Beaucoup en Europe rêvent de voir la BCE emboîter le pas à la Fed. Mais le déversement de dollars sur l’économie américaine est pour le moins risqué.
La Banque centrale européenne (BCE) est restée fidèle à elle-même. Malgré une croissance négative de 0,6 % au quatrième trimestre 2012, l’institution de Francfort a une nouvelle fois repoussé, l’abaissement de son principal taux directeur fixé à 0,75 %. Une attitude qui ne devrait pas plaire à Arnaud Montebourg : le ministre français du Redressement productif avait dénoncé dimanche une BCE “remarquablement inactive” pour lutter contre la récession et l’envolée du chômage.
Il est vrai que la politique monétaire européenne contraste fortement avec celle de la Banque centrale américaine. Depuis le début de la crise financière, la Fed n’a pas hésité à faire marcher la planche à billets, via les désormais célèbres programmes de “quantitative easing”. Non contente de ramener ses taux d’intérêt à zéro, elle a massivement financé la dette du pays en absorbant dans son bilan plus de 1 700 milliards d’obligations du Trésor, soit l’équivalent de la quasi-totalité de la dette française !
Objectif : faire tomber les taux d’intérêt réclamés par les investisseurs pour détenir de la dette américaine, y compris à long terme, et, par ricochet, le coût des emprunts des entreprises et des ménages. Mais elle n’a pas non plus hésité à racheter des centaines de milliards de crédits hypothécaires pour revigorer le marché immobilier dévasté par l’éclatement de la crise des subprimes. Le raisonnement est simple : sous l’effet de la hausse du marché obligataire, des cours boursiers et de l’immobilier, les Américains se sentent plus riches et sont censés se remettre à consommer et à investir.
Face à une telle politique, la BCE fait figure de petite joueuse. Elle a bien accordé quelque 1 000 milliards d’euros de liquidité aux banques sur trois ans à un taux d’intérêt dérisoire, afin de soutenir le système bancaire, mais elle s’est toujours refusée à soutenir massivement la dette des pays du Sud. Depuis septembre, elle s’est certes engagée à racheter la dette de ceux qui appelleraient à l’aide pour des montants indéterminés. Mais elle ne rachètera que des obligations remboursables avant trois ans. Et encore. À condition qu’ils acceptent un contrôle très étroit de leurs finances publiques. Autant dire que ce n’est pas encore fait. Si cela semble avoir réussi à ramener la confiance dans l’euro, cela n’a visiblement pas suffi pour stimuler la croissance.
Risques pour la croissance
Devrait-elle pour autant suivre l’exemple de la Fed ? Outre que ses statuts l’en empêchent, les politiques monétaires non conventionnelles ne sont pas sans danger. Non pas qu’il faille craindre un retour de l’inflation. Ce risque a “pour de nombreuses années disparu avec le chômage, le freinage des salaires et le recul du prix des matières premières”, écrit Patrick Artus dans une note de la recherche économique de Natixis publiée à la mi-janvier. Certains considèrent même que l’Europe est entrée dans une spirale déflationniste à la japonaise, sous l’effet du désendettement massif imposé aux États, mais surtout aux entreprises et aux ménages.
Il n’en reste pas moins que la politique monétaire de la Fed (comme celle de la banque centrale britannique ou du Japon) est déstabilisante pour l’économie mondiale. Les pays émergents, où les perspectives de profit sont plus fortes, subissent un afflux de capitaux et une hausse dangereuse de leurs devises, ce qui risque de déstabiliser leur balance commerciale. Ils peuvent alors être tentés de pratiquer à leur tour des politiques monétaires trop accommodantes pour parer à la hausse de leur monnaie tout en s’exposant à un retournement brutal des flux de capitaux, au moment où la Fed renversera sa politique.
Bulles
La question des dangers de la politique monétaire non conventionnelle commence même à se poser aux États-Unis. La publication du compte rendu de la réunion de politique monétaire de la Fed fin février (les fameuses “minutes”) a révélé une discussion des gouverneurs sur le meilleur calendrier pour en sortir, malgré l’engagement à imprimer des dollars jusqu’à ce que le taux de chômage revienne à 6,5 %.
Leur crainte est de rééditer leur erreur du début des années 2000, quand l’institution avait conservé “des politiques monétaires très expansionnistes, alors que la récession de 2001-2002 était terminée”, entraînant une bulle immobilière après l’éclatement de la bulle des actions, rappelle ainsi Natixis dans une note de fin janvier 2013.
Comme à cette époque, le risque est aujourd’hui de voir le cash accumulé s’investir au mauvais endroit : “Il semble que réémergent des comportements spéculatifs : achats d’obligations à haut rendement (junk bonds), prêts sous les standards aux entreprises (analogues aux crédits subprimes pour les ménages), achats de matières premières et actions des pays émergents via les ETFs (Exchange Traded Funds). L’opacité règne comme à l’époque des subprimes sur la manière dont est financé l’achat de ces titres, donc sur les chaînes de contreparties et leur vulnérabilité”, écrit l’économiste Michel Aglietta, sur son blog du Centre d’études prospectives et d’informations internationales.
Vers un krach
Quant aux grandes entreprises américaines très profitables, elles se sont lancées dans des opérations financières de rachats de leurs propres actions, ou de fusions-acquisitions pas toujours justifiées, avec le risque d’accentuer la déconnexion entre les cours boursiers et l’économie réelle.
Si Ben Bernanke a depuis réaffirmé que la sortie du “quantitative easing” n’était pas pour tout de suite, que se passera-t-il le jour où une vraie reprise se matérialisera et où la Fed sera obligée de débrancher l’économie américaine de sa perfusion ? Certains pointent le risque d’un krach obligataire. La Fed ne soutenant plus la dette américaine, la valeur des obligations du Trésor pourrait s’effondrer avec pour effet d’infliger de fortes pertes à tous les détenteurs de cette dette, comme les banques, les fonds de pension ou les assureurs. Comme la Grèce, les États-Unis risqueraient alors de se voir imposer des taux d’intérêt énormes pour refinancer leur dette. Une mécanique infernale non seulement qui plongerait l’économie en récession, mais qui pourrait même déboucher sur une faillite américaine.