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Oui, on peut gagner la guerre contre les Taleban… mais qui le souhaite vraiment ?

Article paru dans la rubrique Débats du Figaro du 28/5/07

En Afghanistan les Américains, avec près de 30 000 hommes, continuent à mener non sans raison la guerre du ressentiment. Les Européens en revanche, qui n’alignent  pas moins de 20 000 soldats,  sont surtout concernés en cette terre lointaine par la drogue contre laquelle ils devraient lutter plus fermement.

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S’il s’agit de gagner ce combat, l’objectif prioritaire doit être le « nerf de la guerre talebane», ces  milliards de dollars que rapporte la vente,  surtout en Europe, des 600 tonnes annuelles d’héroïne afghane. Avec cet argent les Taleban équipent,  arment et rémunèrent  les révoltés pachtouns, se procurent les services de spécialistes pointus, notamment pour les explosifs,  tout en préparant l’acquisition de missiles anti-aériens qui, comme les stinger américains de naguère, pourraient un jour emporter la décision.

Que la culture du pavot cesse et les Taleban ne pourront plus  soutenir l’effort de guerre que par leurs stocks d’héroïne.

La question qui se pose dès lors est de savoir si on peut  éradiquer le pavot et détruire les stocks.

La première opération est réalisable si l’on procède énergiquement avec l’aide d’un gouvernement afghan décidé et des 100 000 hommes de la Police et de l’Armée nationale afghane (ANA) en cours de formation: l’éradication n’a-t-elle pas été effectuée en deux ans, de 1999 à 2001, par les Taleban eux-mêmes qui, au nom du Coran, s’étaient mis à lutter contre la drogue ? Dans ce but, ils ont été expéditifs: les  cultivateurs de pavot ont été menacés de la peine de mort et des exécutions publiques ont eu lieu. Résultat : dès 2001 la zone talebane n’était  plus productrice d’opium.

La destruction des laboratoires de fabrication et des stocks est plus difficile car les uns et les autres sont disséminés dans les localités. Dans ce cas, même si l’on sait  où se trouvent ces laboratoires et ces stocks, les frappes aériennes ne peuvent être « chirurgicales ». Il y aurait beaucoup de dégâts collatéraux dans ce qui deviendrait  une guerre impitoyable. Pourtant l’appareil de production de narcotiques serait vite détruit et, en deux ans, les stocks fondraient.

Une telle action exige que nos troupes quittent les camps fortifiés où, à l’imitation des Américains, elles se sont enfermées laissant les révoltés contrôler la moitié du territoire: 11 000 soldats à Bagram, 8 000  à Kandahar, autant à Kaboul, Djallalabad, etc, se morfondent à l’intérieur de points d’appui vulnérables comme, jadis, Danang ou Dien-Bien-Phu …

Base de Bagram

Kandahar

En dehors de ces « valets d’arme », l’effectif des troupes en mesure d’être  engagées sur le terrain ne dépasse pas 10 000 h, ce qui est notoirement insuffisant. En fait, avec 25 000 véritables combattants, il faudrait recourir à un éclatement en petites garnisons de deux à trois cents hommes, épaulés par des unités de l’ANA,  dans tous les districts « chauds » de la moitié sud du pays. L’appui aérien serait intensifié et le droit de poursuite utilisé dans la zone tribale pakistanaise, refuge notoire des rebelles. Parallèlement, les paysans ayant perdu leur gagne-pain seraient indemnisés et équipés pour de nouvelles cultures de substitution.

Tel est le prix à payer pour une guerre de pacification ayant quelques chances de réussite.

Qui est prêt à une telle action ? Personne !

Il faut tout d’abord constater que les interventions menées  de nos jours, où que ce soit, contre la drogue sont étonnamment pusillanimes. Du producteur afghan au consommateur européen, le trafic porte sur des dizaines de milliards de dollars. Il suscite des profiteurs directs, éminemment condamnables, mais aussi et surtout des bénéficiaires indirects qui ne se sentent pas coupables. A Istanboul, Londres, Rome ou Paris, sur la Côte d’azur ou la Costa brava, des institutions influentes, financières ou commerciales,  ont pris l’habitude de fonctionner avec un argent douteux et n’entendent pas  voir disparaître ce revenu. Le malaise économique est tel aujourd’hui que le déséquilibre qui résulterait d’une attaque frontale contre l’opium pourrait être la goutte faisant déborder la coupe des désordres. Et d’aucuns s’ingénieraient alors à profiter de la crise pour en revenir  à la situation actuelle: une  sorte de cohabitation secrète avec la drogue.

Par ailleurs, bien peu d’armées sont prêtes à en découdre  avec les Taleban. Chaque nation impose des restrictions d’emploi spécifiques pour le contingent qu’elle octroie à tel point que l’OTAN, qui dirige la coalition, a bien du mérite à mener malgré tout des opérations. De toute façon, comment un soldat casqué, engoncé dans un gilet pare-balle, surchargé d’un invraisemblable bric-à-brac et  qui emporte boisson et nourriture, peut-il rivaliser en montagne avec un guerrier équipé d’une seule kalachnikov, de quelques chargeurs, qui connaît le terrain et vit sur le pays? Le contrôle du ciel dont disposent encore les Occidentaux n’est pas suffisant pour compenser ce désavantage terrestre.

Dans ce contexte, il ne resterait plus qu’à envisager le maintien du «conflit de moyenne intensité » : il devrait permettre d’attendre la relève prévue  en 2010 par l’Armée nationale afghane. Tout le monde  y trouverait son compte, même les drogués ! L’inconvénient est que certains  fanatiques ne l’entendent pas de cette oreille et augmentent la violence des combats. En même temps, la corruption et le pourrissement qui résultent des trafics continuent à gangrener tout le pourtour de l’Afghanistan quand ils ne gagnent pas jusqu’à nos banlieues. La contagion est telle qu’un jour viendra où nous serons obligés de mener pour de bon la guerre contre la drogue,  mais, à force  de  reporter les échéances, cette lutte n’aura plus lieu en terre afghane mais chez nous !

René CAGNAT, Colonel (e.r.), ancien attaché militaire en Asie centrale http://www.lesmanantsduroi.com

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