Quelle peut être la place du catholicisme dans le débat entre la laïcité et l'islam ?
Le débat sur l'identité nationale voulu par Nicolas Sarkozy et son gouvernement avait fait un flop ; celui organisé par l'UMP - et plus précisément Jean-François Copé - sur la laïcité a fait pchitt, comme dirait Jacques Chirac. « C'est un débat essentiel, très différent de celui sur l'identité nationale dans la méthode comme dans l'esprit, avec un calendrier précis, et qui débouchera sur des propositions concrètes », avait annoncé le président de l'UMP. Au terme d'une polémique au cours de laquelle le malheureux a dû affronter les critiques de l'opposition, celles des représentants des religions, de la majorité des obédiences maçonniques, d'une fraction de son propre parti et d'une partie du gouvernement conduite par le premier ministre François Fillon, son fameux débat s'est tenu le 5 avril, en quatre heures « chrono », devant deux centaines de journalistes et trois centaines de militants. Encore n'est-on pas bien sûr qu'il se soit agi d'un débat, puisque les 26 propositions que l'UMP entend présenter pour « permettre une laïcité de rassemblement » avaient été élaborées avant cette rencontre. L'ambiguïté y présidait dès l'origine : on allait y parler de la laïcité et de l'islam. De la laïcité vue par l'islam, ou de l'islam dans une optique laïque ?
Du rattrapage au remplacement
Pour ne rien arranger, le nouveau ministre de l'intérieur, Claude Guéant, a augmenté la confusion en croisant la question de l'islam avec celle de l'immigration : deux problématiques qui - comme chacun sait - n'ont rien à voir... « En 1905, a-t-il déclaré en invoquant la date sacrée de la séparation de l'Eglise et de l'État, il y avait très peu de musulmans en France, aujourd'hui il y en a entre 5 et 10 millions. Cet accroissement du nombre de fidèles et un certain nombres de comportements posent problème. » (La fourchette proposée par le ministre de l'intérieur, portant sur quelque 5 millions de personnes, a de quoi laisser songeur : en matière d'immigration, même les évaluations « à la louche » sont plus qu'aléatoires.)
Dix jours après la publication des 26 propositions de l'UMP, Claude Guéant a présenté celles du gouvernement, qui en sont directement inspirées et tendent elles aussi à encadrer les pratiques musulmanes.
Les catholiques ne seraient-ils donc pas concernés ? La tentation peut venir de miser sur la laïcité pour contrer l'expansion musulmane (il existait une seule mosquée à Paris en 1920 contre 75 aujourd'hui, à en croire le Guide des mosquées de France sur Internet). À tort. Car il me semble qu'il existe au moins trois dangers dans ce débat entre l'islam et la laïcité.
Soit cette dernière s'attaque à l'ensemble des religions et met à profit sa confrontation avec l'islam pour régler de vieux comptes avec le christianisme: c'est ce que l'on voit lorsque des crèches de Noël municipales sont supprimées par décision de justice, comme à Moutiers (Oise) en décembre dernier.
Soit l'Etat pratique une laïcité positive, qui peut certes célébrer les racines chrétiennes de la France mais instaure en réalité, sous prétexte de neutralité, une politique de discrimination positive favorable à l'islam: c'est ainsi que Nicolas Sarkozy, dans son livre La République, les religions, l'espérance, souhaitait mettre en oeuvre politique de « rattrapage » au bénéfice de la religion musulmane, politique qui l'a conduit dès 2006 à commander un rapport (le rapport Machelon) pour étudier le moyen de financer la construction de mosquées avec l'argent public.
Mais de quel « rattrapage » peut-il s'agir par rapport au christianisme, pierre angulaire de notre civilisation, et particulièrement au catholicisme qui a joué un rôle fondamental dans la construction de la France ?
Cette politique de « rattrapage » peut en outre tourner assez vite au « remplacement », comme a pu récemment le vérifier le président honoraire d'une amicale des anciens marins de Gisors qui, ayant demandé qu'un aumônier de la marine vienne célébrer la messe d'anniversaire de la création de cette amicale, s'est entendu répondre qu'il n'y avait pas d'aumônier disponible, 31 postes d'aumôniers catholiques ayant été supprimés pour des raisons budgétaires et remplacés par autant d'aumôniers musulmans.
Troisième cas de figure : le catholicisme disparaît purement et simplement du débat engagé entre la laïcité et l'islam et n'est plus pris en compte. C'est ce qui vient de se passer à Strasbourg, où le maire socialiste, Roland Ries, a répondu à des parents d'élèves lui demandant pourquoi on servait des menus halal dans les cantines scolaires et pas de poisson le vendredi : « Nous servons de la viande halal par respect pour la diversité, mais pas de poisson par respect pour la laïcité ». Entre diversité et laïcité, il n'y a évidemment pas de place pour le christianisme. (On retrouve d'ailleurs ici aussi le principe de discrimination positive.)
En fait de neutralité, la laïcité à la française apparaît plutôt comme une idéologie anti-religieuse aux prétentions quasi-religieuses : « plutôt qu 'une neutralité, n'avons-nous pas suscité une religion d'État ? » demande Chantai Delsol dans l'hebdomadaire Valeurs Actuelles. Ce laïcisme peut alors devenir intransigeant, au point d'exiger du croyant un comportement schizophrène: qu'il laisse son âme au porte-manteau lorsqu'il sort dans la « sphère publique » et la retrouve le soir lorsqu'il regagne sa « sphère privée ».
Une idéologie aux prétentions religieuses
Mais ces prétentions religieuses peuvent aussi s'exprimer dans un nouveau paradigme réceptif et accueillant. Jacques Secondi, auteur d'un article intitulé significativement « Culte laïque » et publié dans le Nouvel Economiste du 7 avril, distingue religion et spiritualité et cite l'éditeur Marc de Smedt, directeur de collection chez Albin Michel : « Les religions ne sont qu 'un outil pour accéder à la spiritualité, d'où l'expression de spiritualité laïque pour ceux qui cultivent ce sentiment en dehors des croyances ou des pratiques religieuses. » Secondi y voit « l'occasion de sortir d'un malentendu historique sur le rapport entre la pratique religieuse dont il faut cadrer les revendications et le sentiment spirituel qui devrait pouvoir s'exprimer librement dans toutes les sociétés. » La laïcité new-age, en quelque sorte...
On pourrait donner à l'islam une autre réponse, beaucoup plus décontractée : non pas en refaisant du catholicisme une religion d'Etat, mais plus simplement en inscrivant dans la Constitution française sa place éminente, par son apport à l'histoire et à la civilisation française.
Eric Letty monde & vie . 23 avril 2011