L’un des mystères autour de la fin de partie en Ukraine est que le président Donald Trump n’ait pas publié, le 20 janvier, un décret retirant tout soutien à l’Ukraine. Cela aurait été le moyen le plus simple de mettre fin à la guerre.
Les conditions étaient propices : le candidat Trump n’avait pas mâché ses mots en déclarant qu’il s’agissait d’une guerre sans issue qui coûtait cher aux États-Unis ; il avait une mauvaise opinion du président Volodymyr Zelensky, qu’il considérait comme un profiteur sans scrupules ; il voyait la guerre comme un obstacle à sa priorité en matière de politique étrangère, à savoir la transition des États-Unis vers un ordre mondial multipolaire ; et il ne se sentait pas obligé d’hériter de la « guerre de Biden ».
Mais au lieu de cela, Trump s’est plongé avec enthousiasme dans le problème ukrainien, bien que Washington n’ait pas les moyens de faire pression sur la Russie pour qu’elle fasse des compromis sur ses intérêts fondamentaux dans ce que le peuple russe considère comme une guerre existentielle.
Il est fort probable que certains conseillers de Trump l’aient convaincu d’entreprendre cet effort diplomatique théâtral sur la base d’une lecture erronée de l’état de la guerre. Trump croyait que les sanctions occidentales avaient affaibli de manière fatale l’économie russe, que le nombre de victimes russes s’élevait à des centaines de milliers et qu’un tel niveau d’attrition était insoutenable, que Zelensky signerait sans hésiter, qu’une amélioration des relations russo-américaines serait « gagnant-gagnant » avec des avantages économiques considérables pour les deux parties, etc.
Mais toutes ces prémisses se sont avérées erronées. Poutine a orienté l’économie vers un état de sanctions occidentales permanentes (ce qui était également le cas de l’Union soviétique). Les entrepreneurs russes ont réussi à remplacer les entreprises occidentales qui ont fui à la suite des sanctions et s’opposeront désormais à toute réintégration de ces dernières.
Le nombre de victimes russes est bien inférieur aux estimations occidentales partiales, comme le suggère le niveau élevé de recrutement dans l’armée. Zelensky est déterminé à prolonger la guerre avec le soutien des puissances européennes, conformément au scénario de Biden visant à « protéger la guerre contre Trump ». Les Européens ont non seulement un plan B, mais aussi des collaborateurs aux États-Unis, dont certains font peut-être même partie de l’équipe de Trump.
Il est évident que Trump a beaucoup appris, car il a commencé à sentir que le Kremlin était déterminé à atteindre les objectifs qu’il s’était fixés (comme l’a souligné Poutine dans son discours historique prononcé en juin dernier au ministère des Affaires étrangères). Selon un article de Reuters publié il y a deux jours, « Poutine souhaite obtenir un engagement « écrit » des grandes puissances occidentales à ne pas élargir l’alliance de l’OTAN dirigée par les États-Unis vers l’est, ce qui revient à exclure formellement l’adhésion non seulement de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie, mais aussi d’autres anciennes républiques soviétiques ».
« La Russie souhaite également que l’Ukraine reste neutre, que certaines sanctions occidentales soient levées, que la question des avoirs souverains russes gelés en Occident soit résolue et que les russophones en Ukraine soient protégés », selon Reuters.
Les Européens vont se moquer de ces exigences. Par conséquent, dans l’état actuel des choses, une percée lors des pourparlers de paix entre la Russie et l’Ukraine à Istanbul le 2 juin semble peu probable. Sans surprise, la Russie poursuit son offensive dans toutes les directions, engageant toutes ses forces avec un point culminant prévu pour l’été ou le début de l’automne.
La moins mauvaise option
Trump a trois options dans ces circonstances. La première consiste simplement à refuser d’assumer la responsabilité de la guerre et à s’en aller pour de bon. Mais alors, Trump peut-il nier son propre rôle dans cette guerre entre 2016 et 2020, pendant son premier mandat ? Si l’administration Trump a défini son approche de la politique étrangère comme un « réalisme de principe », la caractérisation de Trump par feu Joseph Nye comme un « réaliste idiosyncrasique » était peut-être bien proche de la vérité.
La politique officielle de l’administration américaine à l’égard de l’Ukraine pendant le premier mandat de Trump s’inscrivait dans la continuité de celle menée par l’administration Obama. Elle reconnaissait la Crimée comme faisant partie de l’Ukraine, condamnait l’occupation et l’annexion finale de la péninsule par la Russie ; elle soulignait la responsabilité principale de la Russie dans le déclenchement, la poursuite et la conduite du conflit dans l’est de l’Ukraine ; elle identifiait même l’ingérence russe en Ukraine comme s’inscrivant dans un schéma plus large d’agression envers d’autres États et comme une preuve de la remise en cause par Moscou des principes fondamentaux de l’ordre international.
Pour ces raisons, l’administration Trump a soutenu que les États-Unis devaient aider l’Ukraine à se défendre et pénaliser la Russie à la fois par des sanctions et par l’isolement diplomatique (par exemple, l’adhésion au G7). Curieusement, des traces de ce raisonnement refont parfois surface aujourd’hui dans les déclarations fracassantes de Trump sur Truth Social. Trump semble ignorer qu’il porte un lourd fardeau en ce qui concerne son héritage en Ukraine.
La deuxième option aujourd’hui consiste donc à exprimer le mécontentement de Trump face à l’intransigeance perçue de la Russie dans la dictée des conditions d’un accord et à son prétendu désintérêt pour les pourparlers de paix. Trump a même laissé entendre que la Russie avait pour objectif caché de conquérir l’Ukraine. Trump laisse entendre qu’il punira la Russie à la fois par des sanctions et par la fourniture d’armes à l’Ukraine. L’annonce provocatrice du chancelier allemand Friedrich Merz de fournir des armes à longue portée à Zelensky a probablement été approuvée par certaines personnes de l’équipe de Trump. Après tout, Merz n’est pas étranger à Wall Street.
Cependant, cela risque de mener à une confrontation extrêmement dangereuse entre l’OTAN et la Russie. Si des missiles allemands à longue portée frappent la Russie, celle-ci ripostera d’une manière qui pourrait potentiellement paralyser la capacité opérationnelle de l’OTAN dans une guerre hypothétique. Le secrétaire d’État du Conseil de sécurité biélorusse, Alexander Volfovich, a déclaré que le système de missiles Oreshnik « devrait être déployé en Biélorussie d’ici la fin de l’année. Les lieux de déploiement ont déjà été déterminés. Les travaux sont en cours ». Le spectre d’une troisième guerre mondiale peut sembler un peu exagéré, mais Trump devra tenir compte des dangers d’une escalade qui pourrait détruire sa présidence MAGA.
Washington n’a aucun moyen d’intimider le Kremlin. En fin de compte, Trump n’a en réalité qu’une troisième option, la moins mauvaise : se retirer du conflit ukrainien à ce stade et revenir lorsque la guerre aura été perdue ou gagnée, probablement d’ici la fin de l’année. Cela ne nuira pas à la réputation de Trump.
Trump pourrait déjà afficher ses références de « président pacificateur » si les négociations entre les États-Unis et l’Iran, qui semblent progresser, aboutissent à un accord sur le nucléaire. En outre, la normalisation des relations entre les États-Unis et la Russie nécessite plus de temps pour prendre de l’ampleur. Le projet de loi très sévère du sénateur Lindsey Graham contre la Russie, soutenu par 81 co-parrains au Sénat, montre que la Russie est un sujet très sensible dans la politique intérieure américaine.
De plus, les négociations entre la Russie et l’Ukraine ne constituent qu’une piste parmi d’autres. Les Russes ont sensibilisé l’équipe de Trump au fait que, même si Moscou dialogue avec Kiev, la cause profonde de la guerre — l’absence d’une architecture de sécurité européenne — reste à résoudre, ce que seuls la Russie et les États-Unis peuvent faire conjointement. Les États-Unis ne devraient pas se dérober à leurs responsabilités, étant à la fois l’instigateur initial de l’élargissement de l’OTAN et le sponsor de la guerre en Ukraine.
La réaction de l’envoyé spécial américain pour l’Ukraine, Keith Kellogg, a été positive lorsqu’il a déclaré à ABC News dans une interview que les États-Unis comprenaient que le fait que l’OTAN cesse d’accepter de nouveaux pays d’Europe de l’Est dans ses rangs, c’est-à-dire non seulement l’Ukraine, mais aussi la Moldavie et la Géorgie, était une question de sécurité nationale pour la Russie.
Kellogg a déclaré qu’il considérait les préoccupations de la partie russe comme justifiées. Il n’a pas exclu la possibilité de parvenir à un accord lors des négociations entre les États-Unis et la Russie. Il s’agit là d’un grand pas en avant.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Source Indian Punchline
https://lesakerfrancophone.fr/trump-ne-se-desengagera-pas-de-la-guerre-en-ukraine