A écouter la longue plainte des patrons du secteur et à lire les rapports officiels, on pourrait croire que la finance française est matraquée par le fisc. Or, «Marianne» révèle que nos grandes banques commerciales ont payé… 8 % d’impôt en moyenne, quatre fois moins que les PME !
Publié fin janvier, le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) sur la pression fiscale dans le secteur financier a fait couler un peu d’encre, mais, surtout, beaucoup de larmes de crocodiles. «La pression fiscale s’accroît sur le secteur financier», titrait le Monde, en réaction à l’étude. «France : pression fiscale accrue sur la finance depuis 2010», rapportait l’agence Reuters. «Taxer plus le secteur financier ; pas le meilleur moyen d’éviter une crise», alertait le Parisien.
Le rapport nous apprenait, il est vrai, qu’«à l’horizon 2015 le secteur financier devrait s’acquitter de 8 milliards d’euros d’impôts supplémentaires par rapport à 2010», comme l’a résumé à Marianne un membre du CPO. Heureux calendrier : en plein débat sur la loi de séparation des activités bancaires – dénoncée par beaucoup comme trop légère et indolore –, où le gouvernement devait se défendre de trop ménager la finance, la publication du rapport du CPO ne peignait pas la banque en secteur impuni et insolent, mais en activité accablée par le poids d’un impôt justicier grandissant…
Et pourtant. Pourtant, un petit chiffre, noyé dans les annexes, est passé totalement inaperçu. Un petit pourcentage qui laisse songeur et bouche bée : entre 2002 et 2009 (dernière année pour avoir des comparaisons internationales), nos banques commerciales, c’est-à-dire BNP Paribas et la Société générale se sont acquittées d’un impôt sur leurs bénéfices de… 8 % ! Oui, vous avez bien lu : 8 %.
Et, oui encore : on parle bien de BNP Paribas, qui vient d’annoncer des bénéfices en pleine explosion, et de la Société générale, qui a certes enregistré des profits en baisse en 2012, mais tout de même… 774 millions d’euros.
Là où n’importe quelle PME doit contribuer à hauteur de 33,5 % de ses bénéfices pour participer à la redistribution nationale, BNP Paribas et la Société générale se sont, elles, contentées d’un chèque de 8 petits pourcents de leurs profits au fisc. Quand on inclut les autres établissements financiers (les mutualistes) dans le calcul, la moyenne augmente un peu, mais reste tout de même ridiculement basse : 13 %. On se frotte les yeux, on n’ose y croire…
13 % ? C’est bien «le rapport entre les impôts payés par les banques et leurs profits», confirment les deux auteurs du rapport, les Professeurs Gunther Capelle-Blancard et Jézabel Couppey-Soubeyran.
Sur la même période, les établissements financiers allemands se sont, eux, acquittés d’un impôt de plus de 50 %, les Américains et les Anglais de plus de 30 %, les Danois et les Italiens de plus de 25 %.
C’est bien simple : seule l’Autriche, qui taxe ses banques à 10 %, a fait pire que nous dans l’OCDE… Là-bas, la faible imposition de la finance est quasiment une tradition nationale puisque, entre 1988-1994, le taux n’était déjà que de 13 %. Or, la France, à cette même époque, avait un taux de 35 %. La taxation de nos banques a donc été divisée par trois ou presque en vingt ans !
«Sans conteste, l’internationalisation des activités financières et l’implantation quasi systématique d’une partie des activités des groupes financiers dans les centres offshore facilitent l’optimisation fiscale», commentent, très pudiquement, nos deux chercheurs.
De cette diminution hallucinante du poids de l’impôt ces vingt dernières années, le corps du rapport du CPO ne dit quasiment rien. Tout juste évoque-t-il que «par rapport aux banques internationales, les résultats des banques françaises paraissent plutôt moins imposés en moyenne sur la décennie 2000, mais ce constat n’est plus valable à partir de l’année 2008».
Sur cette récente hausse, le rapporteur semble en revanche très bavard. Des pages remplies de tableaux détaillent les moindres centimes réclamés aux établissements financiers – comme cette contribution de 10 millions d’euros à l’Autorité des marchés financiers instaurée en 2010. D’après les calculs du CPO, donc, «la hausse des prélèvements obligatoires au sens strict [...] atteindra 7,35 milliards d’euros en 2015».
Comme souvent avec ce genre de rapport, le diable est dans l’astérisque et le détail technique : «Le CPO met dans le même sac les banques et les assurances. Résultat : sur les 7,35 milliards d’augmentation qu’évoque le rapport, la moitié provient de la taxation sur les mutuelles de santé !» tonne le chercheur à l’Office français des conjonctures économiques, Henri Sterdyniak, qui siège au CPO.
L’homme a failli s’étouffer de rage lors de la présentation du rapport : «C’est un mauvais travail. Il y a au mieux un biais théorique, au pire une partialité idéologique visant à masquer la faiblesse des hausses de prélèvements ciblant les banques.»
On l’a compris : le document du CPO sous-entend qu’il n’y a pas un fifrelin de plus à prélever auprès de nos établissements financiers. Ce qui arrange bien le gouvernement, qui ne souhaitait pas voir resurgir l’engagement n° 7 – non tenu – du candidat Hollande, qui avait fait de la finance son «principal adversaire» : «Je taxerai les bénéfices des banques en augmentant leur imposition de 15 %.»
Peut-être les annexes du rapport du CPO méritent-elles de reconsidérer cet enterrement de promesse électorale ? Et aussi de permettre au ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, qui déclarait le 6 février, devant la commission des Finances, qu’il n’était «ni l’ennemi des banques, ni l’ami des banquiers», de choisir entre le bâton et la carotte…
Ces derniers jours, Fréderic Oudéa, pour la Société générale, et Jean-Laurent Bonnafé, pour BNP Paribas, ont présenté les plantureux résultats de leurs établissements, en précisant les impôts qu’ils ont «théoriquement» payés. Une véritable blague, à l’image de celle que se racontent les commissaires aux comptes : pour recruter son directeur administratif et financier, un grand patron pose une seule question : «Combien peuvent faire un plus un ?» La réponse qui permet d’emporter le poste est : «D’ordinaire deux, mais cela peut faire plus que deux ou moins que deux si tel est votre désir.»