Entretien avec Bernd Lucke, économiste et cofondateur du parti Alternative pour l’Allemagne (source magazine La Croix)
« Dissoudre l’euro de manière graduelle »
Le parti anti-euro allemand tient ce dimanche son premier congrès. Son cofondateur explique son programme.
Vous fondez un parti anti-euro. Peut-il trouver sa place en Allemagne, où l’eurosepticisme n’a jamais connu de succès électoral ?
B L : Les élections législatives de septembre auront lieu dans un contexte nouveau. Ce sera le premier scrutin général de l’ »après-Mai 2010 », date de déclenchement de la crise de l’Euro. Ces trois dernières années, nous avons appris que cette crise n’est pas sous contrôle du gouvernment, alors que cela nous coûte des sommes considérables.
Que proposez-vous ?
B L : De dissoudre l’euro de manière contrôlée et graduelle. D’abord, en laissant les pays du sud de l’Europe quitter la zone, puis casser le reste de la zone en réintroduisant les monnaies nationales. Nous demandons aussi de mettre fin aux boucliers financiers créés depuis 2010 5NDLR : par exemple, le mécanisme européen de stabilité, destiné notamment à secourir un pays au bord de la faillite).
Et la France ?
B L : L’euro pose aussi des problèmes de compétitivité à la France, qui souffre, de ce fait, d’une désindustrialisation depuis plusieurs années. Cela coûte à votre pays un grand nombre d’emplois détruits. Par conséquent, vous auriez probablement intérêt à quitter la zone et renouer avec votre propre monnaie.
L’euro n’a-t-il pas créé des occasions pour l’économie allemande ?
B L : Pendant ses premières années, il a profité aux pays d’Europe du Sud car beaucoup de capitaux se sont mis à y affluer, privant l’Allemagne de ressources pour investir. Du coup, elle a enregistré le taux de croissance le plus bas de la zone entre 2001 et 2007. Depuis le déclenchement de la crise, les capitaux reviennent en Allemagne. Nous en profitons. L’inconvénient, c’est que nous prenons en charge le fardeau des pays de l’Europe du Sud, victimes de l’euro. Nous devrions nous battre pour le bien de tous, plutôt que de trouver des solutions profitant à un certain nombre de pays –dont l’Allemagne-, pendant que d’autres en souffrent.
Que répondez-vous à ceux qui affirment que la disparition de la zone euro aurait des conséquences catastrophiques pour tous ?
B L : Il existe des moyens de procéder par étapes, afin de laisser aux peuples et aux Etats le temps de s’ajuster. L’économie européenne est dans un état désastreux avec un chômage des jeunes très élevé et inquiétant en Grèce, en Italie et en Espagne. C’est lié au fait que ces pays ne peuvent pas être compétitifs avec une monnaie commune du niveau de l’euro (NDLR : puisqu’ils ne peuvent pas procéder à une dévaluation pour regagner des parts de marché). Il faut faire quelque chose. On ne peut pas ignorer les problèmes et se contenter de dire que l’euro est là pour toujours.
La fin de l’euro signerait-elle la mort de l’Europe ?
B L : Je ne pense pas. Ce n’est pas la première fois qu’un projet européen échoue –regardez l’Europe de la défense, dans les années 1950- et pourtant la construction européenne s’est poursuivie. L’UE se trouve engagée dans un processus de désintégration parce que le Sud stagne, voire recule, pendant que le Nord s’en sort plutôt bien. Du coup, les régions de l’Europe divergent et ce n’est sain pour personne.
Vos propositions ne sonnent-elles pas la fin de la solidarité européenne ?
B L : Non. Je suis attaché au principe d’entraide entre les peuples. Le problème, c’est que nous ne disposons pas pour le moment de critères objectifs pour organiser un système rationnel de transferts. On se contente de donner de l’argent à ceux qui ont accumulé le plus de dettes, et non pas aux plus pauvres. Si nous voulons vraiment construire une solidarité, nous devons identifier ceux qui ont le revenu par habitant le plus faible, le plus fort taux de chômage et le moins d’infrastructures. A partir du moment où ces critères seront définis, nous aurons la volonté de payer. C’est cela, la solidarité.