La campagne de Russie
Lorsque Napoléon envahit la Russie durant l’été 1812, il commande près de 600.000 hommes, une armée immense composée de soldats venus de toute l’Europe conquise. Il espérait alors forcer le tsar Alexandre à maintenir le blocus continental contre l’Angleterre afin d’asphyxier économiquement le banquier des coalitions européennes. Cependant, les Russes, rusés et prévoyants, pratiquèrent une stratégie de terre brûlée, incendiant villes et récoltes avant de se replier toujours plus loin vers l’est pour ne laisser aucune ressource, aucune nourriture, aucun foyer pouvant servir la France. Malgré cela, la victoire sanglante de la Moskova permit à Napoléon d’entrer dans Moscou, mais la ville, désertée et en flammes, ne lui offrit aucun répit. L’armée, privée d’abris, d’approvisionnements et déjà affaiblie par la maladie, perdit rapidement sa capacité d’organisation. L’hiver approchant et devant un ennemi insaisissable, la retraite devint inévitable et fut à l'origine d'une tragédie sans nom.
Une épidémie meurtrière
La souffrance des grognards marchant avec peine dans les paysages gelés de Russie ne se limita pas alors aux rigueurs du climat et au manque de vivres. En analysant des fragments de dents récupérées sur les dépouilles de soldats français enterrés en Lituanie, des chercheurs de l’Institut Pasteur ont mis en évidence, dans une étude parue ce 24 octobre, la présence de plusieurs agents infectieux. Rémi Barbieri, chercheur spécialisé en paléogénomique, déclare ainsi, avec ses confrères, avoir « découvert deux nouveaux pathogènes totalement insoupçonnés : la fièvre paratyphoïde et la fièvre récurrente. La première est transmise par la contamination d'eau ou de nourriture par des excréments de personnes infectées, la deuxième est transmise par les poux de corps. »
Cette combinaison de maladies, à laquelle s’ajoutent également le typhus et la dysenterie, aggravée par l’épuisement et l’insalubrité de la marche, fit s’effondrer la Grande Armée. On estime que près de 300.000 braves soldats périrent, sans même compter ceux qui désertèrent, furent faits prisonniers ou achevés par l’ennemi lorsqu’ils n’avaient plus la force de marcher. Les conquérants des vertes plaines de France devinrent des morts-vivants. Nombres de cadavres se sont ainsi amoncelés sur le chemin, figés dans la neige sans sépulture, tandis qu’une poignée, seulement, parvinrent à retrouver leur foyer après avoir traversé un enfer de glace et de peine.
La fin de l’Empire
Le désastre de la campagne de Russie ne fut pas seulement humain mais aussi politique. L’Europe des monarchies, témoin de l’affaiblissement militaire français, se réveilla. En effet, l’aura d’invincibilité de Napoléon ayant disparu avec les morts laissés dans les congères russes ouvra la voie à une nouvelle coalition. Une guerre s’ensuivit, débouchant sur la défaite de Leipzig en 1813 puis sur l’invasion du territoire français, jusqu’à l’abdication de l’Empereur, en 1814.
La retraite de Russie marqua l’effondrement d’un rêve de puissance. L’empire que Napoléon avait bâti par la force des batailles avec le sang de ses armées fut fragilisé et finalement renversé par des virus ennemis et invisibles, aussi minuscules que meurtriers.
