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Bruno Gollnisch : le Japon se redressera (arch 2011)

M & V : Comment le Japon a-t-il pu connaître une catastrophe nucléaire d'une telle ampleur ?
Bruno Gollnisch : Le Japon est et a toujours été un pays extrêmement fragile, fréquemment sujet aux famines et aux guerres civiles, qui n'ont cessé qu'avec l'avènement de la dynastie des Tokugawa au début du XVIIe siècle. Puis, à partir de la restauration de Meiji (1868) il s'est lancé dans une politique expansionniste qui n'a trouvé son terme qu'à Hiroshima et Nagasaki. Sa réussite économique tient à l'organisation méticuleuse, au sens du devoir, à l'intelligence, à la discipline du peuple japonais. Mais les problèmes de la société japonaise ne sont pas résolus pour autant. Le Japon est, à terme, fragilisé par sa structure démographique, parce que des décennies d'avortements, de dénatalité, et corrélativement l'augmentation du niveau de la vie et une hygiène de vie extrêmement saine, ont induit une prolongation de la durée de vie et une pyramide des âges qui repose maintenant sur son sommet au lieu de reposer sur sa base. En une génération, il va passer de 127 à 100 millions d'habitants, dont presque la moitié aura plus de 50 ans.
Mais n'a-t-il pas les moyens humains, techniques, pour faire face à de pareilles crises ?
La puissance japonaise, telle qu'elle avait pu apparaître dans les années 1960 avec un développement fantastique que rappelle aujourd'hui celui de la Chine, est en voie d'érosion à cause de ce problème démographique. Et sur le plan économique et stratégique, sa grande faiblesse a toujours été le manque de matières premières. On sait que le Japon ne pouvait manquer d'entrer en guerre à Pearl Harbour, car les États-Unis l'avaient soumis à un embargo pétrolier qui le contraignait soit à capituler devant les exigences américaines, soit à déclencher les hostilités. Du fait de cette faiblesse, les Japonais ont choisi le nucléaire ; le problème étant que les experts apprécient le risque des accidents, naturels ou autres, mais n'apprécient pas le risque du cumul d'accidents ; or on sait très bien que, généralement, c'est leur cumul fortuit qui provoque une catastrophe. Ainsi, à Fukushima, la centrale a résisté au tremblement de terre, mais n'a pas résisté au cumul du tremblement de terre et du tsunami. Cela étant, en Occident, nous sommes beaucoup plus sensibles à la question des radiations que les Japonais. Avec la pudeur et la dignité qui les caractérisent, ceux-ci ne font pas étalage de la situation dramatique des centaines de milliers de réfugiés du tremblement de terre et du tsunami, dont certains se trouvent, bien qu'il s'agisse d'un pays développé, organisé et discipliné, dans un extrême dénuement. On comprend donc qu'ils ne s'inquiètent pas d'abord des radiations, même si la persistance du problème et son aggravation les inquiètent...
Un État digne de ce nom et d'un dévouement indiscutable
L'aide internationale semble bloquée par cet apparent manque de réaction des Japonais.
Ils sont naturellement touchés. La mère japonaise qui perd ses enfants ou l'homme qui voit sa famille emportée par un tremblement de terre sont aussi affectés que sous nos latitudes. Les Japonais ont une très grande pudeur de leurs sentiments, et sont habitués à les maîtriser, mais ils souffrent comme tout le monde. En ce qui concerne l'aide internationale, le problème est surtout logistique. Bien que les Japonais soient très préparés, que les pompiers volontaires soient très nombreux, s'entraînent régulièrement, etc., le séisme n'a pas seulement détruit les maisons, mais aussi les infrastructures qui permettent d'apporter une aide aux réfugiés.
Le Japon passe pour un pays économiquement fort, et l'on apprend que sa dette est importante...
Elle est colossale et équivaut pratiquement au produit national. Mais elle est assez différente de la nôtre, car essentiellement souscrite sur le marché intérieur. En outre, la monnaie japonaise est très forte. Non seulement elle n'a pas souffert de ce drame, mais, au contraire, elle s'est évaluée par rapport au dollar au cours de cette période.
En prévision de la reconstruction ?
Sans doute, mais cela montre que l'indicateur de la croissance est très imparfait, parce qu'il y a de bonnes croissances qui correspondent à l'augmentation de biens et de services mis à la disposition des gens, et puis il y a une croissance artificielle provoquée, par exemple, par l'insécurité. Le roi du Bhoutan avait proposé de substituer à l'indicateur de produit intérieur brut celui de bonheur intérieur brut. Il a tout à fait raison, mais le bonheur est plus difficile à mesurer que les flux monétaires.
Ce paradoxe économique a-t-il un impact sur l'organisation économique mondiale ?
Il y a bien sûr un impact, parce qu'un déficit énergétique se cumule avec une relative crise du pétrole. Je pense que cela sera résorbé par le labeur et l'organisation des Japonais. Le Japon reste la troisième puissance industrielle du monde.
Quelle est votre action personnelle ?
Je me suis porté volontaire auprès des autorités françaises pour accompagner les équipes de secours, mais on n'a pas jugé utile de faire appel à moi. J'irai peut-être, en mai, rencontrer des politiques.
Selon le sous-directeur de Tepco - la compagnie qui gère la centrale de Fukushima - le retour à la normale ne sera pas possible avant des années...
Pour la Centrale Fukushima Daïchi, c'est sûr. Mais le Japon est en mesure de se redresser. Cette catastrophe n'est pas la première, ni sans doute la dernière, hélas : le grand tremblement de terre attendu dans la région de Tokyo-Yokohama, la région dite du Kantô, où il se produit habituellement tous les trois quarts de siècle - le dernier, en 1923, avait bien plus de victimes que celui qui vient de se produire. Mais les spécialistes ne sont pas capable prévoir un séisme à échéance de plus de quelques heures ou quelques jours...
Le Japon est l'un des pays les plus à même de supporter une catastrophe de cette ampleur...
Oui, parce qu'au Japon il existe quand même un État digne de ce nom, il y a une structure sociale un dévouement indiscutable à la collectivité, discipline. C'est un pays qui n'a pas connu ce que Soljénitsyne appelait l'hypertrophie de l'individualisme juridique, et où les gens sont conscient leurs devoirs avant d'être conscients de leurs droits. En outre, c'est un pays culturellement homogène où le taux de criminalité est dix fois inférieur nôtre. On n'y a pas vu de scènes de pillage ou d'émeutes… Que se serait-il passé si un tel phénomène s'était produit en France ?
Propos recueillis par Olivier Figueras monde & vie du 23 avril 2011

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