L’Amérique éclatée : l’indépendance des cinquante Etats est-elle possible ?
Trop monstrueuse, tentaculaire, apoplectique : l’Amérique, boulimie permanente, orgueil pathologique des chiffres, fuite en avant du gigantisme. Plus de 330 millions d’habitants, une dette de 13 trillions de dollars, des aides médico-sociales évaluées à 100 trillions et des élus au Congrès dont chacun représente 750 000 citoyens. Le corps aux dimensions d’un continent reste le même — un damier irrégulier, cohérent, naturel de cinquante Etats — mais c’est la tête qui a gonflé. Démesurément. Washington joue à la capitale en ignorant qu’elle passe de plus en plus pour une hydrocéphale chronique. Elle pompe au pays énergie et créativité pour ne lui restituer que lois, décrets et règlements. Le fédéralisme, instrument subtil et fragile, tient encore par la peinture d’une Constitution, mais dans les coulisses, les tireurs de ficelle ont du mal à sortir d’une caricature de démocratie. L’Etat est devenu trop envahissant, ses rouages trop complexes, ses agents trop nombreux. Trois personnes travaillent pour lui sur cinq que l’on croise dans les rues de Washington. La ville ne s’assimile plus à un symbole planté sur un périmètre neutre : c’est un abcès. Aristote, quatre siècles avant Jésus-Christ, avait recommandé l’échelle humaine pour toutes les communautés au nom du bon sens, de la logique, de l’autonomie économique et de l’efficacité politique. Thomas Jefferson, le plus visionnaire des Pères fondateurs, auteur de la Déclaration d’indépendance et président à deux mandats (1801-1809), batailla toute sa vie contre les dangers du jacobinisme centralisateur et pour l’affermissement des droits des Etats. George Kennan, diplomate, politologue, historien, mort en 2005, avait prédit en pleine guerre froide l’éclatement de l’URSS et annonça en pleine croissance l’implosion des Etats-Unis. Pour deux raisons : taille ingérable, et donc, asphyxie bureaucratique.
VELLEITES SECESSIONNISTES
Forts du patronage intellectuel et de la complicité idéologique d’Aristote, Jefferson et Kennan, les plus tenaces, les mieux organisés parmi les indépendantistes fidèles au célèbre slogan “Small is beautiful” (ce qui est petit est préférable), lancèrent des pétitions dans les cinquante Etats au lendemain de la réélection de Barack Obama à la présidence. Leur stratégie : entretenir plus que jamais la flamme bicentenaire de l’esprit de sécession, souvent pâlotte, parfois négligée, rarement perdue, toujours renaissante. Leur tactique : profiter de deux brûlantes fractures jaillies des urnes — socialisme contre tradition et minorités contre Blancs — pour porter un fer rouge contre Washington. Face à une capitale grossie de toutes les perversions d’un système obsolète, cinquante Etats se dressent au nom de la liberté et de la diversité. Face à un establishment bruissant de tous les calculs d’un régime douteux, cinquante pays se rebiffent au nom de l’Histoire et de leur avenir. Il s’agit de droits bafoués qui entretiennent une interminable polémique. Il s’agit de sortir d’une ornière qui risque de se transformer bientôt en impasse. Ils sont légion, ceux qui veulent sauter en marche du train fédéral, tailler dans le vif, opérer à froid. Divorce à l’amiable ? Cassure en fanfare ? Dans un cas comme dans l’autre, il est encore trop tôt. Il faut que les choses mûrissent, ou plutôt s’enveniment. Il faut qu’un mécanisme d’un autre âge s’enraye dans l’inadmissible, l’absurde. Déjà, dans une vingtaine d’Etats dont la Floride, le Colorado, New York et la Caroline du Nord, les forceurs d’Histoire — comme il existe des forceurs de barrage — ont recueilli une moyenne de 25 000 signatures. En Louisiane, le chiffre atteint 40 000 et au Texas il approche 120 000. Normal. Parmi les rebelles, les Texans sont les plus décidés : fiers de leur quinzième rang dans le monde économique. Et fiers d’ancêtres ayant conquis une indépendance qui dura neuf ans de 1836 à 1845.
LES TEXANS EN POINTE
Ainsi, dans la mouvance d’une cuisante défaite de l’homme blanc — c’est le sceau le plus éclatant du vote du 6 novembre — plus de 800 000 militants et sympathisants séparatistes se mobilisèrent autour de ressorts aussi variés que nombreux. L’événement : la réélection de Barack Obama à la magistrature suprême sidéra la majorité du peuple blanc, qui l’a considérée comme une machination élaborée par un establishment anti-national dans le but d’affermir une double idée, celle d’une suprématie inévitable des minorités et celle de la marginalisation souhaitable du sang européen. Les textes : l’occasion était trop belle de relancer une fois de plus, à travers une Constitution sur ce point fâcheusement imprécise, l’ancien débat interminable opposant, d’un côté, les fédéralistes partisans acharnés de toutes les forces centripètes et, de l’autre, les indépendantistes défenseurs fidèles de toutes les pressions centrifuges. L’économie : la lente mais inexorable glissade de Washington vers un étatisme à vocation socialisante montre aux cinquante morceaux de l’Union que c’est sur eux d’abord que retombent indirectement les conséquences de toutes les extravagances financières du pouvoir fédéral dont l’odieux sauvetage de banques véreuses restera le plus spectaculaire. La fiscalité : la présence de deux pouvoirs parallèles situés à deux niveaux différents (l’un proche, l’autre lointain) devait forcément générer deux sortes d’impôts sur le revenu fatalement analysés sous des angles opposés par les contribuables : l’argent qui reste sur place leur paraît légitime, celui qui court vers Washington leur semble gaspillé. L’histoire : lorsqu’on évoque le passé dans tout récit sur ce genre d’opération chirurgicale, on bute nécessairement sur la guerre entre les Etats, de 1861 à 1865, qui demeurera jusqu’à la fin des temps, pour les anti-fédéralistes, l’illustre précédent, l’exemple héroïque, la borne incontournable de l’espérance martyre et, pour les fédéralistes, l’inadmissible rébellion de sabreurs égarés. La race : les Blancs savent qu’ils deviendront une minorité comme les autres en 2040 — autrement dit, dans une génération —, et ils ont compris que leur seule planche de salut est l’application d‘une politique d’endiguement — les chariots en cercle des pionniers de l’Ouest contre les Indiens — bâtie dans des Etats racialement homogènes à l’intérieur de frontières sûres.
A ces six raisons de prendre le large pour des fédérés en colère, s’en ajoutent deux autres : la première relève d’une constatation mondiale, la seconde d’une expérience constitutionnelle. Si l’on mettait en paramètres puis en équation les 223 pays du monde membres de l’ONU en faisant intervenir superficie, population, richesses, production, etc., on s’apercevrait que 79 d’entre eux sont plus petits que la moyenne des Etats américains — moyenne soumise, bien sûr, au même prisme de calcul. Donc, l’argument de la taille avancé souvent par les enragés de l’Union ne tient pas. Non seulement il ne tient pas, mais il est souligné, amplifié par un autre élément encore plus décisif : plus des trois-quarts des pays considérés comme prospères sont petits. Quelques exemples : […]
Par Paul Sigaud http://rivarol.over-blog.com/