Tout va très bien, madame la marquise. Les déclarations des responsables politiques ont pu donner l'impression au lendemain du G20 que l'économie mondiale avait enfin abordé la sortie de crise ; pourtant, rien n'est moins sûr.
« It walked » (ça a marché) : les dirigeants du G20 réunis à Pittshurg fin septembre ont salué en ces termes les résultats des plans de relance étatiques. Mais la reprise économique occidentale, due à des dépenses publiques en augmentation vertigineuse, n'a rien d'enthousiasmant. Le FMI annonce une croissance américaine de 1,5 % en 2010, succédant à une chute de 2,7 % celle année. Aux États-Unis, 263 000 emplois ont été détruits eu septembre (le taux le plus élevé depuis juin 1983), plaçant le chômage à 9,8 % : c'est le 21e mois consécutif de destruction d'emplois. Le solde - négatif - de l'emploi depuis l'intronisation du président Obama, en janvier, s'établit à 3,6 millions. La tendance à la moindre augmentation du chômage de ces derniers mois s'est inversée : en septembre, l'Amérique a supprimé plus d'emplois que le mois précédent. La durée moyenne du travail y est tombée à trente-trois heures par semaine : les employeurs ne sont pas près de recommencer à embaucher. On a affaire à une reprise sans emploi. C'est le cas non seulement aux USA, mais aussi dans le reste de l'Occident. Une fois épuisé l'effet cyclique de la reconstitution des stocks et de la stimulation des plans de relance, la croissance du PNB va de nouveau ralentir.
La remontée du cours des actions et des obligations d'État occidentales est trompeuse. La crise de 2007 fut déclenchée par l'explosion de la bulle spéculative immobilière. Celle-ci eût été impossible sans la gigantesque masse monétaire due aux faibles taux d'intérêt pratiqués par les banques centrales, au premier rang desquelles celle des États-Unis : c'est une création monétaire ex nihilo, sans lien avec l'activité économique. Les monnaies n'étant plus adossées à l'étalon or (le dollar a été découplé de l'or en 1971), les banques centrales en augmentent la masse sans retenue. Cette création monétaire débridée engendre de gigantesques bulles spéculatives, comme celle de l'immobilier, qui explosa en 2007. Sept ans plus tôt, on avait vu la désintégration de la bulle Internet formée dans les années 1990.
Les États, pompiers pyromanes
Après la crise de 2007 - comme après les précédentes -, les pouvoirs publics n'ont pas laissé jouer les mécanismes d'ajustement économiques et financiers qui auraient purgé les dettes accumulées dans la période passée et fait repartir l'économie sur des bases saines. Les marchés des actions et des obligations d'État occidentales ont été revigorés par les achats massifs financés par les milliards de dollars fabriqués par les banques centrales. Développant leur activité de faux-monnayeurs, qui avait pourtant conduit à la crise, les banques centrales fabriquent de nouvelles bulles financières. Principalement due à des dépenses publiques effrénées, la reprise économique est bâtie sur du sable. Les consommateurs sont tétanisés par la montée du chômage : en septembre, la confiance du consommateur américain a baissé à 53,1 (contre 54,5 en août), selon le centre de recherche du Conference Board. Les entreprises, en surcapacité de production, évitent de se lancer dans des investissements productifs. Aussi, la reprise économique n'a-t-elle pas, loin de là, une vigueur en rapport avec les anticipations des valeurs boursières et obligataires actuelles. Comme les bulles précédentes, celles qui se dilatent actuellement vont, elles aussi, finir par exploser.
Après avoir été les pyromanes de cette crise, les États en sont les pompiers, à coup de surendettement public. Mais ils s'exposent à un krach obligataire. Un État surendetté peut faire faillite, lorsque ses citoyens exsangues ne peuvent plus alimenter ses caisses par l'impôt et qu'il ne trouve plus de bailleurs de fonds sur le marché international des capitaux. La banqueroute des États propagerait un climat de panique. Les systèmes d'aide sociale mis en place par les États providence seraient sinistrés. Les États ne seraient même plus capables d'assurer correctement leurs missions régaliennes : défense,justice, maintien de l'ordre...
Vers qui se tourner, alors, pour demander de l'aide ? Des populations - notamment celles de l'Europe de l'Ouest - accoutumées à la tutelle de l'État seraient tragiquement démunies. Les mécanismes correcteurs de la crise entreraient alors en action de la façon la plus cruelle. Les plans de relance mis en œuvre actuellement par les États apparaîtraient, rétrospectivement, comme un expédient ayant seulement permis de reculer pour mieux sauter... dans le vide.
Laurent Artur du Plessis monde & vie du 12 octobre 2009
Crise économique : les États fragilisés
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