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Palestiniens massacrés là-bas, Palestiniens manipulés ici

Pendant qu’Israel écrasait les Palestiniens sous les bombes à Gaza, certains groupes mènaient une lutte idéologique à Paris et en Cisjordanie.

Diverses organisations pro-palestiniennes appelaient à manifester le 18 novembre à l’Opéra, contre l’agression sur Gaza. Une fois sur place, on pouvait remarquer quelques jeunes agitant des pancartes à la gloire de la Syrie "libre", celle des mercenaires ; sur les marches de l’Opéra, bien au centre, et sous la grande banderole de l’UJFP (Union des Juifs français pour la paix), qui occupait la moitié de la largeur de l’Opéra, flottait le drapeau syrien des mercenaires, à 3 étoiles. A partir de 16H, les drapeaux mercenaires se sont multipliés, il y en avait autant que de drapeaux palestiniens ! Pourquoi n’y a-t-il pas de drapeaux loyalistes ? me disais-je. La réponse ne s’est pas fait attendre : 2 jeunes gens ont déroulé, depuis un des balcons, une pancarte avec la photo de Bachar el Assad ; aussitôt, ils se sont fait copieusement huer, et la pancarte a disparu. Je n’ai pas vu comment cela s’est fait : je faisais face aux porteurs de drapeaux mercenaires, essayant de faire entendre mon indignation, j’ai seulement vu tomber des fragments de papier. Les mercenaires syriens ont clairement pris le pouvoir à Paris, et se comportent déjà de façon terroriste (comme en Libye, moins, pour l’instant, les armes). Il est vrai qu’ils peuvent s’appuyer maintenant sur un ambassadeur officiel, reconnu par la France et les monarchies et émirats arabes (regroupement logique, uni par les valeurs démocratiques).
Quand j’interrogeais quelqu’un dans la foule, il me répondait qu’il était là pour Gaza et qu’il ne fallait pas s’occuper des provocateurs. Il était clair que les manifestants se partageaient entre spontanés de bonne volonté venus exprimer leur soutien à la Palestine, et activistes de diverses associations qui ont détourné et récupéré la manifestation pour Gaza pour en faire une action de propagande en faveur des mercenaires syriens. Les organisateurs de la manifestation, s’ils n’ont pas organisé ce détournement, l’ont cautionné, car le service d’ordre ne voulait rien voir, se contentant de répondre : "pas de divisions entre Arabes" - curieux discours, en temps de guerres entre arabes, en Syrie et ailleurs.
Je ne veux pas critiquer les militants sincèrement pro-palestiniens, et cette manifestation nous a permis d’entendre le Docteur Abdelaish exprimer avec une grande dignité (après la mort, dans l’opération israelienne de 2008, Plomb durci, de trois de ses filles) son espoir dans la victoire de la Palestine. Mais cette manifestation était encadrée par des mouvements dont la Palestine n’est pas la priorité, ou qui définissent, à la place des Palestiniens, quelles doivent être leurs priorités, et dans quelles limites doivent se situer leur action et leurs revendications.
Et cette manifestation n’est pas un cas isolé.
J’ai déjà eu l’impression gênante d’un exercice de ventriloque en regardant le film Cinq caméras brisées. Présenté comme un film palestinien d’Emad Burnat, il a reçu diverses récompenses et est passé à la télévision sur la 5, avant d’être diffusé dans une salle du Quartier Latin qui accueillait une organisation pro-palestinienne (à qui elle abandonnait la recette de la soirée).
Ce film est présenté comme réalisé par un paysan palestinien (Emad Burnat) qui décide, à partir de 2005, de filmer les actions de protestation des Palestiniens de Bil’in contre le Mur israelien et les confiscations de terres et les arrachages d’oliviers qu’il entraîne. Ces actions sont admirables de courage et de ténacité, là n’est pas le problème, mais dans l’orchestration dont elles font l’objet dans le film : même un spectateur bien intentionné y perçoit des fausses notes : un Palestinien se comportant, dans les manifestations, de façon histrionesque, des dialogues artificiels entre le héros et sa femme (née au Brésil), qui ont évidemment été scénarisés, l’insistance sur le fait que le héros, gravement blessé, est soigné à Tel Aviv, et, surtout, l’affirmation répétitive que toutes les actions sont strictement pacifiques.
L’explication des discordances apparaissait dans le débat qui suivait le film : le spectateur, pris par l’empathie à l’égard des Palestiniens, n’y faisait pas attention, mais le paysan-cinéaste était lui-même filmé par d’autres cameramen, israéliens ou occidentaux, dont la présence modifiait le comportement des policiers israéliens, étonnamment calmes. Ce dispositif jette la suspicion sur tout le film : est-ce vraiment la vision d’un Palestinien, que nous voyons, ou celle des organisations qui l’ont parrainé (et ont sans doute payé ces 5 caméras, successivement cassées par les policiers israéliens) ? Qu’importe, dira-t-on, si ce film contribue à populariser la résistance des Palestiniens de Bil’in ?
Cela importe beaucoup, car le sens et les buts réels de la résistance palestinienne en sont dénaturés : le porte-parole, dans le débat, de l’organisation marraine, a insisté sur "l’idéal pacifiste " qui animerait les Palestiniens. Mais depuis quand les Palestiniens ont-ils un idéal pacifiste ? On peut comprendre, du fait de la tragique disproportion des forces en présence, que les Palestiniens adoptent des stratégies pacifiques : mais quel peut être le sens d’un "idéal" pacifiste face à la brutalité d’Israel ? Le seul idéal des Palestiniens n’est-il pas de pouvoir de nouveau vivre sur leurs terres ancestrales, qui leur ont été confisquées par des actions de guerre ? Leïla Shahid reconnaissait récemment que 20 ans de négociations n’avaient mené les Palestiniens nulle part, - si ce n’est à une terrible détérioration de leur situation.
Cette tutelle des organisations françaises me navre quand je pense qu’étant étudiante j’ai pu entendre un représentant du FPLP* de Georges Habache, à l’époque (chantée par Jean Genet**) où la Palestine avait son armée de Libération, dissoute à la suite des accords de 1982, immédiatement suivis par les massacres de Sabra et Chatila, dans les camps de réfugiés vidés de leurs défenseurs, en route (conformément aux accords et avec la garantie de Mitterrand) pour Tunis.
notes
* Front Populaire de Libération de la Palestine créé dans les années 70 par Habache, un leader charismatique, chrétien, sans doute beaucoup plus à gauche qu’Arafat.
** Dans Le captif amoureux, où Genet décrit la vie dans les campements de l’armée palestinienne, en Jordanie, près d’Irbid.
source
Le Grand Soir :: lien

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