saint Denis.

Une procédure qui suscitera les protestations du personnel de Libération mais aussi du Monde. «Non seulement on a été relaxés cinq fois, sourit aujourd’hui Lecadre, mais en plus, (Niel) a été condamné à nous verser 6000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive. Donc il aura contribué à renflouer Libé, à défaut de nous racheter».

Sur ces procédures, Niel faisait récemment son méa culpa : «Un jour, un juge un peu idiot a envoyé le directeur de Libé en garde à vue. Et ça, je ne le souhaitais absolument pas. Je me suis rendu compte que je déconnais. (…) Donc j’ai arrêté ces procédures». («Une sacrée envie de foutre le bordel, Flammarion, Paris, 2024)

Une hotesse se rebelle

Au-delà de ces soupçons de proxénétisme achevés par un non-lieu, de nouveaux témoignages émergent aujourd’hui sur le passé de Xavier Niel. Dans une interview recoupée à l’écran par une ancienne collègue, Claudia Tavares, a affirmé à Off investigation avoir dû céder à des «avances» de sa part durant plusieurs mois, à compter de 1995.

Cet été-là, cette jeune brésilienne qui s’était prostituée quelques mois à son arrivée en France et avait été incarcérée sept ans (pour un meurtre datant de 1980 dans un contexte de rivalité entre marchandes de silicone) raconte avoir envoyé à Xavier Niel une photo d’elle et de ses sœurs en maillot de bain sur une plage du Brésil. «Quand je reviens, Xavier Niel, dans son bureau, me dit «quel cul !». J’ai répondu que j’avais aussi un cerveau».

Cette scène se serait déroulée dans les locaux de Fermic, la société de Niel et Develter située 2, passage de Crimée, dans le 19ème arrondissement parisien. «C’était une petite pièce un peu crado, chaque hôtesse gérait deux minitel», se souvient sa collègue Izza. Derrière des vitrages équipés de stores vénitiens, qu’on aperçoit sur des photos que s’est procuré Off investigation, Niel occupait un petit bureau depuis lequel il surveillait ses hôtesses minitel.

Selon Claudia, c’est après avoir «craqué» sur sa photo que Niel, alors âgé de 28 ans, se serait montré de plus en plus entreprenant, l’incitant à des attouchements, puis à des relations sexuelles, toujours à la va-vite, toujours entre deux portes. «Il me demandait de venir dans son bureau une fois par semaine pour des relations sexuelles. C’était toujours dans son bureau (…) Il fermait la porte à clef, il baissait le petit rideau pour que les filles qui sont de l’autre côté ne voient pas», nous a affirmé claudia. Soucieuse de restituer les faits avec honnêteté, elle précise : «je vais accepter, il ne m’a pas forcée. Cela a commencé comme cela».

Employée à l’époque dans le même local que Claudia, sa collègue Izza confirme que Niel la sollicitait régulièrement : «Claudia se faisait de temps en temps appeler à son bureau». Se souvenant avec précision de la configuration des lieux, elle ajoute : «Les pauses étaient chronométrées et il fallait cravacher (…) du coup, comme Xavier Niel s’intéressait à elle (Claudia, ndlr) physiquement, cela lui donnait l’opportunité de faire des pauses».

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