Ce jeudi matin, Sylvain Maillard, député macroniste de Paris, sans crainte du ridicule, en rajoute une louche : « L’AME nous fait économiser de l’argent. »
Vous souvenez-vous de cette phrase, lors de sa première intervention en fonction à la télévision, du ci-devant et éphémère Premier ministre Michel Barnier ? L’AME n’est « ni un tabou, ni un totem ». Se sentir obligé de le nier, c’est déjà reconnaître, en creux, qu’on pourrait le penser. Et les déclarations de François Bayrou en matière de santé, et le service après-vente sur les plateaux télévisés, le confirment : l’AME est bien un tabou et un totem. Sur les 43,8 milliards d’économies proposées dans le prochain budget, plus de 10 % (5 milliards), pourtant, ont trait aux dépenses de santé. Il faut savoir que selon une étude de l’IFOP de mars 2023, plus d’un Français sur quatre (26 %) a déjà renoncé à des soins ou des équipements médicaux pour des raisons financières. Le sujet est d’importance. François Bayrou a préconisé, pêle-mêle, une limitation des antibiotiques, un périmètre plus restreint pour les affections longue durée (ALD), un doublement du plafond de la franchise… dont sont exonérés les bénéficiaires de l’AME. À aucun moment il n’évoque l’AME. Un tabou, un totem et une vache sacrée.
Tir de barrage
Dès qu’un journaliste ou politique — par exemple Bruno Retailleau — évoque le sujet, la levée de boucliers et le tir de barrage sont immédiats.
L’argument de taille est celui de la peur : l’AME permet d’éviter les contagions. Vous ne voudriez quand même pas, bande d’irresponsables, contracter la peste bubonique ? À les écouter, l’AME aide moins les migrants que les Français. C’est un refrain désormais connu, le ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq l’avait même qualifié - il fallait oser ! - d'« assurance santé des Français » pour, disait-elle, « éviter certaines contagions ».
Notons, tout d’abord, le caractère glissant de la déclaration : si les migrations sont le vecteur d’épidémies, c’est très grave ! Pour éviter la contagion, le meilleur moyen n’est pas l’AME mais la fermeture des frontières.
Sauf que pour de nombreux spécialistes, qui précisément préféreraient éviter de donner aux Français de mauvaises idées de ce genre, cette crainte est une « fake news ». « Contrairement à des idées reçues, la plupart des maladies tropicales ne sont pas contagieuses, car les conditions climatiques, vectorielles et hygiéniques nécessaires à leur transmission n'existent pas en France métropolitaine », écrit ainsi le professeur Olivier Bouchaud, chef du Service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Avicenne à Bobigny.
De même, pour le professeur Marc Gentilini, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, président honoraire de la Croix-Rouge française. « L'importation par les migrants de maladies infectieuses, notamment émergentes, entraînant une menace de santé publique pour la population générale est un mythe. » « Les campements de migrant ne peuvent être considérés comme des foyers d'épidémie susceptibles de s'étendre à la population environnante. » Sauf que de deux récits de gauche, il faut choisir l’un. S’il n’y a pas de risque de contagion, l’argument pour justifier l’AME tombe. A contrario, si des migrants mettent gravement en danger la santé des Français, il ne faut pas les laisser rentrer. Plus besoin, dès lors, d’AME non plus.
AME et DSUV
Sans compter que l’AME, par nature, n’est pas un outil adapté à la lutte contre une épidémie ; un enfant de CM2 peut le comprendre.
Elle ne s’obtient qu’au bout d’un séjour de trois mois en France, et le dossier met environ deux mois à être instruit. Autant dire que si un migrant est porteur d’un grave virus, il aura le temps de largement le répandre autour de lui en cinq mois. Pour ce genre de cas, et pour toutes les urgences, il y a ce que l’on appelle le DSUV, qui a été créé en 2003, dans la loi de financement de la Sécurité sociale. C’est une dotation forfaitaire de l'État à la caisse de Sécu pour permettre à l’hôpital de faire face à des créances irrecouvrables, pour des soins faits à des patients ne bénéficiant d’aucune couverture. Et les soins destinés à lutter contre la propagation d’une maladie font partie de ce dispositif de soins urgents et vitaux. Cette dotation représentait 70 millions d’euros, en 2023. si les dépenses dépassent ce forfait - c’est souvent le cas -, le supplément est à la charge de la CPAM. Donc une AMU, aide médicale d’urgence, de fait existe déjà. Et d’aucuns disent du reste qu’en toute justice, la facture devrait être envoyée aux pays d’origine et, s’ils refusent de l’honorer, déduite de l’aide publique au développement. Mais ne rêvons pas.
Mais y a une différence de taille entre les deux, qui rend la DSUV beaucoup moins attractive : la DSUV offre une couverture bien moins grande, ne peut être obtenue qu’à l’hôpital et n’octroie pas un statut d’assuré social (il est vrai qu’un statut reconnu par l’administration pour des clandestins qui n’ont théoriquement pas de statut administratif, c’est Ubu à la CPAM). Et le DSUV, comme son nom l’indique, ne recouvre que les soins urgents et vitaux. Avec leur AME, Madame Darrieussecq, Charles de Courson et Sylvain Maillard veulent nous éviter sans doute une épidémie d’oreilles décollées ou d’anneaux gastriques, hautement contagieux comme chacun sait.
Gabrielle Cluzel
https://www.bvoltaire.fr/fake-news-et-enfumage-prets-a-tout-pour-sauver-lame-meme-a-se-ridiculiser/