Un sujet sensible
Principalement peuplée par des descendants de colons et de travailleurs étrangers (on ne recense que 3 % d’Aborigènes sur le territoire), l’Australie a un rapport apaisé à l’immigration. Il n’en a pas toujours été ainsi. Cette situation est le fruit d’une véritable révolution des consciences, qui s’est opérée depuis vingt-cinq ans. Résultat, le fait migratoire est aujourd’hui perçu par la plupart des Australiens comme une question technique sur laquelle des objectifs chiffrés et des données transparentes sont débattus chaque année au Parlement.
En Australie, les dernières statistiques connues sur l’immigration datent de la période 2022-2023. Au cours de ces douze mois, 212 000 nouveaux immigrés permanents ont été accueillis dans le pays qui compte 27,4 millions d’habitants. Une proportion stable depuis dix ans. 8 % des arrivants ont été admis dans un cadre humanitaire, 25 % en vertu du regroupement familial, et 67 % pour raison professionnelle. À quoi s’ajoutent les visas temporaires : 577 000 ont été distribués à des étudiants, 464 000 à des employés en CDD. Autrement dit, près de 95 % des titres de séjour ont été délivrés pour motif d’activité. En France, le taux s’élève à 20 %…
Les Australiens ont compris que l’immigration était un sujet crucial il y a quarante ans. À partir des années 1970, les flux historiques en provenance d’Europe ont commencé à se tarir, la natalité s’est mise à chuter (1,5 enfant par femme en 1984 contre 2,3 en 1974) et le développement économique de l’île a commencé son envol. Le modèle de l’« Australie blanche » a alors atteint sa limite. Il a fallu se tourner vers l’immigration asiatique. Dans un premier temps, les gouvernants ont procédé de façon empirique, voire anarchique, en faisant venir des travailleurs d’Inde, du Vietnam ou des Philippines au gré des besoins.
L’affaire du Tampa
En 2001, l’affaire du Tampa oblige toutefois l’Australie à se positionner de manière plus claire et stratégique. Le Tampa est un cargo qui se présente cette année-là au large de l’île Christmas, au nord du pays, avec 400 réfugiés afghans et irakiens à son bord. Un bras de fer débute alors entre le pouvoir et les associations humanitaires locales qui pressent le Premier ministre libéral, John Howard, de revenir sur son refus de laisser débarquer les passagers.
Quand le capitaine tente de forcer le blocus, les troupes spéciales interviennent. Les migrants sont arrêtés puis transférés sur l’île de Nauru, un petit État indépendant situé à plus de 1 000 kilomètres, où l’Australie finance pour eux la construction d’un camp d’accueil.
Lors d’une célèbre allocution télévisée, John Howard justifie l’ordre qu’il a donné : « Nous déciderons qui entrera en Australie et dans quelles circonstances. » L’affaire est un véritable électro-choc pour la société australienne. Quelques jours après, une nouvelle loi sur l’immigration est votée, qui conforte Howard dans son action. Violemment combattue par les tenants de l’ouverture en grand des frontières, elle n’en reste pas moins un modèle de pragmatisme. Le texte exclut du régime commun sur l’asile tous les territoires du nord de l’Australie, et limite fortement les droits des personnes débarquant sans papiers sur le sol national.
La « Solution du Pacifique »
Parallèlement, une force de contrôle maritime est créée pour intercepter les bateaux des passeurs, avec pour consigne de convoyer systématiquement tous les clandestins vers Nauru ou en Papouasie, un deuxième pays voisin à qui l’Australie a délégué la gestion de la demande d’asile. De facto, une immense majorité des candidats à l’installation sont renvoyés chez eux. C’est le système dit « Solution du Pacifique », largement plébiscité par les Australiens.
Pourtant, en 2007, le pays y renonce en raison de coûts jugés trop élevés et de plusieurs campagnes de presse internationales. Mais cinq ans après, les travaillistes au pouvoir font marche arrière. Comprenant que leur cote de popularité pourrait bien rebondir s’ils restauraient la « Solution du Pacifique », ils lancent en 2013 une nouvelle version de cette politique, qu’ils renomment « Opération frontières souveraines » – elle deviendra plus tard le programme « No Way », aujourd’hui baptisé « Zero Chance ». Depuis, le nombre de clandestins parvenant à entrer en Australie s’est effondré, s’élevant désormais à quelques centaines par an.
Quant à l’immigration légale, elle est essentiellement économique. Et sévèrement encadrée. Pour obtenir un visa de travail, le parrainage d’un employeur local est indispensable – sauf si le candidat exerce un métier en tension, dûment listé. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi réussir un test où les examinateurs contrôlent le niveau d’anglais et vérifient le casier judiciaire, les qualifications et les expériences professionnelles. Un Français récemment installé en Australie témoigne : « C’est très strict. Il faut fournir la liste des pays visités ces dix dernières années, détailler sa situation financière, produire une assurance santé privée, puisque l’accès à la Sécurité sociale est réservé aux nationaux. »
En Australie, un large consensus s’est donc dégagé. Sur la quasi-totalité de l’échiquier politique, chacun est d’accord pour dire que l’immigration est une chance pour le pays, mais à condition d’être régulée de façon draconienne et guidée par des critères économiques. Dans ces conditions dépassionnées, la population locale accepte sereinement un certain métissage. L’Australie est le pays du remplacement heureux.
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