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Le grand gaspillage des collectivités locales

La décentralisation n’est pas seule responsable de l’explosion des dépenses des élus locaux depuis dix ans. Le réseau territorial est devenu un maquis opaque : doublons, financements croisés, enchevêtrements… Le chef de l’Etat saura-t-il le clarifier ?

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C’est un rendez-vous incontournable pour nos poids lourds de la politique. Du 20 au 22 novembre, onze ministres (Pierre Moscovici, Vincent Peillon, Cécile Duflot…) ainsi que le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, et le chef de l’Etat, François Hollande, qui prononcera le discours de clôture, assisteront au 95e congrès des maires de France, à la Porte de Versailles, à Paris. Avec 12.000 participants, dont 9.000 élus arborant leur écharpe tricolore, 600 journalistes et 150 intervenants, c’est une démonstration de force du réseau des élus locaux. Curieux mélange de maires de petites communes (85% comptent moins de 2.000 habitants) et de barons des grandes villes, comme Bertrand Delanoë, le maire de Paris, l’un des maîtres de cérémonie. L’an dernier, François Hollande était venu sonner le rassemblement des élus socialistes dans la campagne présidentielle. Cette année, il viendra leur vendre l’un de ses grands projets, son nouvel “acte de la décentralisation“, avec une loi prévue pour le début de l’an prochain.

Triste record du monde

Le chef de l’Etat a promis un grand ménage : “Assez de superpositions, assez d’additions“, a-t-il lancé le 7 septembre à la Cour des comptes, où il a affiché son ambition de “clarifier les rôles de l’Etat et des collectivités“. Car notre “millefeuille territorial” est unique en Europe, comme le montre notre graphique ci-dessous. “Comment comprendre la multiplication, la complexité des interventions locales, les financements croisés qui ajoutent à la confusion ? a-t-il demandé à l’occasion des états généraux de la démocratie territoriale, le 5 octobre. Comment admettre l’illisibilité des actions, alors même que les élus se dévouent pour le bien commun, mais n’arrivent pas à comprendre qui est responsable de quoi avec l’enchevêtrement des compétences ?

Le big bang Hollande aura-t-il lieu ? Rien n’est moins sûr. Pour l’heure, sa réforme territoriale apparaît bien tiède, avec un simple renforcement du pouvoir des régions, qui vont hériter des fonds européens, de la formation professionnelle et d’une fiscalité propre. “Son projet vise à réorganiser le système sans braquer aucune catégorie d’élus, relève Patrick Le Lidec, chercheur au CNRS et fin connaisseur du sujet. La France a le record du nombre de collectivités, avec 60.000 entités, quand le Royaume-Uni en compte 300. Et c’est le seul pays qui permet à toutes les collectivités de tout faire.” Pourtant, le chef de l’Etat ne veut pas supprimer la clause de compétence générale, le principe fondateur de nos collectivités, qui permet aux élus d’intervenir dans n’importe quel domaine. Sur le terrain, les doublons vont donc continuer à prospérer : “Le département de Loire-Atlantique a versé une subvention de 40.000 euros pour rénover un complexe sportif dans ma commune, alors que le coût des travaux atteint 1 million d’euros, rapporte François de Rugy, coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée et conseiller municipal d’Orvault. Cela n’a aucun sens. Cela prend du temps aux services du conseil général pour rien.

Même pagaille dans l’action économique, notamment en Ile-de-France. Le conseil régional a créé une agence régionale de développement, avec plus de 10 millions d’euros de budget, qui essaime à San Francisco, Boston ou Shanghai pour attirer les entreprises. Mais elle doit composer avec les agences de développement des départements, qui mènent la même action, parfois dans le même pays. Ainsi, le Comité d’expansion économique du Val-d’Oise a lui aussi ouvert une antenne à Shanghai ; le Bureau économique des Hauts-de-Seine, de son côté, a préféré Nanjing. “En plus, ces organismes doivent se coordonner avec les chambres de commerce, régionales et départementales, et les agences de développement de certaines grandes villes. Il y a un grand besoin de clarification“, admet Jean-Yves Durance, président de la chambre de commerce des Hauts-de-Seine. Dans cette organisation kafkaïenne, l’Etat a sa responsabilité, car il a souvent décentralisé en conservant les administrations locales. “Dans la culture, le sport ou le logement, il a maintenu ses directions, qui instruisent les mêmes dossiers que les collectivités. Une perte de temps, déplore Yves Krattinger, influent sénateur PS. Quand l’Etat nous transfère une compétence, qu’il le fasse à 100% !

Conséquence fâcheuse de cet embrouillamini local : il fait exploser les dépenses des collectivités. Depuis 1990, elles ont été multipliées par 2,5, atteignant 240 milliards d’euros. Certes, les élus ont hérité de lourdes charges transférées par l’Etat, notamment les prestations sociales (RSA, allocation d’autonomie… ) versées par les départements. N’empêche, même si l’on exclut ces transferts, le dérapage n’en reste pas moins impressionnant. “Le bloc communal (communes et communautés de communes) n’a pas reçu de nouvelles compétences de l’Etat, et pourtant ses effectifs ont explosé“, s’alarme le député René Dosière, auteur de L’Etat au régime (Seuil). Entre 1998 et 2009, les intercommunalités ont plus que doublé leurs effectifs, tout en reprenant une partie des activités assurées par les communes (voirie, déchets…). Or cela n’a pas empêché les mairies d’accroître elles aussi leurs effectifs de 7% sur la période.

Ces attaques sont outrancières. Depuis deux ans, nous avons réussi à stabiliser les effectifs“, se défend l’UMP Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France.

Des élus mal contrôlés

Pour financer ces dérapages, les impôts locaux flambent, affichant la plus forte progression parmi nos prélèvements. Depuis 2000, la taxe d’habitation s’est envolée de 96%, pendant que la taxe foncière bondissait de 72% ! Sur la même période, la collecte de l’impôt sur le revenu n’a progressé que de 5% … Une explosion qui n’a pourtant provoqué aucune révolte fiscale. “Par leur proximité, les élus locaux ont pu expliquer pourquoi ils augmentaient les impôts, décrypte René Dosière. Et l’Etat a payé une partie de la facture en exonérant les catégories modestes de taxe d’habitation.” Toutefois, le gouvernement a décidé de serrer la vis des transferts aux collectivités, son premier poste budgétaire : 100,6 milliards d’euros en 2012, qui seront gelés l’année prochaine et baisseront de 2,25 milliards d’ici à 2015.

Alors, comment stopper la dérive ? Hôtels de région mégalos, dépenses de communication excessives, organigrammes pléthoriques… Comme le révèle notre enquête, la gestion de nos élus reste très laxiste, notamment au conseil régional d’Ile-de-France, exemple emblématique. S’il y a autant de dérapages, c’est que l’Etat a décentralisé sans muscler son appareil de contrôle. “Avec à peine 300 magistrats dans les chambres régionales, les effectifs pour contrôler les dépenses des collectivités locales sont dérisoires“, déplore Patrick Le Lidec. Contrairement au système britannique, où la surveillance se fait quasiment en temps réel par l’Audit Commission, les contrôles n’ont lieu que tous les quatre ou cinq ans en France. Un laps de temps largement suffisant pour multiplier les gaspillages.

Challenges  http://fortune.fdesouche.com

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