« On n'avait jamais rien vu de tel. » Présenté comme une sorte d'OVNI de l'analyse de l'échec scolaire en France, le rapport publié mercredi par l'Institut Montaigne, Vaincre l'échec à l'école primaire, est censé marquer une date aussi bien quant à sa franchise, son origine (les analystes du principal « think tank » français qui rassemble des personnalités de droite comme de gauche) et l'audace de ses propositions. Mazette ! Tenons-nous enfin la pierre philosophale de l'enseignement primaire qui va permettre de rendre à l'école son rôle d'ascenseur social aujourd'hui mis à mal ? Je vous le dis tout de suite : non.
Le rapport « explosif » de l'Institut Montaigne
L'une des grandes préoccupations de l'Institut présidé par Claude Bébéar est d'œuvrer pour la diversité et la mixité, au besoin par la discrimination positive. Mais disons-le tout de suite, ce parti pris n'apparaît pas dans le rapport qui souligne à juste titre - dans une certaine mesure - à quel point les enfants de milieux simples ou de parents inactifs sont aujourd'hui à la traîne. Sans suggérer pour autant que cela tient à la capacité de certains parents de compenser les méthodes ineptes qui décervellent les enfants. Pour ma part je connais une gardienne de langue maternelle portugaise, dotée du seul certificat d'études primaires de son pays d'origine, qui a appris la lecture à son enfant en constatant que le CP de l'école publique très « chic » faisait cela par le biais du dessin : son fils fréquente aujourd'hui avec succès un des « bons » lycées de Paris. La réponse de la concierge est plus pertinente que celle de l'Institut Montaigne qui contient des remarques intéressantes et justes, mais aussi bien des idées fausses et avant tout une grave erreur de perspective.
Il faudra consacrer plusieurs de ces chroniques à ce rapport qui fait beaucoup de bruit et risque de formater la politique éducative de la France dans les années à venir, vu le prestige de l'Institut Montaigne et sa parfaite harmonie avec une certaine philosophie de la société qui a les faveurs des pouvoirs publics.
Ce qu'en ont retenu d'abord les médias sont ses aspects plus matériels, portant sur les rythmes scolaires, la rémunération des instituteurs du primaire, le nombre d'heures et de jours de classe, les sommes consacrées en moyenne sur le budget public aux élèves. D'un point de vue de rentabilité, sachant que la France dépense en moyenne 5 563 dollars par élève du primaire (un peu moins que la moyenne de l'OCDE, c'est après que les dépenses explosent !), il est évidemment désolant de voir la France dégringoler dans les évaluations de lecture internationales comme « PISA » alors même que les sommes allouées n'ont cessé d'augmenter depuis 1990.
Soit dit en passant : les frais de scolarité hors contrat, où les classes ont souvent de petits effectifs, frais supportés par les seuls parents, sont très inférieurs à ceux dépensés par l'État. Et les résultats en lecture, écriture et calcul qui intéressent au premier plan les experts de l'Institut Montaigne, y sont généralement bons ou au à tout le moins acceptables pour l'ensemble des élèves dont beaucoup atterrissent d'ailleurs là après avoir subi des pédagogies décervelantes de l'enseignement « officiel ».
Mais les rédacteurs du rapport ont raison de rappeler ceci, après le Haut Conseil de l'Education en 2007 :
« L'échec scolaire à l'école primaire est une bombe à retardement pour notre société : « Quatre écoliers sur dix, soit environ 300 000 élèves, sortent du CM2 avec de graves lacunes : près de 200 000 d'entre eux ont des acquis fragiles et insuffisants en lecture, écriture et calcul ; plus de 100 000 n'ont pas la maîtrise des compétences de base dans ces domaines. »
Scandale gigantesque qui aboutit à ce que , « chaque année 150 000 jeunes quittent le système éducatif sans qualification ».
On s'attendrait à ce propos à une réflexion de fond sur ce qui se passe réellement dans les classes : pourquoi tant d'enfants n'apprennent-ils pas à lire, écrire, compter, connaître leur langue ? Certes, au fil du rapport il est souligné que « l'effet maître » est primordial (ce qui contredit l'idée selon laquelle la réussite serait dictée par l'origine socio-économique) : autrement dit, un bon maître obtient de meilleurs résultats et ses élèves progressent d'autant mieux qu'il est exigeant et qu'il place haut la barre.
Peut-être tous les mauvais professeurs se concentrent-ils dans les zones les plus déshéritées ? Le rapport ne l'affirme pas mais il ose quand même ceci :
« C'est un marronnier pour les journaux télévisés chaque année au mois de septembre : l'arrivée des tout jeunes enseignants pour leur première nomination, à l'école, au collège ou au lycée, dans les établissements les plus difficiles, souvent face aux classes les plus complexes, le tout dans les zones les plus défavorisées ! Le tout avec 24 ou 48 heures, au mieux, pour prendre la mesure d'un environnement complètement nouveau... C'est le "baptême du feu" que l'Éducation nationale organise pour les reçus aux différents concours qu'elle organise.
« Non seulement ils manquent de pratique, mais ils ne connaissent généralement pas le milieu dans lequel ils sont catapulté ». Rares sont ceux à qui l'on donne le choix ... Comment dans ces conditions entretenir leur motivation ? D'autant que ces postes ont le charme du provisoire et de l'incertain : huit jeunes professeurs sur dix sont généralement affectés à des poste provisoires. »
Il faudrait donc mieux les payer en début de carrière, afin que la profession attire les meilleurs étudiants, quitte à prévoir une progression de salaire moins forte en cours de carrière, ne pas les lâcher dans des classes difficiles en début de parcours... Ce sont encore des mécanismes finalement très... mécaniques. Mais le rapport souligne aussi l'insuffisance de la formation pratique des enseignants qui font beaucoup de théorie, subissent souvent « l'infantilisation » des IUFM (Instituts universitaires de formation de maîtres) et reçoivent peu ou rien quand il s'agit de se préparer à enseigner concrètement une matière ou de faire face à des enfants difficiles ou en difficulté.
Aussi le rapport propose-t-il de modifier l'apprentissage du métier pour multiplier les contacts avec les plus anciens et la formation en situation, ce qui paraît tomber sous le sens. Davantage de « formation continue » aussi... Le « hic » reste celui des contenus de ces formations dont on sait qu'elles peuvent receler la pire des choses, jusqu'à la manipulation mentale des intéressés. Dans un pays qui supporte l'avortement de 220 000 tout-petits par an, où les jeunes sont privés de leur culture, de leur intelligence, de leurs capacités d'analyse par un système pédagogique souvent nocif, la confiance que l'on peut avoir en ces « remèdes » reste forcément très modérée.
Les autres remèdes sont pour la plupart d'un même ordre, mécanique. En comparaison avec les autres pays de l'OCDE, ce sont les petits Français qui passent le moins de jours à l'école (140 par an) et pourtant ils ingurgitent presque le maximum d'heures de cours. À changer ! Ce sont les petits Français qui redoublent le plus, sans aucun bénéfice : ils doivent donc progresser sans rupture d'une année sur l'autre en recevant des soutiens individuels (personne ne se demande si le fait de redoubler en subissant des méthodes ineptes qui ont déjà fait la preuve de leur inefficacité n'est pas le problème, et non le redoublement lui-même).
Il faut aussi donner plus de pouvoir et plus d'autonomie aux directeurs d'écoles primaires pour que celles-ci cessent d'être gérées comme de simples « services municipaux » :
L'idée, c'est de donner au vrai responsable de l'école les moyens de vérifier et de contrôler ce qui se passe dans les classes et d'imposer un quota d'heures d'apprentissage du français et des mathématiques. Tiens, j'en connais un comme cela : c'est Marc Le Bris, le courageux directeur instituteur de l'école de Médréac en Îlle-et-Vilaine. Lui-même et ses institutrices obtiennent des résultats magnifiques en respectant des méthodes pédagogiques traditionnelles. Ce qui a valu à Marc Le Bris d'être bloqué dans son avancement par la vertu de l'inspection académique. On reste rêveur devant la recommandation de l'Institut Montaigne d'augmenter le nombre d'inspecteurs et de les rendre plus disponibles pour l'inspection qui, selon lui, devrait être l'un des principaux ressorts pour une amélioration de la situation.
Je vous l'ai dit, on reste sur une impression d'extériorité par rapport à la gravité et à la nature de l'échec scolaire. Le rapport parle aussi de manière plus détaillée de l'apprentissage de la lecture, sans aller aux vraies causes et en proposant des remèdes pour partie inadéquats ou nocifs...
Jeanne Smits Présent du 7 mai 2010