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Deux visions antinomiques sur le conflit en Ukraine

Deux visions antinomiques sur le conflit en Ukraine

Le sujet de la guerre en Ukraine est souvent cause de conflits entre deux camps, y compris au sein de la famille de droite. Polémia porte dans son nom la nécessité de confronter les points de vue, car la vérité ne peut naître que de la libre confrontation des idées. Nous publions le texte ci-dessous, rédigé par Johan Hardoy, qui met justement ce principe à l’épreuve.
Polémia

Deux visions

André Chanclu, militant « canal historique » du courant nationaliste français, fondateur du Collectif France Russie et partisan de la conception du monde multipolaire du philosophe russe Alexandre Douguine, propose dans l’ouvrage US go home ! (Éditions Collectif France Russie, 344 pages, 19 euros), préfacé par l’homme d’affaires et essayiste franco-russe Xavier Moreau, « d’apporter un témoignage sincère et quelque peu dissonant des sirènes qui nous assourdissent » concernant la genèse du conflit en Ukraine. Par souci d’équilibre, la parole sera préalablement donnée dans cet article ci-dessous à l’écrivain et traducteur français d’origines russo-géorgienne André Markowicz, auteur d’un libelle violemment hostile à Vladimir Poutine paru au début de la guerre, Et si l’Ukraine libérait la Russie (Éditions du Seuil, 53 pages, 15 euros), qui justifie son titre par la possibilité qu’un « électrochoc provoqué par le désastre ukrainien » entraîne un « réveil des consciences en Russie » dans le sens d’une occidentalisation politique et culturelle.

Une longue tradition de potentats

André Markowicz observe que l’Histoire russe est émaillée de dictatures successives. « On ne compte pas le nombre de gens massacrés par les différents régimes, et surtout depuis 1917. » Trois ans après la Révolution bolchevique, le poète Alexandre Blok dira : « Elle aura fini par me bouffer, notre vieille mère Russie scorbutique, comme une truie bouffe ses porcelets. »

« Pourtant, il n’y a pas eu de procès du stalinisme. Parce que les assassins n’ont pas été vaincus. Les hommes de l’appareil soviétique se sont reconvertis en homme d’affaires, en mafieux. »

Dans l’héritage russe, il y a également « la hache des paysans, devant laquelle il n’y a pas de pardon ». Comme eux, les « soudards d’aujourd’hui font la même chose en Ukraine. Ils tuent et ils pillent ».

En 2022, les premières batailles se sont déroulées près de Kharkov, « sur le territoire même de la Cerisaie de Tchekhov », « dont toute l’œuvre est une protestation contre la folie des potentats russes, un appel à soigner la folie des hommes ».

Un nationalisme panslaviste

André Markowicz reconnaît que lors de ses premières années au pouvoir, Vladimir Poutine, successeur de « l’alcoolique titubant » Boris Eltsine, a bénéficié d’un vrai prestige en Russie. « D’abord parce que, très vite, le pays s’est développé grâce à l’exploitation des ressources naturelles, ce qui a permis de faire apparaître, finalement très vite, une classe sociale de consommateurs, cette petite bourgeoisie qui est, nous dit-on, le ciment de la démocratie. »

Cependant, Poutine « s’est trouvé à la jonction de deux groupes de pression qui se sont réunis pour prendre et garder le pouvoir en Russie : l’appareil du KGB et la mafia ». Le libelliste l’accuse ainsi d’avoir détourné de la nourriture quand la disette menaçait le pays aux débuts des années 1990, d’avoir accordé à la mafia le marché des terminaux portuaires de Pétersbourg, puis, une fois président, d’avoir mis en scène des attentats en les attribuant aux Tchétchènes afin de lancer la Seconde guerre de Tchétchénie.

Son idéologie politique est l’héritière d’une conception ancienne selon laquelle « la Russie doit dominer le monde slave », notamment les régions russophones de l’Ukraine.

Sur le plan interne, « Poutine a muselé, graduellement, toute opposition, toute expression dissidente » en truquant les élections : « Alexeï Navalny, se présentant aux municipales de Moscou en 2013, faisait presque 30 % des voix. »

La revendication des « valeurs traditionnelles », proclamée par « l’autocrate » Poutine dont l’imagerie viriliste est partout promue en Russie, permet quant à elle de rejeter avec violences les homosexuels « et de proclamer qu’il n’existe qu’un seul modèle de famille, dans lequel l’homme est « le chef » » [Note JH : un proverbe russe bien connu dit pourtant : « L’homme est la tête, la femme est le cou ; la tête regarde là où le cou tourne ! »].

Lors de la rédaction de son livre, au printemps 2022, alors que l’armée russe « commet des crimes de guerre » et « s’efforce de détruire toutes les infrastructures civiles », André Markowicz prévoit la défaite militaire d’une Russie rongée par la corruption et son effondrement rapide sous le poids des sanctions économiques occidentales. « Les produits de base de la vie quotidienne vont manquer parce que, tout simplement, tantôt ils viennent entièrement de l’étranger, tantôt ils sont fabriqués avec des composants qui viennent de l’étranger. »

Il gage donc qu’une fois le régime de Poutine éliminé, une possibilité démocratique, conforme aux valeurs progressistes de l’Occident, adviendra en Russie.

La désignation de l’ennemi atlantiste

Sorti en février dernier, le livre d’André Chanclu envisage cette guerre selon une toute autre perspective, en l’appréhendant comme la conséquence d’une « opération de déstabilisation menée de front par l’ensemble des capitales occidentales sous l’égide d’un maître absolu : les États-Unis d’Amérique ».

Feu Zbigniew Brzezinski, conseiller très influent de Jimmy Carter, déclarait ainsi : « Pour les États-Unis, le principal but géopolitique est l’Eurasie… La primauté mondiale et l’hégémonie des USA dépendent directement du temps qu’ils mettront à imposer leur domination sur le continent eurasiatique. »

Remontant à la longue Histoire, André Chanclu observe que l’Ukraine est une région morcelée plutôt qu’une nation une et indivisible. « L’Occident atlantiste nauséabond » a tenté de longue date d’affaiblir la Russie en ciblant cette région : Il y a un siècle, les puissances anglo-saxonnes avaient déjà largement financé et formé, nous le savons maintenant, de manière secrète les mouvements d’indépendance ukrainiens réfugiés dans les pays d’Europe. »

En 1932 et 1933, « l’Holodomor » (littéralement le « fléau de la famine »), « grand sujet de la russophobie ukrainienne hystérique persistante », a frappé la paysannerie russe et celle de nombreuses régions situées au sud du pays, dont l’Ukraine. Cette tragédie humanitaire majeure résultait de la volonté du régime stalinien de remplir coûte que coûte les objectifs du plan quinquennal en réquisitionnant les réserves de blé appartenant aux familles, alors que le pays était exportateur, tout en maintenant la population sur place de façon coercitive.

Une guerre par procuration

« Le 23 novembre 2004 et durant deux mois, les États-Unis vont lancer une vaste offensive de désobéissance civile et de grèves par le biais d’ONG (dont l’Open Society Institute du milliardaire juif d’origine hongroise Georges Soros) en organisant une série de grandes manifestations, qui réunirent 500 000 personnes dans la plupart des régions de l’ouest et de la capitale Kiev, en soutien à Viktor Iouchtchenko, candidat perdant à l’élection présidentielle. Cette « révolution » ourdie directement à Washington prendra le joli nom de « révolution orange ». »

Fin 2013, après une décision du gouvernement ukrainien de ne pas ratifier un accord d’association avec l’Union européenne au profit d’un rapprochement avec la Russie, « l’ensemble des forces intérieures liées à l’Occident atlantiste, qui n’attendait que ça, se met en œuvre sous l’égide des nombreuses organisations d’obédience étasunienne ». Les mobilisations proeuropéennes de l’Euromaïdan aboutissent à la destitution du Président Viktor Ianoukovitch en février 2014.

En réaction, « de nombreuses manifestations hostiles au régime séditieux éclatent dans le sud et l’est, à Kharkov, à Odessa, à Donetsk, à Lougansk, préliminaires à des actions de masse visant à se désolidariser totalement des événements de février et de la mainmise des États-Unis sur le pays ». Tandis que la Crimée est officiellement rattachée à la Fédération de Russie, une offensive armée initiée par le nouveau gouvernement ukrainien commence contre les forces séparatistes du Donbass.

« Le 11 mai 2014, les deux républiques populaires de Donetsk et Lougansk organisent des référendums d’autodétermination. […] Près de 90 % des citoyens votent pour l’indépendance. » (Ce choix populaire sera finalement entériné en septembre 2022 par la Russie.)

Les combats s’intensifient malgré les accords de cessez-le-feu appelés Minsk 1, en septembre 2014, avant de diminuer en intensité avec ceux de Minsk 2 en février 2015. La poursuite ultérieure des affrontements armés et des bombardements de zones habités entraînent le départ de millions d’habitants du Donbass vers d’autres régions du pays, en Russie ou en Biélorussie.

L’opération militaire spéciale

Depuis février 2022, « le monde est désormais fracturé en deux, c’est évident et nous avons connu ce séisme en direct. »

André Chanclu détaille quelques événements marquants survenus lors du conflit tels que la « mise en scène hollywoodienne de mauvaise qualité » du massacre de Boutcha, le sabotage des gazoducs Nord Stream ou l’implication de militaires français en Ukraine, tout en présentant quelques bataillons ukrainiens appartenant à « une vaste nébuleuse dont les objectifs se perdent dans des considérations plus financières qu’idéologiques ».

L’auteur rend également hommage aux « grandes figures héroïques de la résistance » décédées dans les combats pour la défense des républiques sécessionistes, parmi lesquelles il intègre Daria Douguine, la fille du philosophe tuée dans un attentat en Russie. Il leur associe des reporters de guerre français bien vivants tels que le poète Iouri Iourtchenko ou le baroudeur Erwan Castel, qui se définit lui-même comme « breton, païen et européen » [Note JH : l’essayiste Lucien Cerise considère ce dernier comme un exemple de surhomme nietzschéen !].

A contrario est présentée une série de « personnages toxiques d’hier et d’aujourd’hui » où l’on retrouve notamment « l’archétype du collabo » Stepan Bandera, devenu une référence mythique dans les milieux ultra-nationalistes ukrainiens, et le « sulfureux » oligarque ukraino-israélo-chypriote Igor Kolomoïsky, ex-dirigeant de « la puissante Communauté juive unie d’Ukraine », financier des bataillons ukrainiens d’obédience néo-nazie et mentor de Volodimir Zelensky.

***

Aux sagaces lecteurs de Polémia de séparer le bon grain de l’ivraie pour dépasser les idées simples sur l’Est compliqué, en veillant, s’ils veulent s’engager peu ou prou dans ce conflit fratricide, à ne pas se tromper d’ennemi !

Johan Hardoy 11/04/2025

https://www.polemia.com/deux-visions-antinomiques-sur-le-conflit-en-ukraine/

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