La crise grecque annonce celle du capitalisme financier, induite par la chute programmée du dollar et l'implosion de l'euro.
La Grèce n'en finit plus de s'enfoncer dans la crise. La semaine dernière, le pays a franchi un nouveau cran dans sa descente aux enfers. La note des banques grecques a été encore abaissée d'un cran tandis que les taux sur les bonds du Trésor à 10 ans atteignaient 16,81 %. et ceux sur les bonds du Trésor à deux ans 26,1 %. Pressé de toutes parts, le premier ministre Georges Papandréou a cherché à gagner du temps sans parvenir à rassurer les marchés ni sa population, qui n'en finit plus de manifester sa colère et son désarroi. Après des semaines de manifestations pacifiques, ce sont désormais des scènes de violence qui marquent le quotidien d'Athènes, témoignage de la désespérance de tout un peuple. Semaine après semaine, ce pays emblématique de l'Europe et où se constituèrent les valeurs fondatrices de la civilisation semble s'enfoncer dans le chaos.
On ne peut rien comprendre à la crise grecque si l'on n'inscrit pas le problème dans la perspective plus globale de la crise de l'euro. Le problème de la Grèce est, certes, d'abord lié à sa dette. Comme tous les pays européens, mais plus encore que les autres, elle a contracté depuis son entrée dans l'euro une dette pharaonique. Celle-ci, qui atteignait déjà au 31 décembre 2009 le chiffre de 703 milliards d'Euros (soit 296 % du PIB), dont 293 milliards pour la dette publique, 120 milliards de dettes des entreprises financières, 165 milliards des entreprises non financières et 123 milliards pour les ménages, a bondi depuis lors - et malgré deux plans de sauvetage européens et l'injection massive de fonds - à près de 780 milliards d'euros, soit une augmentation de plus de 10 % en à peine plus d'un an.
L'évolution de la seule dette publique est à l'avenant : alors qu'elle s'élevait déjà à 122 % du PIB fin 2009 elle s'est encore accrue pour atteindre 142,5 % du PIB à la fin du premier trimestre 2011. Plus contenu suite aux effroyables mesures d'austérité prises par le gouvernement grec depuis deux ans en échange du vote des plans de sauvetage des pays européens, le déficit budgétaire n'en demeure pas moins important, qui oscille entre 9 % et 10 %.
Ces chiffres ne peuvent en aucun cas permettre à la Grèce de s'en sortir seule. Même si le taux d'intérêt moyen sur la dette publique était ramené à 3,5 % par an, la charge des intérêts représenterait 5,15 % à la fin de 2011. Bien trop pour ce que les finances grecques peuvent actuellement assumer.
Dans le contexte actuel, il ne reste aux Grecs que trois options : premièrement, jouer sur une baisse durable de l'euro qui faciliterait la reprise des exportations et donnerait à l'économie grecque une bouffée d'oxygène. Deuxièmement, appliquer une politique d'hyper austérité, à l'image de ce que fit l'Allemagne au début des années 2000, en s'imposant des réformes visant à accroître la productivité et à contenir la hausse des salaires. Troisièmement, sortir de l'euro et rétablir une monnaie nationale.
Une monnaie piège
La première de ces trois solutions apparaît largement hypothétique, compte tenu de la santé de l'économie allemande - gage d'une appréciation à terme de l'euro - et de l'effondrement programmé du dollar, qui fera fatalement de l'euro une monnaie de réserve sur-appréciée.
La seconde solution est moins probable encore, compte tenu de l'état de l'économie grecque, de la faiblesse chronique de son industrie, du laps de temps incompressible que prendrait une telle politique avant de porter ses premiers fruits et de la différence fondamentale de mentalité qui existe entre Grecs et Allemands.
Reste la troisième solution : la sortie de l'euro, qui apparaît comme la seule raisonnable à l'heure qu'il est. Elle signifiera, pour la Grèce, rétablir sa banque centrale, restaurer sa monnaie nationale - le drachme - et procéder à une dévaluation massive, seul moyen de relancer son économie et de mettre la valeur faciale de sa monnaie en phase avec l'état réel de son économie.
Le problème est qu'une telle décision engagerait un mécanisme en chaîne d'attaque en règle des marchés contre les monnaies des autres pays fragiles de la zone euro - Portugal, Italie, Espagne, Irlande - et enclencherait la réaction enchaîne d'implosion de la zone euro, signant la mort programmée de l'euro et, dans la foulée de l'Union européenne - ce dont ne veulent à aucun prix les dirigeants de l'UE, qui s'échine à vouloir à tout prix maintenir en vie ce mort en sursis qu'est l'euro. Quitte, pour ce faire, à sacrifier et la Grèce, et l'ensemble du peuple grec !
La situation on le voit est beaucoup plus grave qu'on ne veut bien le dire. À l'évidence les Grecs ont mal géré leurs finances publiques. Le fait était connu de tous, même si tous ont fermé les yeux sur ces manquements de plus en plus manifestes au pacte de stabilité et de croissance, voté précisément pour éviter la trop grande divergence des économies européennes et l'éclatement la zone euro.
Mais le problème est ailleurs : dans la structure de l'euro, qui constitue désormais une monnaie piège pour la plupart des pays européens. Une monnaie qui écrase littéralement les peuples sous le poids d'une dette de plus en plus folle, mais que les dirigeants de l'instance supranationale se refusent obstinément à voir sombrer conscients qu'elle les entraînerait dans sa chute.
Cette implosion programmée de l'euro n'est à son tour elle-même qu'une conséquence de chute programmée du dollar, signe du déclin l'empire américain et d'une économie américaine de plus en plus droguée à la dette et incapable désormais d'équilibrer ses comptes en relançant ses exportations.
La crise de l'euro et du dollar signalent enfin la crise générale du capitalisme financier. Il serait vain en effet de voir dans la crise grecque un artefact isolé, sorte de simple hoquet dans une économie par ailleurs saine. Contrairement aux crises antérieures, la crise actuelle est une crise totale, parce que mondiale, générale, systémique et interconnectée.
Daniel Aman monde & vie . 25 juin 2011