Le constat est sans appel, la violence liée au trafic de drogue a explosé au cours de la dernière décennie. Avec 109 tués recensés en 2023, et 110 décès et 341 blessés enregistrés en 2024, le bilan des homicides et tentatives d’homicides entre délinquants est en hausse constante ces dernières années. Cette « guerre des territoires » frappe particulièrement Marseille, mais s'étend désormais à l'ensemble du pays. Plus grave encore, les victimes et les auteurs mineurs se multiplient, sacrifiant notre jeunesse pour la seule loi du profit.
Le temps des ajustements législatifs est révolu, car le droit commun a atteint son plafond d'efficacité. Pour désorganiser ces réseaux transnationaux, il est désormais impératif d'adopter une stratégie de rupture inspirée de la lutte contre le terrorisme.
L'urgence d'une riposte technologique
Le talon d'Achille de la répression est l'obsolescence de l'enquête technique. Les trafiquants communiquent via des messageries chiffrées, rendant les écoutes classiques inopérantes. Nos procédures de Saisie de Données de Logiciels (SDJ) sont trop lentes et exigent souvent la saisie matérielle du téléphone. Ce délai est fatal, et les enquêteurs sont bloqués faute d'un cadre juridique agile - en particulier pour les perquisitions numériques à distance -, qui permettrait de frapper directement les serveurs et d'accéder aux données avant leur destruction.
Le futur Parquet National Anticriminalité Organisée (PNACO), qui constitue sans doute l’innovation la plus importante de la dernière loi contre le narcotrafic, doit bénéficier, sous strict contrôle du juge, d'une transposition ciblée des techniques antiterroristes, notamment l'accès rapide et profond aux communications chiffrées, pour remonter instantanément les chaînes de « commandement ».
Frapper au portefeuille, le renversement de la charge de la preuve
Par ailleurs, nous le savons, l'argent est le moteur essentiel du trafic. Pourtant, notre droit pénal ne le menace pas assez. Les trafiquants blanchissent leurs milliards d'euros via des montages complexes et transnationaux, qui masquent facilement l'origine illicite des fonds. La charge de la preuve est aujourd’hui, sans conteste possible, la forteresse des criminels. Actuellement, c’est à l'État qu’il appartient de prouver le lien existant entre l'argent du trafic et le bien acquis, qu'il s'agisse d'une villa, d'un yacht ou d'un compte offshore.
Pour un choc économique immédiat, une réforme s'impose, le renversement de la charge de la preuve en matière d'avoirs criminels. Inspirée des Unexplained Wealth Orders (UWO, "injonctions pour richesse inexpliquée" britanniques) ou de l'arsenal antimafia italien, cette mesure permettrait au PNACO d'imposer à tout suspect de narcotrafic de prouver l'origine licite de son patrimoine manifestement disproportionné. En cas d'échec de la preuve, le juge pourrait prononcer la confiscation préventive du bien, sans attendre la condamnation définitive. C'est la seule mesure qui rendrait l'investissement dans le crime trop risqué et qui toucherait directement et efficacement les trafiquants.
Briser la loi du silence
Enfin, pour briser la loi du silence et la solidarité criminelle, il est crucial de rendre le statut de collaborateur de justice (repenti) réellement attractif. Le dispositif actuel n'offre pas les garanties de protection et les réductions de peine suffisamment fortes pour inciter les membres des réseaux à dénoncer les commanditaires et à révéler les circuits financiers.
L'objectif est clair, l’État via le PNACO doit mener une guerre totale, judiciaire, économique et technique, en s'attaquant au commandement et au financement de ces trafics. Les lois actuelles ne suffisent plus. Il est temps que le législateur donne aux forces de l'ordre les moyens juridiques d'une réponse à la hauteur de la menace exceptionnelle que représente le narcotrafic pour la sécurité nationale.