La mort hier à l’âge de 95 ans de Stéphane Hessel, né en Allemagne et naturalisé Français avant guerre, résistant-déporté, diplomate, écrivain, homme de gauche « mendésiste », droit-de-l’hommiste, tiers-mondiste, partisan de la disparation des Etats-nations, du fédéralisme européen, immigrationniste convaincu, a été salué (quasi) unanimement par l’ensemble de la classe politique et de la médiacratie. Normalien à la vaste culture, à la vie bien remplie dans les allées du pouvoir et à la gentillesse proverbiale, selon ceux qui l’ont connu, M. Hessel fut de tous les combats progressistes. Titulaire du prix Jean Zay en 2008 pour son livre de conversation « Citoyen sans frontière », son petit bréviaire d’une trentaine de pages paru en 2010, « Indignez-vous! », d’une toute aussi grande pauvreté dialectique et d’analyse, n’ a pas peu contribué ces dernières années à le mettre sur le devant de la scène et à asseoir son statut de saint républicain. Vendu à quatre millions d’exemplaires ( !), il y appelait à une « insurrection pacifique » et dénonçait pêle-mêle, de manière brouillonne et sans grande cohérence, la dérégulation du capitalisme, la dictature des marchés financiers, les écarts croissants de richesses, l’égoïsme des Français refusant l’immigration et la régularisation des clandestins (« sans-papiers ») ; le tout mis sur le même plan que le totalitarisme nazi, et agrémenté d’attaque contre Israël, « l’Etat tyrannique » coupable quelques mois auparavant de l’opération « Plomb Durci » qui avait coûté la vie à 1 400 Palestiniens…
Cet ami de Michel Rocard, Daniel Cohn-Bendit et de José Bové, figurait encore sur la liste européenne d’EELV en 2009, et apporta son soutien à François Hollande lors de l’élection présidentielle. Il signa en compagnie du militant anti FN Raymond Aubrac, dans le quotidien Libération en mars dernier, une tribune appelant à voter pour le candidat socialiste , au nom de la « sauvegarde du programme du Conseil national de la résistance ». Faisant suite au déferlement des tweets rendant hommage à M. Hessel, un appel au rassemblement a été lancé hier place de la Bastille pour honorer sa mémoire… qui a réuni moins de 200 personnes.
Si une époque, une société se juge aussi aux figures qu’elle honore et qu’elle propose en exemple à ses citoyens, le vœu émis par certains de faire entrer Stéphane Hessel au Panthéon en dit long sur la décrépitude intellectuelle, la perte du sens commun qui accompagne inévitablement toutes les décadences. Au-delà même des idées politiques qui furent celles de l’auteur d’Indignez-vous! et qui sont de la même veine philosophique que celles exprimées par de nombreuses personnalités inhumées en ce lieu, sa vie et son œuvre militent-elles pour un hommage républicain de cette « dimension » ?
Dans une pétition adressée à François Hollande, Eva Joly, le député PS Pouria Amirshahi, l’ancien député UMP Étienne Pinte, les historiens Pascal Blanchard et François Durepaire ont demandé au chef de l’Etat que Stéphane Hessel fasse son entrée au Panthéon. Interrogé sur ce point par BFMTV , Jean-Luc Mélenchon a assuré qu’il « ne (dirait) rien contre ». Ce choix revient en effet au président de la République. Quelques heures auparavant, six députés socialistes, Patrick Mennucci, Alexis Bachelay, Yann Galut, Jean-Louis Touraine, Jérôme Lambert, et déjà M. Amirshahi, avaient demandé un « hommage national » pour Stéphane Hessel, par une lettre au chef de l’Etat.
« Nous avons maintenant une mission : celle de transmettre sa mémoire, ses valeurs et sa pensée qui doivent à tous, et particulièrement aux jeunes générations, nous servir de modèle pour l’avenir », »Le parcours de Stéphane Hessel fait en effet de lui un grand républicain, bien au-delà des clivages partisans » (sic) , écrivent-ils. « Son engagement dans la Résistance, son courage jamais démenti, sa droiture dans le service de la France, sa défense de la démocratie, son acharnement à promouvoir les valeurs des droits de l’homme, son souci constant des plus démunis, donnent au mot de citoyenneté tout son sens », jugent-ils encore.
Reste que la panthéonisation de M. Hessel relève du vœu pieu et ne sera certainement pas suivi d’effet, prenons-en le pari. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, interrogé par Europe 1, a estimé que « d’une façon ou d’une autre, il faudra lui rendre hommage, mais déjà tous ceux qui ont souhaité s’exprimer l’ont fait ». Son corps aurait-il sa place au Panthéon ? Réponse embarrassée : « Il faut laisser un peu le temps des choses. Je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’(il) aurait souhaité ça, c’était un homme simple »…M. Ayrault ou l’art de noyer le poisson!
On l’aura compris, l’antisionisme militant de M. Hessel, partagé par de nombreux journalistes aux idées gaucho-tiers mondistes, même si les soutiens traditionnels à l’Etat hébreu ne sont pas non plus négligeables dans le petit monde médiatique , est tout de même un frein sérieux à cette canonisation républicaine. Il y a trois ans, M. Hessel membre par ailleurs du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine (très marqué à gauche), avait appelé à participer à la campagne internationale BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) contre Israël, lancée en 2005 à l’appel des Palestiniens. Une campagne menée en France par les communistes et les verts, qui avait soulevé l’indignation du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) qui porta plainte pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence » .
Un BNVCA qui organisait le 18 février dernier un colloque sur « Les sources contemporaines de l’antisémitisme », placé sous le Haut Patronage du socialiste Claude Bartolone, actuel Président de l’Assemblée nationale. Ce dernier, ne devrait pas être lui aussi au nombre des partisans d’un hommage trop appuyé à M Hessel…Un parti socialiste clientéliste qui drague l’électorat arabo-musulman mais qui est pourtant traditionnellement très proche de l’Etat d’Israël. Et ce n’est pas Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), chassé du PS en 2003, qui nous dira le contraire. En butte à l’hostilité notamment de Pierre Moscovici et de Dominique Strauss Khan, M. Boniface fut évincé car il lui était reproché ses critiques vis-à-vis de l’Etat hébreu et notamment une note invitant le candidat Jospin, en 2002, à modérer son soutien inconditionnel à Israël afin de séduire l’électorat des « banlieues »
Il était donc logique que Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), à moins d’un mois de l’incontournable dîner de gala de cette association communautaire, le 20 mars, qui marquera la fin de son second mandat et l’ouverture de la campagne pour sa succession, fasse entendre une voix discordante dans le concert de louanges adressées à Stéphane Hessel
M. Prasquier qualifie ce dernier de « maître à ne pas penser » et affirme que « le travail de déconstruction de Stéphane Hessel sera effectué ». Il a donc dénoncé « sa volonté obsessionnelle de faire de Gaza l’épicentre de l’injustice dans ce monde et du Hamas un mouvement pacifique, quasiment d’assistance sociale, contrastant avec son indifférence aux tragédies humaines et aux crimes de masse qui se déroulent de nos jours dans un silence général. Il est vrai que nous étions stupéfaits par sa propension à grandir ou à laisser grandir par ses thuriféraires dévoués, le rôle qu’il avait tenu dans plusieurs événements importants de notre histoire ainsi que par la volonté des médias de ne pas relayer ses déclarations sur la bénignité de l’occupation nazie en France qui, émises par tout autre que lui, auraient soulevé l’indignation ».
Le patron du Crif fait ici allusion a un entretien publié par le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, dans lequel Stéphane Hessel avait déclaré : « Si je peux oser une comparaison audacieuse sur un sujet qui me touche, j’affirme ceci : l’occupation allemande était, si on la compare par exemple avec l’occupation actuelle de la Palestine par les Israéliens, une occupation relativement inoffensive, abstraction faite d’éléments d’exception comme les incarcérations, les internements et les exécutions, ainsi que le vol d’œuvres d’art ». Dire que l’occupation allemande ne fut pas particulièrement inhumaine vaut en effet excommunication et conduit en général directement devant les tribunaux !
Nous ne reviendrons pas ici sur la question israélo-palestinienne sur laquelle le FN a la position mesurée que l’on sait. Bruno Gollnisch met d’ailleurs depuis longtemps en garde contre les différents lobbies de tous bords, groupuscules et autres officines qui estiment de leur intérêt d’importer et d’instrumentaliser ce conflit sur notre sol. Mais nous faisons notre (en partie) le jugement de l’avocat « sioniste » Georges-William Goldnadel qui battait en brèche la prose indigente de l’auteur d’ « Indignez-vous ! » , dans son livre « Le Vieil Homme m’indigne » qui se voulait une réponse à celui-ci.
Me Goldnadel démontait avec force l’idolâtrie suscitée par le « non-livre » de ce « grand prêtre encore vivant d’une religion profane moribonde » et qui a pour nom « une idéologie victimaire » couplée à de la « xénophilie ». C’est en effet ce qui explique l’hommage disproportionné rendu à M. Hessel. Et c’est de cet aspect de l’idéologie hesselienne, partagée largement par nos « élites », et en bonne place dans leur panthéon personnel, que notre pays est en train de mourir.