Le 17 avril dernier, Jean-Pierre Philibert député UDF du Loir-et-Cher, remettait à Alain Juppé le rapport que la commission d'enquête parlementaire qu'il préside a rédigé sur l'immigration clandestine et le séjour irrégulier des étrangers en France. Après six mois de travail et 72 heures d'audition qui lui on permis de recueillir le point de vue de 39 personnalités diverses, la commission préconise 46 mesures susceptibles d'endiguer le flot des immigrés clandestins dans notre pays. « Ce rapport parlementaire, déclarait Jean-Marie Le Pen sur Europe 1 va indubitablement dans le bon sens dans la mesure où il constate une situation que niaient jusqu'à présent les pouvoirs publics... mais nous sommes encore très loin de ce qu'il faudrait faire pour résoudre ce grave problème. » En fait le mérite essentiel de cette enquête c'est qu'elle met en évidence la faillite de la politique gouvernementale en matière d'immigration, et l'échec des lois Pasqua de 1993.
Premier constat. Il est impossible aujourd'hui de chiffrer le nombre d'immigrés clandestins en France. Personne n'est en mesure de dire combien ils sont! Même pas les députés-enquêteurs qui admettent « qu'il n'existe pas de statistiques de la population immigrée clandestine ou en situation irrégulière. »
Un appel d'offres lancé il y a trois ans auprès de chercheurs universitaires aux fin de définir une méthode d'évaluation des clandestins est resté infructueux. Il faut donc s'en tenir à des hypothèses. En 1989, des rumeurs de régularisations dans certains départements ont permis de faire sortir de l'ombre des clandestins. Ils représentaient environ 5 % de la population étrangère y résidant en situation régulière. Combien ne se sont pas montrés ? On l'ignore. De son côté, M. Francis Lott, directeur de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), a fait état d'au moins 120 000 déboutés du droit d'asile depuis 1991. Il n'a pas estimé invraisemblable un chiffre proche de 200 000 déboutés continuant à résider en France. De son côté le Bureau international du travail estime à 350 000 le nombre des migrants illégaux dans notre pays. Un nombre nettement sous-évalué.
M. Gérard Moreau, qui est directeur de la population et des migrations au ministère de la Ville et de l'intégration, pense qu'entre 50 000 et un million de clandestins, il est impossible de se prononcer. Le deuxième chiffre est bien entendu plus proche de la réalité que le premier.
Mais à défaut de pouvoir quantifier le phénomène, les enquêteurs parlementaires ont mis en lumière un certain nombre de failles juridiques et de dysfonctionnements dans notre législation qui font que les clandestins peuvent toujours pénétrer en France et y subsister.
✑ Certificats d'hébergement bidon
Rien ne peut empêcher les étrangers de venir dans notre pays. Pour cela rien de plus facile que de demander un visa de court séjour, en vue d'une visite familiale ou privée. Afin, d'être sûr qu'il s'agit bien d'une visite temporaire, on a pensé prendre une garantie en exigeant un certificat d'hébergement signé par la personne qui accueille l'étranger. Ce certificat pour être valable doit être visé personnellement par le maire ou l'un de ses adjoints.
Aucun contrôle ne pouvant être exercé par la municipalité, l'expérience a prouvé que les cas de fraude étaient innombrables. De plus, aucune disposition ne permet de contrôler que l'hébergé a quitté le territoire national à l'expiration de son droit au séjour.
Comme si cela ne suffisait pas, les exceptions ne manquent pas, ainsi pour les ressortissants d'Algérie, du Maroc et de la Tunisie, le conjoint et les enfants mineurs d'un titulaire d'une carte de résident ou d'une carte de séjour temporaire sont dispensés de ce fameux certificat.
Pour supprimer tout risque d'immigration clandestine grâce à l'obtention des certificats d'hébergement, c'est tout le système de la délivrance de ce document qui est à revoir de fond en comble.
✑ Frontières passoires
Autre source importante d'immigration clandestine, les frontières passoires. La tâche de la Diccilec (Direction centrale du contrôle de l'immigration clandestines), chargée de surveiller les entrées du territoire, est extrêmement difficile à accomplir. En effet, comment contrôler des frontières qui n'existent plus depuis le 26 mars 1995 pour les huit Etats signataires de la Convention de Schengen (France, Allemagne, Belgique, Pays-bas, Luxembourg, Espagne, Portugal, et Italie) ? En ce qui concerne l'Italie, les contrôles subsistent car le comité exécutif a jugé que ce pays ne remplissait pas un certain nombre de conditions préalables. Jusqu'à quand ?
Aux postes terrestres, la nécessité de préserver la fluidité du trafic rend impossible les contrôles systématiques. Sans compter qu'en de nombreux endroits, ces postes peuvent être contournés facilement. Dans le département du Nord, il existe 240 point de passage carrossables sans contrôle. A l'autre bout de la France, à Vintimille, il suffit que le clandestin change de quai pour échapper aux policiers.
Par exemple, le contrôle de certains accès maritimes relève de la mission impossible. Ainsi à Marseille, pour surveiller 100 kilomètres de quais et 4 000 bateaux de gros tonnage qui arrivent chaque année, la Dissilec ne dispose que de 89 fonctionnaires. En 1995, des contrôles ont permis de découvrir 502 immigrés clandestins, contre 334 en 1994. Par ailleurs, la découverte de passagers clandestins pose des véritables casse-tête aux fonctionnaires. Accepter le débarquement contraint les policiers à remettre en liberté ces clandestins, s'ils ne peuvent pas les reconduire rapidement dans leur pays d'origine. Ce qui est pratiquement toujours le cas.
Ce problème est encore plus ardu en Guyane, où le quart de la population est en situation irrégulière. Les immigrés en provenance du Surinam n'ont aucun mal à traverser le fleuve Maroni. Ceux qui viennent du Brésil font la même chose sur le fleuve Oyapock. Un escadron de gendarmes mobiles et une compagnie du 9e RIMA, en poste depuis 1992 et janvier 1995 n'ont pas résolu le problème.
✑ La filière des réfugiés politiques
La commission parlementaire pose la question : « Le droit d'asile (cher à Mitterrand et aux socialistes) est-il détourné et sert-il l'immigration clandestine ? »
Après avoir été multiplié par trois entre 1981 et 1989, le nombre de demandes d'asile a été depuis divisé par deux (61 422 en 1989, 54 813 en 1990, 47 380 en 1991) En 1995, ce nombre s'est élevé à 20 016 demandes. Le taux d'acceptation est passé de 28,14 % en 1989 à 16,76% en 1995. C'est tout de même environ 200 000 personnes (majeurs et mineurs) qui bénéficient actuellement du statut privilégié de réfugié au titre du droit d'asile. Sur ce nombre, combien de réfugiés bidon ?
On peut en avoir une petite idée en observant que les réfugiés de Roumanie, alors que ce pays n'est plus sous la botte de Ceausescu depuis plus de six ans, sont en augmentation constante ( ils représentaient 6 % du nombre de demandes en 1990, 8 % en 1992, 10 % en 1993, et 15 % en 1994 !)
✑ Fraudeurs polygames
Depuis 1993, le regroupement familiale polygame n'est plus acceptable en France, ce qui n'empêche pas un certain nombre de musulmans polygames, habilement conseillés, de tourner la loi.
Il suffit pour cela après un divorce de complaisance de demander à bénéficier d'un second regroupement au bénéfice de la seconde épouse. Pourtant la loi avait prévu, pour éviter cet écueil, d'exiger de l'étranger un délai de deux ans à compter de la dissolution ou de l'annulation du mariage avant de voir faire venir un nouveau conjoint.
Mais le Conseil constitutionnel présidé aujourd'hui par Roland Dumas, l'ancien ministre de Mitterrand, avait jugé que cette disposition méconnaissait le droit de mener un vie familiale normale.
D'où les abus constatés par la commission parlementaire.
Autre constatation des députés, faite depuis longtemps par les élus du Front national, si notre pays attire autant les immigrés clandestins, c'est parce qu'ils savent qu'une fois sur notre sol, et même en situation irrégulière, « ils sont assurés de trouver chez nous des moyens d'existence et des conditions de vie moins mauvaises que dans leur pays d'origine... »
✑ Vivre aux frais de la Sécu
Enquête faite, la Commission tire la conclusion que « les avantages dont peuvent bénéficier légalement les étrangers en situation irrégulière vont bien au-delà de ce qu'exige la prise en compte des considérations humanitaires. »
C'est notamment le cas en matière d'accès aux soins médicaux et à certaines prestations sociales.
Ainsi, contrairement à des idées fausses que font volontairement courir certains professionnels de la charité-business, actuellement la prise en charge au titre de l'aide médicale hospitalière d'un étranger en situation irrégulière n'est en aucun cas subordonnée à l'existence d'une situation d'urgence médicale. Ainsi tous les frais qui se rattachent à la consultation et la prescription par le médecin hospitalier, dans le cadre d'une hospitalisation ou d'une consultation externe, frais d'analyses et d'examens de laboratoires, frais pharmaceutiques et d'appareils, frais de soins et de prothèses dentaires, frais d'intervention chirurgicale, frais de transport, forfait hospitalier sont pris entièrement en charge par la Sécurité sociale. Toutes ces prestations sont accordées sans condition de délai de résidence sur le territoire français ni de régularité de séjour. Bien entendu, l'étranger en situation irrégulière étant insolvable, l'Etat n'a aucun moyen de se faire rembourser. Ce qui n'est pas le cas pour un Français de souche qui se trouverait démuni. La Sécu obligera ses ascendants ou ses descendants à régler la note, y compris en récupérant les sommes dues lors d'une succession.
✑ Détenus privilégiés
Autre disposition aberrante et paradoxale de notre législation : la protection sociale appliquée aux détenus étrangers.
La loi du 18 janvier 1994, permet aux détenus étrangers d'être affiliés aux assurances maladie et maternité du régime général à compter du jour de leur incarcération, même (et on ose dire surtout) s'ils sont en situation irrégulière. Ce qui veut dire qu'un clandestin en liberté n'a pas droit aux prestations de la Sécurité sociale, sauf s'il est malade comme on vient de le voir, mais qu'il y a droit s'il se trouve incarcéré!
« De plus, ont relevé les parlementaires, le système génère des effets pervers, La carte d'assuré social délivrée au détenu le jour de son incarcération a une validité d'un an, quelle que soit la durée de la détention. Si celui-ci est libéré avant la date d'expiration de sa carte, il continuera à bénéficier indûment mais légalement des prestations de la Sécurité sociale... Si l'étranger fait l'objet d'une mesure d'éloignement avant la date d'expiration de sa carte d'assuré social, celle-ci est généralement monnayée dans son pays d'origine, de façon à permettre à un autre irrégulier d'obtenir indûment le remboursement de dépenses de santé... »
Egalement sans que la loi soit détournée, un ou une immigré(e) clandestin(e) peut même percevoir des allocations familiales pour des enfants en situation irrégulière. L'article L 515-2 du code de la sécurité sociale subordonne pourtant ces prestations à la justification de la régularité des conditions d'entrée et de séjour du bénéficiaire ainsi que des enfants. Mais aucune exigence n'est posée à l'égard du conjoint ou concubin. Il est donc possible à un allocataire étranger en situation régulière de percevoir des prestations familiales au titre d'enfants (dont il ne serait pas le père ou la mère) de son conjoint(e) ou concubin(e) dont il assumerait la charge.
✑ La multiplication des neveux et des nièces
La commission parlementaire note qu'il est impossible de déterminer le nombre de personnes qui se trouvent dans cette situation, puisque précisément les caisses d'allocations familiales n'ont pas à connaître de la situation du conjoint du concubin de l'allocataire et que la notion d'enfants à charge ne repose pas nécessairement sur l'existence d'un lien de filiation. Par ailleurs, les caisses d'allocations familiales ne sont pas fondées à vérifier la régularité du séjour d'un enfant étranger dès lors qu'il est à la charge d'un allocataire français qui demande à bénéficier des prestations familiales au titre de cet enfant. Un allocataire français peut donc légalement percevoir des prestations familiales pour un enfant étranger qui aurait été introduit de manière irrégulière en France. C'est sans doute la raison pour laquelle un grand nombre de jeunes enfants étrangers, surtout africains, sont hébergés chez leur oncle ou chez leur tante. La commission aborde ensuite le dispositif juridique qui permettrait de lutter contre l'emploi illégal d'étrangers. Car il est bien évident qu'une politique de lutte contre l'immigration clandestine passe par la suppression du travail clandestin. Mais il ne faut pas se tromper de priorité. Ce n'est pas, comme on a pu le voir ces derniers temps, le démantèlement de quelques ateliers clandestins qui mettront fin à l'immigration clandestine.
En revanche l'inverse a toutes les chances d'être vrai. S'il n'y avait plus d'étrangers en situation irrégulière dans notre pays, existerait-il encore des ateliers clandestins ?
Jean ROBERTO National Hebdo Semaine du 25 avril au 1er mai 1996