Après une vie en exil (Suisse et Grande-Bretagne principalement) ou en prison (fort de Ham), Louis-Napoléon Bonaparte se trouve libre de circuler en France après la révolution de 1848 qui a renversé la monarchie de Juillet, ce qui lui permet de se lancer à la conquête du pouvoir.
Le 4 juillet 1848, candidat à l’Assemblée nationale constituante (mais sans l’intention d’y siéger), il est élu dans 4 départements (Seine, Yonne, Charente-inférieure et Corse) ainsi que ses cousins Napoléon-Jérôme Bonaparte, Pierre Bonaparte et Lucien Murat. Aux élections législatives de septembre il est à nouveau élu dans ces 4 départements ainsi qu’en Moselle ; il obtient même 300.000 voix venant de départements où il n’était pas candidat.
Après l’adoption de la Constitution de la Seconde République, il se porte candidat à la première élection présidentielle au suffrage universel masculin, en décembre 1848. Une bonne partie des républicains, orléanistes et légitimistes voyant d’un mauvais œil cette candidature, il a été décidé dans la Constitution que l’Assemblée choisira le nouveau président parmi les deux finalistes lors du deuxième tour. Mais contrairement à toute attente, c’est un raz-de-marée qui se produit pour Louis-Napoléon Bonaparte avec 74,2 % des suffrages (près de 5,6 millions de voix), loin devant les républicains Cavaignac (19,8 %), Ledru-Rollin (5 %), Raspail (0,5 %), Lamartine (0,2 %) et le royaliste Changarnier (0,06 %). Ayant obtenu plus de 50 % des voix, il n’y a pas de deuxième tour devant l’Assemblée.
I. Le Palais Bourbon contre l’Élysée
Portrait officiel de
L.-N. Bonaparte président.
La Constitution élaborée en 1848 limite fortement les pouvoirs du président de la République. Or, Louis-Napoléon ne dispose de quasiment aucun soutien pour mener sa politique ; et son intronisation en tant que président à l’Assemblée le 20 décembre 1848 se déroule dans une ambiance glaciale. Élu pour quatre ans, il n’est pas immédiatement rééligible et les 750 députés de la Constituante, élus pour trois ans, sont dits « inviolables » (ils ne peuvent pas être arrêtés et l’Assemblée ne peut être dissoute).
Le prince président approche Thiers puis plusieurs personnalités orléanistes ou républicaines pour former le gouvernement mais celles-ci refusent toutes. Finalement, le conservateur Odilon Barrot accepte de diriger un gouvernement de mouvance orléaniste : c’est le début du « ministère de la captivité » pour un Louis-Napoléon éloigné des idées de ses ministres. Il ne peut ainsi rien faire quand le gouvernement décide, en 1850, de restreindre le suffrage universel pour éliminer le « vote de la canaille » (les ouvriers). Peu à peu se constitue au palais Bourbon un petit groupe de fidèles au président : le parti de l’Élysée. Le prince président rencontre pour la première fois en 1849 son demi-frère, Charles de Morny, orléaniste qui deviendra son conseiller puis président du Corps législatif sous le Second Empire (numéro 2 du régime).
Louis-Napoléon Bonaparte prend ses distances avec ses ministres et parcourt la France, proclamant son désaccord avec la politique gouvernementale. Les tensions montent entre le Palais Bourbon et l’Élysée et l’idée d’une évolution politique du régime fait son apparition dans ses discours de septembre 1850 en Normandie. De retour à Paris, une foule de plusieurs milliers de manifestants crie : « A bas les rouges ! A bas les blancs ! Vive Napoléon ! Vive l’Empereur ! ».
En octobre 1850, lors des revues militaires de Saint-Maur et de Satory, le défilé s’accompagne de « Vive Napoléon ! » et même de « Vive l’Empereur ! ». Le général Changarnier du parti de l’Ordre, chef des troupes de la 1ère division, interdit à ses hommes de saluer Louis-Napoléon. Le 2 janvier 1851, Changarnier qui dit en privé vouloir « coffrer » ce « perroquet mélancolique » qu’est le président, déclare à la tribune que le président de l’Assemblée a le droit de requérir la troupe pour arrêter le chef de l’État. Le prince président saisit l’occasion pour destituer Changarnier, ce qui est considéré comme une déclaration de guerre par le Palais Bourbon.
Louis-Napoléon tente, en 1851, d’imposer une révision constitutionnelle pour prolonger son mandat. Certains opposants soutiennent cette révision car c’est à leurs yeux le seul moyen d’empêcher à Louis-Napoléon de se maintenir illégalement au pouvoir : très populaire, le peuple pourrait voter pour lui même s’il n’est pas candidat. Or, on s’attend à un mouvement massif et il serait impensable pour l’Assemblée d’invalider tous les bulletins portant le nom du prince président ! Une campagne de pétition organisée dans le pays recueille 1,5 million de signatures. Le 19 juillet, la révision obtient 446 voix contre 276, une majorité mais pas les trois quart nécessaires (543 voix).
II. Le coup d’État se prépare
Louis-Napoléon réfléchit au principe du coup d’État, ses deux échecs précédents le font hésiter. Le 6 juillet, il inaugure une statue de Jeanne Hachette à Beauvais (héroïne locale), expliquant que certains êtres sont destinés à sauver leur pays…
Charles de Morny.
Morny pousse son demi-frère à agir vite, pendant les vacances de l’Assemblée (10 août au 4 novembre). Le 20 août, le principe du coup d’État est arrêté, les initiés sont peu nombreux : Morny, Persigny (fidèle bonapartiste, compagnon des deux coups d’État ratés), Fleury, Rouher, Carlier (préfet de police) et le général Saint-Arnaud (après maintes hésitations). Mais la date d’exécution est sans cesse reportée. On décide finalement d’attendre la rentrée parlementaire car les députés pourraient organiser des poches de résistance en province : mieux vaut les cueillir d’un seul coup de filet. Carlier est remplacé par un homme plus sûr : Maupas. Louis-Napoléon lance un ultimatum à l’Assemblée le 12 novembre, demandant à celle-ci de réviser la Constitution. La proposition est une nouvelle fois rejetée.
Le 17 novembre, la tension est à son comble au Palais Bourbon ; le bonapartiste Persigny menace l’Assemblée : « Faites ce que vous voudrez, Messieurs, nous sommes prêts à tout. ». On envisage l’application d’un décret de la Constituante du 11 mai 1848 donnant au président de la Chambre le droit de requérir les troupes en dehors du ministre de la Guerre. Louis-Napoléon prévoit le pire et demande au colonel Espinasse, commandant du 42e de ligne, de se tenir prêt à encercler de Palais Bourbon. Une mise en accusation du prince est soumise au vote et est repoussée par 400 voix contre 338. En mémoire de son illustre oncle, Louis-Napoléon fixe la date du coup d’État le 2 décembre.
Le coup d’État s’organise : Maupas fait relever les adresses de tous les députés de renom sous de vagues prétextes ; on s’assure de la loyauté de la police et de la gendarmerie (hostile au régime) ; les postes-clés de l’armée sont distribués à des fidèles ; on fait imprimer les affiches en plusieurs morceaux sous la surveillance de la police afin que les ouvriers ne puissent pas deviner le contenu exact des déclarations qu’a élaboré le prince président.
« Nul parti n’est assez puissant pour tenir en échec cet homme taciturne, d’apparence apathique, qui est soutenu par une idée fixe et qui en poursuit la réalisation avec une obstination de maniaque. Il laisse les orateurs parler, les journalistes écrire, les députés se quereller, les généraux [qu'il a] destitués l’injurier, les meneurs de groupes parlementaires le vitupérer, il reste seul, muet, impénétrable. Ses adversaires le traitent d’idiot et se rassurent. Enfermé à l’Elysée, tortillant sa longue moustache, fumant ses cigarettes, et marchant, le front baissé, à l’ombre des grands arbres, il écoute toutes ces rumeurs et mûrit ses projets » (Maxime du Camp, Souvenirs d’un demi-siècle).
III. Un coup d’État populaire et antiparlementaire
Charlemagne de Maupas,
préfet de police.
Le 30 novembre est donné un bal à l’Élysée pour ne pas éveiller les soupçons. Le lendemain, 1er décembre, Louis-Napoléon réunit Morny, Persigny, Saint-Arnaud, Maupas et Fleury dans son cabinet de l’Elysée. Il distribue plusieurs dizaines de milliers de francs à chacun des conjurés. Il sort et ouvre devant eux un épais dossier où figure la mention « Rubicon ».
Dans la soirée précédant le coup d’État, un nouvel opéra est donné à l’Élysée devant 600 invités. Morny, pour ne rien laisser paraître, se montre à l’Opéra pour la représentation de La Fille de Barbe-Bleue puis se rend au Jockey-Club avant de le quitter à 4 heures du matin. A 5 heures, Maupas reçoit les 40 commissaires de police qu’il doit rallier à la cause présidentielle, et parvient à force de persuasion à les ranger dans le camp des conspirateurs : un seul exprime des réserves. A partir de 6 heures, 78 hauts personnages, dont 16 parlementaires (parmi lesquels figurent Thiers, Changarnier et Cavaignac) sont arrêtés alors qu’ils dormaient tranquillement ; peu après le 42e de ligne investit le Palais Bourbon. A 7 heures, Morny arrive au ministère de l’Intérieur où il déclare à Thorigny stupéfait qu’il le remplace.
Trois affiches différentes sont placardées dans les rues de la capitale : un appel à l’armée où Louis-Napoléon déclare qu’il « compte sur [elle], non pour violer les lois, mais pour faire respecter la première loi du pays, la souveraineté nationale, dont [il est] le légitime représentant », un appel au peuple et un décret annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale, l’abrogation de la loi électorale de 1850 (laquelle écartait pour rappel plusieurs millions d’électeurs du vote) et de nouvelles élections.
L’Appel au peuple (extrait) : « L’Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l’ordre, est devenu un foyer de complots. [...] Au lieu de faire des lois dans l’intérêt général, elle forge des armes pour la guerre civile ; elle attente au pouvoir que je tiens directement du peuple : je l’ai dissoute, et je rends le peuple entier juge entre elle et moi. [...] Si vous voulez continuer cet état de malaise qui nous dégrade et compromet notre avenir, choisissez un autre à ma place, car je ne veux plus d’un pouvoir qui est impuissant à faire le bien, me rend responsable d’actes que je ne puis empêcher, et m’enchaîne au gouvernail quand je vois le vaisseau courir vers l’abîme. Si, au contraire, vous avez encore confiance en moi, donnez-moi les moyens d’accomplir la grande mission que je tiens de vous. Cette mission consiste à fermer l’ère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survivent aux hommes et qui soient enfin des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable. »
Vers 10 heures, Louis-Napoléon quitte l’Élysée entouré de ses fidèles et de Jérôme Bonaparte, plus petit frère de Napoléon (alors âgé de 67 ans), et parcourt Paris à cheval. La capitale est calme, ouvriers et artisans vaquent à leurs occupations. Deux cent députés monarchistes réunis à la mairie du 10e arrondissement tentent de déclarer la destitution du président mais l’armée arrête ces irréductibles qui sont relâchés deux jours plus tard. Certains chefs républicains tels Carnot, Schoelcher, Victor Hugo ou Jules Favre parcourent le faubourg Saint-Antoine pour appeler à l’insurrection mais ils ne drainent que peu de monde. Les 3 et 4 décembre, quelques émeutes éclatent qui font entre 400 et 600 morts dus essentiellement à des bavures (un soldat est ainsi tué le 4 décembre, entraînant la charge de la division Canrobert sur les boulevards Montmartre et Poissonnière). Si le nombre de morts n’est pas négligeable, on est tout de même loin des 5000 morts de juin 1848 quand le gouvernement républicain avait délibérément tiré sur la foule !
L’opposition au coup d’État est plus forte en province, dans les villes républicaines (comme à Digne), et Morny décide d’une répression massive : 26.000 arrestations (9000 d’entre eux sont déportées en Algérie, 5000 mis sous surveillance, 2800 internés et 70 députés républicains ainsi que 5 orléanistes forcés à l’exil). Dès 1852, plus de 4000 condamnés seront graciés.
Affiche pour le plébiscite des 21 et 22 décembre 1851.
Louis-Napoléon rétablit le suffrage universel masculin sans restriction et demande la ratification par plébiscite de son coup de force. Les 21 et 22 décembre, plus de 7,4 millions de Français approuvent son action contre seulement 641.000 qui s’y opposent et 1,4 million qui s’abstiennent. Le 31 décembre 1851, Louis-Napoléon se félicite officiellement du résultat : « La France a répondu à l’appel loyal que je lui avais fait. Elle a compris que je n’étais sorti de la légalité que pour rentrer dans le droit. Plus de sept millions de suffrages viennent de m’absoudre en justifiant un acte qui n’avait d’autre but que d’épargner à notre patrie et à l’Europe peut-être des années de troubles et de malheurs. »
L’approbation démocratique du coup d’État dépite complètement les républicains : « Je suis, quant à moi, guéri du suffrage universel et j’emploie mes loisirs à guérir les autres » confie le républicain Prévost-Paradol. Quelques admirateurs expriment leur joie comme le philosophe Auguste Comte : « Le règne des parleurs est fini, celui des faiseurs et des penseurs commence et durera » ou l’écrivain Prosper Mérimée : « Nos rouges ont reçu une raclée solide, et les badauds quelques éclaboussures qui les obligeront à l’avenir à se tenir tranquilles chez eux. »
Dès le premier janvier, Louis-Napoléon quitte l’Élysée pour les Tuileries : la Seconde République a vécu. Le prince gouverne seul ; la devise républicaine est retirée des façades publiques. Il s’attache à étudier les formes du régime qu’il souhaite mettre en place, et semble dans un premier temps hésiter entre l’Empire et une République consulaire. Il fait des tournées dans toute la France pour rencontrer le peuple. Les 20 et 21 novembre 1852, le peuple est consulté sur le rétablissement de l’Empire : c’est un nouveau raz-de-marée en faveur de Louis-Napoléon : plus de 7,8 millions de « Oui » contre seulement quelques 253.000 « Non » et près de deux millions d’abstentionnistes. Le 2 décembre 1852, un an jour pour jour après le coup d’État, l’Empire est officiellement restauré.
Bibliographie :
DARGENT, Raphaël. Napoléon III. L’Empereur du peuple. Grancher, 2009.
DUFRESNE, Claude. Morny. Perrin, 1983.
HOUTE, Arnaud-Dominique. Louis-Napoléon Bonaparte. Le coup d’État du 2 décembre 1851. Larousse, 2011.