« Les enfants sont là transformés en simples articles de commerce… »
Marx en 1847, rédacteur de l’« Adresse inaugurale » de l’Association internationale des travailleurs pour l’abolition de l’argent et de l’État
« Le facteur déterminant, en dernier ressort, dans l’histoire,
c’est la production et la reproduction de la vie immédiate… »
Engels en 1884, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État
« Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la P.M.A., la G.P.A. ou l’adoption… Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine,
quelle différence ? C’est faire un distinguo qui est choquant…»
Pierre Bergé en 2013, entrepreneur en confection de luxe, homme d’affaires et mécène de toutes les impostures du marché narcissique du faux triomphant
Il y a bientôt près de deux siècles, les groupes maximalistes de la critique radicale qui défendaient une conception ontologique et émancipée de la famille humaine eurent l’intelligence et la profondeur de démontrer que la famille policée, progressivement domestiquée par la civilisation du profit ne pouvait déboucher, par la nécessité historique implacable des affaires, que sur la prostitution universelle dans l’artificiel illimité.
Des vieilles insurrections paysannes de jadis aux soulèvements ouvriers qui ne cessèrent de s’ensuivre contre la modernité capitaliste de l’oppression, les solidarités vivantes de la filiation familiale ont toujours constitué des axes dynamiques et expressifs autour desquels l’indiscipline, la mutinerie et le soulèvement communautaire pouvaient durablement s’installer contre le travail d’atomisation des spéculations du négoce. Le Chouan de 1793, le Communard de 1871 et le Sidérurgiste de 1979 avaient la force et la volonté de se battre parce que leur lutte de classe contre l’ignominie économique et politique se charpentait d’emblée sur la détermination enracinée des relations affectives qui faisaient la solidité de la maisonnée et de la parentèle. Et ce parentage historique, vivace par delà les pesanteurs obscurantistes limitées de l’Ancien Régime qui avait dû composer avec la puissance établie des communaux ancestraux, conservait fondamentalement le sens de la tradition primordiale de la longue durée millénaire, là où la communauté organique, ignorant la loi de l’argent et de l’État, produisait pour le seul bien vivre humain.
Avec la domination pleinement réalisée de la marchandise, les lignages d’avant le règne absolu de l’accaparement qui pouvaient être encore utilisés à contre-pied lors de la phase d’ascension du Capital, n’ont plus décidément aucune utilité puisqu’ils témoignent justement de ce temps révolu où la généalogie des hommes échappait encore pour une part au cannibalisme de l’appropriation. Par la dialectique de l’obscurantisme illimité de la démocratie du calcul et de l’avilissement, la séparation généralisée des hommes de leur propre existence exulte, et ainsi doit disparaître toute pratique unitaire de la réalité, toute communication personnelle directe entre les humains qui ne serait point préalablement médiée par la représentation narcissique des échanges. Selon le progrès moderniste de l’accumulation capitaliste d’une production obligatoirement séparée et séparante, l’unité et la communication deviennent l’attribut exclusif du fétichisme de la marchandise. La réussite du système historique de la séparation spectaculaire est alors la marchandisation exemplaire du monde de tous les comportements des humains asservis.
Comme le dit Marx, dès ses premiers textes, et ce au total rebours de tous les idiots utiles du progressisme du mondialisme du bénéfice : dans la société de l’Avoir, la production ne produit pas seulement l’homme comme une marchandise, la marchandise humaine, l’homme destiné au seul rôle de marchandise, elle le produit conformément à cette destination, « comme un être déshumanisé aussi bien intellectuellement que physiquement… Immoralité, dégénérescence et ilotisme… »
Le système du fétichisme marchand édifié sur l’isolement est une production circulaire de l’isolement narcissique. L’isolation spectaculaire assure la technique de développement de la marchandise et le développement technique de la marchandisation isole toujours et toujours plus en retour. Chaque pas en avant de la libération des mœurs telle que prônée par l’extrême gauche du Capital qui n’est là pas autre chose que l’avant-garde de la profitabilité générale, aboutit de fait à marchandiser toujours davantage les corps, les cœurs et les âmes, et tous les avancements sélectionnés par le système spectaculaire sont de la sorte ses armes nouvelles pour le renforcement constant des conditions d’isolement et d’esclavage des pitoyables et incommensurables foules solitaires.
L’origine et le principe du spectacle de la marchandise c’est la perte d’unité du vivre authentique, et l’expansion gigantesque de la sexualisation marchande par la mercantilisation systémique du sexe exprime la totalité de cette corruption où la vraie jouissance radicale du qualitatif réfractaire est transmutée en vulgaire faux plaisir de la quantité commerciale. Le spectacle de la liberté des mœurs n’est que le langage commun de cette séparation où ce qui relie les spectateurs apprivoisés n’est finalement qu’un rapport irréversible à leur propre vie fausse laquelle maintient leur isolement infini dans ce spectacle de schizophrénie mégapolitaine où l’orgasme illusoire réunit des errances humaines séparées mais en ne les réunissant toujours qu’en tant qu’épaves séparées dans la grande déambulation égarée des braderies lamentables.
Par delà la ridicule comédie théâtrale du mariage gay qui ne concerne d’ailleurs pas la masse des spectateurs homosexuels mais plus exactement la nomenklatura étatique et médiatique de ceux qui entendent en contrôler le marché, il faut, en premier lieu, rappeler qu’il est dans la logique du Capital de dissoudre tout ce qui lui était antérieur après en avoir épuisé toutes les ressources possibles puis de le refaçonner à l’image du parcours totalitaire de la pure démocratie de la mesure mercantile à la page.
Désormais, le spectacle du fétichisme marchand s’est emparé de la totalité du monde et la liberté despotique de l’argent est enfin parvenue à élaborer la fabrique démocratique universelle de cette marchandise si originale qu’est l’être humain chosifié jusqu’en son intimité sexuelle et émotionnelle la plus profonde. Tout s’achète et tout se vend dans le procès réalisé de la mondialisation capitaliste flamboyante qui a digéré toutes les manifestations du vivre humain pour les réécrire adéquatement au marché totalitaire des échanges narcissiques du commerce de l’aliénation consommatoire.
Ainsi, le sexe est d’abord une transaction affairiste et son commerce accru depuis la libéralisation des marchés du désir machinique tant prônée par l’extrême gauche du Capital à partir de la mystification libéralo-libertaire de 68 qui est venue cacher la colère ouvrière radicale qui fit alors si peur, se montre essentiellement comme croissance et mobilité ininterrompues des innovations aliénatoires nécessaires à l’ajustement structurel du despotisme de la possession. La libération sexuelle est le mouvement par lequel la marchandise se libère des traditions de l’avant-marchandise pour imposer la pure domination du marché de l’offre et de la demande qui permet dès lors le trafic des hommes, des femmes et des enfants conformément à tous les désirs réifiés de la logique du marché des sexualités mécaniques librement circulantes.
Quel esprit lucide doté d’un tant soit peu de vivacité intellectuelle pourrait s’étonner que l’économie politique du mariage gay et l’ensemble de ses conséquences, la P.M.A. (procréation médicalement assistée) et la G.P.A. (gestation pour autrui) correspondent impeccablement à une époque qui veut que nous cessions de ressembler à la souche subversive de notre provenance en la vieille communauté de l’Être qui fit tout à la fois, nos jacqueries incessantes, la Commune de Paris et les grèves séditieuses du siècle dernier, pour nous amener à devenir la stricte duplication conforme de l’industrie moderne de la misère généralisée de tous les marchés narcissiques concevables où il est tout à fait normal de louer ou d’acheter un utérus puisque l’enfant est bien entendu une fourniture comme une autre.
L’argent qui possède la spécificité de pouvoir tout s’approprier est par son universalité advenue la toute-puissance spectaculaire d’un pouvoir sans bornes, celui du cosmopolitisme de la marchandise démocratique qui peut tout commercialiser ; les rêves, les peurs, le sang, le sperme, la vie et la mort. Ceux qui s’en étonnent ou s’en effraient et qui sont encore tellement aveuglés qu’ils croient qu’il pourrait en être autrement n’ont décidément rien compris et sont finalement les meilleurs alliés de ce à quoi ils prétendent s’opposer. La perversion et la confusion de toutes les qualités humaines et naturelles sont inhérentes à la nature déterministe de ce qu’est l’argent en son mouvement historique incœrcible. Et le fétichisme de la marchandise en tant que nature générique aliénée et aliénante de l’humain n’est rien d’autre que la puissance aliénée de l’humanité.
Ceux qui espèrent pouvoir arrêter la folie de l’argent en demeurant sur le terrain de l’argent et en prétendant le contenir ne voient précisément pas que son identité est d’être expressément irrépressible et ingouvernable. Il n’y a pas d’argent propre car celui-ci est par essence la puissance de corruption qui déporte l’être dans une abjection générale qui confond et échange tout dans une dégradation absolue où toute activité se voit emprisonnée dans les infections du paraître et de l’avoir. Par là même, on en revient au vieux et seul vrai débat qui compte; celui de Misère de la philosophie rédigé en 1847 qui nous a clairement montré que l’argent n’a pas « un bon et un mauvais côté » et que la pensée défectueuse et rudimentaire qui récuse les effets abominables de la loi du fétichisme marchand tout en entendant préserver les catégories capitalistes du système des objets fait montre d’un cynisme d’emmuré.
Que certains qui entendent pourtant demeurer dans la civilisation du travail du profit bougonnent contre la réforme capitaliste du mariage en s’alarmant que l’enfant y deviendra assurément une marchandise, illustre merveilleusement toute la perfidie d’un univers où le citoyen est constitutionnellement un consommateur d’illusions. La marchandise est cette illusion en tout lieu effectivement réalisée et le spectacle du monde de l’argent inéluctable sa manifestation générale. En effet, il y a bien longtemps que le spectacle du pécule est devenu l’autre face de la vie arraisonnée par l’artifice : l’équivalent général abstrait de toutes nos existences monétisables.
On ne peut à la fois vouloir sauvegarder l’argent et préserver l’humain… Il faut choisir et il convient de se défaire de ce mythe qui nous conditionne à pouvoir envisager d’accepter l’absurdité d’une économie et d’une politique qui ne seraient pas ce qu’elles ont toujours été par nature et non point par accident; le long et douloureux arrachement des hommes à la vie cosmique et sacrale de la communauté d’antan, jetés dans des sociétés de profanation croissante dont le monothéisme de la marchandise est le stade suprême dorénavant accompli pendant que le temps des monarchies fut, lui, cette longue étape de transition indispensable qui permit aux spéculations du sacré de liquider graduellement les traces résistantes de l’immonayable sacral à proportion du profane qui s’étendait de plus belle.
La théorie vraiment critique est ennemie de toute idéologie de l’argent amendé, épuré, purgé, purifié ou réaménagé, et elle sait qu’elle l’est parce qu’elle est avertie que la réalisation toujours plus poussée du fétichisme de la marchandise à tous les niveaux, en rendant toujours plus difficile aux humains de reconnaître et de nommer l’in-humanité de leur propre abaissement, les place dans l’alternative de refuser la totalité de ce déchoir, ou rien. La pensée qui pense en vérité a dû dès lors apprendre que l’on ne peut pas combattre l’aliénation de la monnaie et ses aboutissements sous des formes monnayant encore l’aliénation.
Pour l’inter-collectif L’Internationale, Gustave Lefrançais http://www.europemaxima.com/