La tribune de Jean-Marc Ayrault, publiée dans Le Monde du 3 janvier et intitulée sobrement « Pour un nouveau modèle français », respecte les canons du genre. Pourtant derrière le texte politique se dévoilent en creux des contradictions stratégiques, idéologiques et économiques.
La qualité stylistique du texte est indéniable, l'enchaînement est clair et propose une vision voulue comme neuve et de gauche « pour un nouveau modèle français ». Pourtant, la tribune du premier ministre ne manque pas de susciter l'étonnement. D'emblée, le manque de dimension réellement politique contraste avec l'ambition affichée. La notion de « modèle français » renvoie naturellement au souvenir du Programme du Conseil national de la résistance du 14 mars 1944, compromis historique passé entre les communistes et les gaullistes à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, et in fine à l'idée de consensus national sur les contours de ce modèle, au-delà des clivages et des familles politiques. Dans cette perspective, on comprend mal le réflexe partisan qui consiste à désigner dès l'entame du texte, l'adversaire de « droite ». Adversaire d'ailleurs plus fantasmé que réel ; c'est notamment sur le terrain de la gestion économique que l'œcuménisme est le plus abouti.
Notre modèle français, réduit à l'économique et à la laïcité (sic), serait principalement menacé par le chômage, la croissance de l'endettement public et la mondialisation. Tardif et réducteur, le constat manque surtout d'un mea culpa : le PS partage avec l'UMP la responsabilité de la situation des finances publiques qu'ils ont tous les deux contribué à dégrader, puisque aucune loi de finances votée n'a présenté un budget à l'équilibre depuis 1974.
Sur la situation du marché de l'emploi, quel gouvernement depuis la montée du chômage de masse dans les années 1970 n'en a-t-il pas fait sa priorité, sans pourtant jamais réussir à inverser durablement la tendance? L'urgence est pourtant criante alors que la France est désormais dans une configuration inédite en Europe : en dépit de l'accroissement du taux de chômage depuis 2008, les salaires réels continuent de progresser (+0,6 % sur l'année 2012). De quelle lutte des classes parle-t-on ?
Quant à la mondialisation, la redécouverte par un gouvernement socialiste de la notion de frontière est piquante, mais terriblement partielle puisqu'elle s'applique manifestement avec plus de sévérité à l'impôt du riche qui part, qu'au pauvre qui rentre.
Toute la saveur de la social-démocratie à la française
Tribune programmatique, cet oecuménisme économique s'accompagne de la traditionnelle réconciliation des contraires propres aux propos rassembleurs (par exemple, compétitivité et solidarité) et permise par l'usage de concepts un peu creux, qui suscitent l'adhésion de tous tant qu'ils ne sont pas définis (modernisation de l’État, dialogue et coopération, rénovation de l'action publique). En somme, c'est toute la saveur de la social-démocratie à la française : atteindre des objectifs confisqués par la gauche (comme la justice, la solidarité, la sécurisation de l'emploi) en incorporant des recettes, certes de droite, mais légitimée par la morale dont la gauche a le monopole. La belle affaire.
Sur l'ensemble des sujets évoqués, le gouvernement Ayrault ne se distingue en définitive ni par le lyrisme des incantations, ni par les solutions innovantes. Cette stratégie, comme les précédentes, restera vouée à l'échec puisqu'elle s'expose à deux écueils de taille. Comment concilier, par exemple, politique industrielle ambitieuse et engagement européen inconditionnel ? Il semble que, sur ce sujet comme sur bien d'autres, il faille s'engager sur le terrain de la compromission dont sont coutumières les élites administratives et politiques françaises ; en témoigne l'absence totale de renégociation du fameux « pacte budgétaire européen », qui incarne désormais la trahison la plus éclatante des promesses économiques du candidat Hollande.
L'autre écueil réside dans la composition des forces de la majorité présidentielle. Au chapitre des urgences économiques figure en bonne place la flexibilisation du marché du travail. Comment mener à bien ces réformes structurelles nécessaires et ne pas se mettre à dos la gauche de la gauche qui a largement contribué à paver le chemin vers la présidence du candidat Hollande ?
Le changement, ce n'est pas pour maintenant.
Antoine Michel monde & vie . 15 janvier 2013