L'homme qui meurt le 6 octobre 877 dans un hameau de la Maurienne, au pied du Mont Cenis, illustre fort bien l'imbécillité du cliché qui voudrait que le Moyen-Âge eût été une période d'obscurantisme. Petit-fils de Charlemagne, Charles le Chauve a allié en effet un goût personnel pour la vie de l'esprit et une politique de mécénat digne des grands princes de la Renaissance.
C'est d'ailleurs l'expression imagée de "Renaissance carolingienne", forgée en 1839 par J.J. Ampère, qu'ont volontiers utilisée nombre d'historiens pour désigner le vaste mouvement intellectuel qui a été impulsé et protégé par plusieurs souverains du IXe siècle. Cette "Renaissance", née à la cour d'Aix-la-Chapelle, grâce aux beaux esprits dont Charlemagne, par souci de prestige, avait voulu s'entourer, a connu son plein essor deux générations plus tard.
Le règne de Charles le Chauve a connu des débuts chaotiques où la force des armes et les subtilités de la diplomatie tenaient plus de place que le culte des lettres. Il lui a fallu en effet se tailler sa place au soleil lorsque la mort du père, Louis le Pieux (840), a laissé face à face des héritiers vite devenus des concurrents pour se partager l'empire fondé par le grand-père Charles. Allié à Louis le Germanique contre leur frère Lothaire, Charles le Chauve obtient au partage de Verdun en 843 cette partie occidentale de l'empire carolingien qui va s'appeler un jour la France. Il lui faut se battre, bec et ongles, pour s'imposer aux grandes familles du Toulousain, de la Septimanie, d'Auvergne. S'appuyant sur une partie de l'aristocratie laïque et ecclésiastique (dont le précieux prélat Hinemar de Reims), Charles réussit à réunifier, pour peu de temps, le monde carolingien en se faisant couronner empereur à Rome, le jour de la Noël de 875, par le pape Jean VIII.
Ce n'est pas cette réussite politique, éphémère, qui justifie la gloire de Charles le Chauve mais bien plutôt son œuvre culturelle. Œuvre qui s'exprime à travers des gestes de générosité au moment de son couronnement, il offre au pape le trône dit de saint Pierre, toujours conservé au Vatican, et la Bible de Saint-Paul-hors-les-murs (ce célèbre manuscrit, commandé par Charles au scriptorium de Saint-Denis, a fait l'objet d'un fac-similé réalisé en 1993, en Italie ... pour un prix de vingt-huit millions de lires).
Dans un monde où l'écrit est rare (la culture germanique est de tradition orale), Charles veut que soit fixé sur parchemin, pour la postérité, le sens de son action : fier de ses racines, il fait composer un poème sur ses ancêtres et, pour marquer la continuité de sa lignée (il a eu quatorze enfants connus), il demande à son cousin Nithard, abbé laïc de Saint-Riquier, « de fixer par écrit pour la postérité le récit des événements de son temps ». Cette source nous est aujourd'hui précieuse.
Un diacre napolitain, Paul, offre à Charles un récit de la conversion de Théophile qui introduit en Occident les premiers éléments de la légende de Faust. Mais le principal titre de gloire de Charles, au plan intellectuel, est d'avoir protégé avec constance et efficacité un Irlandais, Jean Scot Erigène, « le lettré le plus savant et le plus original de son époque » (pierre Riché). Une originalité qui allait loin puisque Scot est l'auteur du Periphyseon, « la première grande synthèse métaphysique de l'Occident ». que l'Eglise considérait comme hérétique puisque ce traité tait un véritable acte de foi panthéiste.
P V National Hebdo du 1er au 7 octobre 2007