À l'aube de cette journée une importante flotte anglaise, la force H aux ordres de l'amiral Somerville, arrive au large de la rade de Mers el-Kébir proche d'Oran où se trouve une partie de la flotte française de l'Atlantique (dont les croiseurs Bretagne, Dunkerque et Strasbourg) qui s'y est repliée. C'est la force "Raid".
FEU À VOLONTÉ
La mission de la Force H est d'appliquer l'opération "Catapult". Que son chef, l'amiral Sommerville, malgré les réticences, a reçue de Churchill, Premier ministre et des lords de l'Amirauté. Somerville doit présenter au vice-amiral Gensoul qui commande la force "Raid" diverses propositions. Ralliement, désarmement, transfert forcé aux Antilles, etc... , sabordage. En fait, c'est un ultimatum. Accepter, c'est rompre l'armistice, refuser, c'est l'ouverture du feu. Les délais sont très courts. Il y eut des pourparlers toute la matinée et en début d'après-midi. Gensoul veut gagner du temps car il a appris que des navires de Toulon sont envoyés en renfort. Mais les Anglais le savent aussi : Gensoul a alerté l'état-major de la marine installé à Nérac (ville natale de l'amiral Darlan). Il lui est confirmé qu'il doit appliquer les ordres que l'amiral Darlan a transmis par son code secret (Xavier 377) le 24 juin aux amiraux français. En principe, mais Vichy et Darlan ne sont pas d'accord ; la flotte française devrait appliquer l'article 8 de l'armistice : les navires doivent se mettre sous le « contrôle de l'Allemagne et de l'Italie ». Cet article 8 contesté par la France est en discussion devant la commission franco-allemande de Wiesbaden.
Les ordres de Darlan ont été clairs : la flotte sera démobilisée dans des ports français mais en aucun cas ne tomber aux mains « de l'ennemi ou de l'étranger ». S'il y a une menace sérieuse - il faut préparer et appliquer ''l'autosabotage''. Ce sont ces ordres qui seront obéis à Toulon lors du sabotage de la flotte en novembre 1942. Gensoul a échangé des messages avec Somerville ; il sait que, s'il obéit aux Anglais, c'est la fin de l'armistice avec toutes ses conséquences. Il l'a dit à Sommerville. À la force il répondra par la force. Il a donné l'ordre de mettre tous les navires en position de , combat et de rappeler les équipages à terre. Ce qui n'est pas facile en si peu de temps. À Londres Churchill s'impatiente. Finalement à 16h 56 les Anglais ouvrent le feu, le navire amiral Hood en tête avec ses canons de 380. Le combat inégal va durer un quart d'heure. Le commandant Vulliez qui se trouve sur place a raconté les épisodes dans son livre Mers el-Kébir publié aux éditions France Empire en 1975 : « Ce fut un jeu de massacre ». Le croiseur Bretagne atteint de plein fouet chavire en quelques minutes entraînant avec lui son équipage de mille hommes, le Dunkerque est endommagé sérieusement, comme d'autres navires escorteurs, contre torpilleurs. Surtout sur le Dunkerque, ce fut dantesque. Hommes et officiers sont blessés ou tués sur le pont mais de nombreux marins sont coincés dans les soutes et la salle des machines. De lourdes plaques d'acier qui bloquent les issues. Quand on arrive à les ouvrir, les hommes qui sortent sont brûlés, ébouillantés, certains sont fous. Dans les heures qui suivent on découvrira des cadavres étouffés ou carbonisés.
Les eaux de la rade sont recouvertes d'une gluante nappe de pétrole. Des rescapés y nagent, si des chaloupes les recueillent, d'autres, épuisés, coulent. Le bilan total des pertes humaines sera de 1 300 tués. Méconnaissables et pour la plupart jamais identifiés. Il n'y a qu'un bateau, le croiseur Strasbourg qui a pu gagner le large échappant, de vitesse aux avions et navires anglais. L'opération "Catapult" n'est pas totalement terminée. Le 7 juillet l'aviation anglaise et un sous-marin attaquent le fleuron de la marine française, le Richelieu, embossé en rade de Dakar. Le bâtiment sera torpillé et immobilisé. Grâce à des prodiges de travail, il sera retapé et prêt au combat. Fin septembre 1940 devant Dakar, les navires anglais subiront les 380 du Richelieu.
CAUSES ET CONSÉQUENCES
Des centaines de livres ont été écrits sur Mers el-Kébir. On ne peut les lire tous. Nous nous sommes bornés surtout à l'excellente étude, comme toujours fondée sur des témoignages et surtout sur les archives de Claude Paillat (1) Pas moins de trois chapitres. Le premier « Churchill prépare un coup ». Le dernier « Assassinat à Mers el-Kébir ». Churchill n'a pas attendu juillet 1940 pour décider et préparer l'attaque. Pourtant en tête-à-tête mi-juin Darlan lui avait dit que jamais la flotte française ne serait livrée aux Allemands. Et les services anglais connaissaient les messages de Xavier 377. Peine perdue. Churchill sur le plan intérieur est en position difficile. Il sait qu'il existe au Parlement le parti de l'apeasement qui pourrait signer un armistice avec Hitler. L'Angleterre est vulnérable à un débarquement qu'Hitler tarde à préparer (l'opération "Sealow"). Il ne pourrait le faire qu'avec une forte marine, ce qui n'est pas le cas. Avant 1940, les sous-marins ont été préférés aux navires de surface. Churchill, faut-il le dire, est un excellent patriote mais anglais. En juin il nous avait conseillé contre les Allemands d'utiliser la "guérilla". Dans un pays à terre, dix millions de civils sur les routes ! Des millions de prisonniers, une armée cassée, encore des morts et des représailles !
LE VRAI VISAGE DE CHURCHILL
Evidemment de nos jours il nous est officiellement sympathique. François Delpla l'évoque (avec quelques réserves) dans son livre Mers el-Kébir, 3 Juillet 40 (éditions François Xavier de Guibert. 356 pages. 32 euros) Sous titre : « L'Angleterre rentre dans la guerre. » Mais elle n'en était jamais sortie. Nous avons essayé de lire son livre qui n'est pas le premier qu'il a écrit sur 1940. C'est long, répétitif, touffu, rempli de citations, avec une abondante bibliographie (où Paillat n'est pas cité). Pour Delpla c'est « Hitler qui provoque l'ouverture du feu en rade d'Oran par ses conditions d'armistice qui se veulent subtiles, propres à convaincre l'Angleterre de signer à son tour. » Ah bon ! Hitler présenté comme l'Antéchrist, un vocabulaire démonologique ! Le contenu du livre est moins sommaire mais il se termine par un chapitre intitulé : « En vouloir à l'Angleterre »? Non. Mais en vouloir à Churchill, oui. Delpla signale d'ailleurs qu'outre-Manche et après 1945 de nombreux historiens anglais n'ont pas été tendres avec l'idole de 1940-1945 et chez les marins beaucoup condamnent et regrettent Mers el-Kébir. En 1950 Lord Mounbatten sur place rendit un hommage discret aux centaines de malheureux marins de juillet 1940 inhumés dans un cimetière militaire.
Hitler espérait-il que le gouvernement français, indigné comme l'opinion française (se souvenir de Mauriac dénonçant dans Le Figaro « le visage de Gorgone » de l'Angleterre), déclarerait la guerre à l'Angleterre? Le Maréchal Pétain, le général Weygand, d'autres (comme Baudoin, ministre des Affaires étrangères) ont heureusement refusé cette issue d'ailleurs inapplicable vu le contexte. Il y eut rupture des relations diplomatiques (mais plus tard une mission secrète de Louis Rougier à Londres) et une tentative d'attaquer Gibraltar par des bombardiers aux ordres du futur général Chassin.
Sur le plan de l'opinion anglaise, plus de réticence. Churchill a gagné. L'Angleterre ira jusqu'au bout. Hitler aurait été impressionné par le succès anglais. Il renonce à Sealow et, dès l'automne, donne des ordres pour Barbarossa. Roosevelt confirme la solidarité anglo-saxonne mais en revanche se garde d'engager son pays dans la guerre et se dit neutre à la veille de sa campagne présidentielle. À la radio anglaise le 8 juillet, De Gaulle approuve Churchill, l'excusant et reprenant la fausse accusation que les navires pouvaient être livrés. « Je dis sans ambage qu'il vaut mieux qu('ils) aient été détruits. » Mais dans ses Mémoires de Guerre (1954, tome un), il a été plus sévère pour le gouvernement et l'amirauté britannique. Il dénonce même « les sombres impulsions et l'instinct refoulé (c'est-à-dire anti-français) » de ce peuple. Il a aussi reconnu que les retombées de Mers el-Kébir furent dures pour lui. Comme l'humiliant échec de son expédition sur Dakar en septembre 1940. Où il n'y avait pas de soldats allemands et italiens (encore un mensonge) mais des forces françaises fidèles à Vichy qui se souvenaient de Mers-el-Kébir.
DARLAN AMIRAL DE LA FLOTTE
Il y a une longue suite à Mers el-Kébir. D'abord à nouveau des combats lorsque les Américains débarquent à Alger et à Oran en novembre 1942. À Oran, ils sont accompagnés de troupes anglaises dont l'identité est camouflée mais ils sont durement accrochés par des forces françaises qui n'ont pas encore reçu de l'amiral Darlan l'ordre de cessez-le-feu. Darlan, l'amiral de la flotte (en 1939 la deuxième du monde) est assassiné à Alger le 24 décembre. Une sombre histoire encore sensible où pataugent monarchistes (directement responsables) mais aussi dans la coulisse des gaullistes et l'Intelligence Service. Après 1942, Darlan est oublié, discrédité. Son cercueil reposait dans une casemate de l'Amirauté d'Alger. À l'indépendance en 1962 a-t-il subi des outrages ? Le corps s'y trouvait encore ? (2) En 1964 De Gaulle régnante, l'escorteur d'escadre Maillé-Brézé transporte le cercueil à Mers el-Kébir. Il sera inhumé avec les honneurs militaires au milieu des morts de 1940. Sur sa tombe (en lettres d'or) : « François Darlan. Amiral de la Flotte. Nérac 7 août 1881-Alger décembre 1942. » Mort pour la France : une certaine repentance de De Gaulle ? Possible ! En 1962, les accords d'Evian ont reconnu à la France sa souveraineté sur le cimetière. Qui reçoit parfois des pèlerinages. En l'an 2000, le cimetière est intact mais en 2006 il est saccagé, les tombes endommagées et surtout les croix abattues. C'est la faute des islamistes pour les autorités algériennes. De nouvelles tombes ont été construites, neutres surtout pas de croix ! Depuis des années en France une association existe pour la mémoire des morts de Mers el-Kébir. Elle demande que les cercueils soient rapatriés en France, de préférence en Bretagne. Les Bretons étaient majoritaires parmi les victimes. Quant à Darlan il devrait revenir à Nérac. Darlan à Nérac ? On imagine l'indignation sur commande des revanchards acharnés ! Que soixante-dix ans après le terrible massacre ces morts restent dans nos mémoires, c'est déjà beaucoup !
Jean-Paul ANGELELLI. RIVAROL 2 JUILLET 2010
(1) Claude Paillat est rarement cité. Il paie sans doute son non-conformisme historique. Sur 1940, il a publié pas moins de trois volumes de ses Dossiers Secrets de la France Contemporaine (éditions Robert Laffont). En tout mille six cent pages. Qui dit mieux ?
(2) C'est Pierre Ordioni qui l'affirme dans son livre Le Secret de Darlan. 1940-42. Le complot et le meurtre. Éditions Albatros (1974) Défenseur acharné de Darlan, Pierre Ordioni a laissé une œuvre considérable sur les années 1940-1945. En Algérie et en France. (association du 3-juillet-40, rue des Lauriers, 56650 Luzizac Lochrist).