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Une aventure intellectuelle : la Jeune Droite

 

L’ouvrage est volumineux, les références sérieuses et l’étude argumentée. Jeune historien des idées politiques, Nicolas Kessler analyse la Jeune Droite de ses origines à sa disparition. Aile droitière des « non-conformistes des années 1930 », cette galaxie qui s’anime autour de nombreuses revues n’avait jamais fait l’objet d’une enquête approfondie. C’est aujourd’hui chose faite.

 

Si la Jeune Droite s’intitule ainsi, c’est parce que les jeunes gens qui la constituent ont reçu l’influence et l’héritage du maurrassisme. Cependant, elle doit sa cristallisation au rôle fécond de deux compagnons de route de l’Action française : Henri Massis et Jacques Maritain. L’importance de ces deux écrivains dans la formation des futurs plumes de la Jeune Droite explique la place prépondérante du catholicisme dans leurs écrits.

 

Dans la continuité d’Antimoderne de Maritain et de La Défense de l’Occident de Massis, les premières publications de la Jeune Droite – les Cahiers de Jean-Pierre Maxence et Réaction de Jean de Fabrègues – s’intéressent aux arts et aux lettres tout en célébrant la Chrétienté, le Moyen Âge et les croisades. Le ton se rapproche plus du catholicisme social « intransigeant » d’un Pie X que du nationalisme intégral de Maurras. À l’individualisme et au matérialisme d’une société sans charmes, ils exaltent les valeurs humanistes et chrétiennes. Ils saluent Bernanos comme leur frère aîné et voient en Charles Péguy un maître. Enfin, le thomisme, alors en plein essor sous l’impulsion de Maritain, les subjugue.

 

Cette Jeune Droite n’en reste pas moins hétérogène : Maxence et Fabrègues ne s’apprécient guère. Et puis, il y a les ruptures. En 1927, la condamnation de l’Action française par le Pape les déchire, mais ils demeurent fidèles à Maurras. Plus tard, Fabrègues rompt “ politiquement ” avec le chef du royalisme français tout en lui gardant son estime et son admiration.

 

Avec les répercussions économiques et sociales de la crise de 1929 dans la France du début des années trente, la Jeune Droite s’investit dans des créneaux naguère délaissés tels que l’économie ou le syndicalisme. Aux problèmes récurrents du capitalisme qu’ils détestent et à la fausse solution de la planification, soviétique ou « dirigiste », ils apportent avec Louis Salleron les principes revus et corrigés du corporatisme d’un René de La Tour du Pin et de la doctrine sociale de l’Église de Léon XIII. La crise doit permettre l’instauration d’un « ordre social chrétien » en France.

 

En liaison avec leurs amis de L’Ordre nouveau (Arnaud Dandieu, Robert Aron, Denis de Rougemont, Alexandre Marc), ils élaborent un personnalisme « de droite ». En dépit d’une méfiance réciproque et sous le patronage de L’Ordre nouveau, la Jeune Droite cherche même à se rapprocher d’Emmanuel Mounier et de son groupe Esprit. Mais les basses manœuvres et les arrières pensées des uns et des autres font échouer l’entente esquissée, ce qui met un terme à la possibilité d’un Front commun de la jeunesse française et européenne de sensibilité non-conformiste.

 

La Jeune Droite a beau célébrer la catholicité et la mission de la France, elle n’est pas cocardière et encore moins chauvine. Au nationalisme maurrassien qu’elle juge un peu trop positiviste, elle préfère un nationalisme orienté vers l’humanisme et l’universel. Cependant, il serait réducteur de la considérer comme une simple expression d’une pensée catholique néo-réactionnaire, car elle accueille en son sein des agnostiques qui, très vite, démontrent des talents éblouissants. Il s’agit, entre autres, de Maurice Blanchot, Claude Roy et, évidemment, de Thierry Maulnier rencontré par Maxence à la Revue française vers 1930. Partisan des valeurs classiques du « Grand Siècle » et du génie français, et fort proche de Maurras, Maulnier tient un raisonnement néo-nationaliste qui va contribuer à modifier le discours de la Jeune Droite à partir du 6 février 1934.

 

En attente d’un sursaut spirituel qui s’exprimerait par une révolution personnaliste, communautaire, anticommuniste et anticapitaliste, une « révolution de l’Ordre », la Jeune Droite – qui s’organise autour de la Revue du Siècle devenue plus tard la Revue du XXe Siècle, en Groupe XXe Siècle – décèle dans l’émeute sanglante de la place de la Concorde le signal d’une révolte prochaine. Elle place alors tous ses espoirs dans le peuple et dans ses ligues. C’est l’époque où Jean-Pierre Maxence adhère à la Solidarité française parce qu’elle comprend une proportion sensible d’ouvriers et de paysans et que Maulnier se sent attirer par le Parti populaire français de Doriot. Tous ont le secret dessein de devenir les conseillers du Prince, de trouver une tribune publique plus large que le cercle restreint de leurs abonnés et d’influencer la droite politique.

 

Cette recherche de diversification des supports d’expression explique aussi la participation des ténors de la Jeune Droite au Courrier royal, le bulletin mensuel du fils du Prétendant, le jeune comte de Paris. Par leur présence, ils contribuent à rénover le royalisme et à lui faire redécouvrir sa dimension sociale. Quand les relations se détériorent entre le comte de Paris et Maurras, la Jeune Droite rompt encore par fidélité au vieux Provençal avec Henri d’Orléans. Le chapitre consacré au Courrier royal est un des plus aboutis du livre. Il éclaire un épisode fort méconnu du royalisme contemporain mais qui imprégnera durablement le chef de la Maison de France.

 

La rupture, accrue par l’arrivée du Front populaire au pouvoir, radicalise Maulnier et ses camarades du Groupe XXe Siècle, exaspérés par l’apathie des Français. C’est la période du mensuel Combat (1936 – 1938), puis pendant moins d’un an, de son équivalent polémique, L’Insurgé (janvier – octobre 1937). Contre l’esprit bourgeois et le triomphe des masses, Maulnier, Maxence, Blanchot font feu de tout bois. Le titre des articles dans l’un ou l’autre organe est explicite : « La France intoxiquée par la politique » (René Vincent), « Le terrorisme, méthode de salut public » (Maurice Blanchot), « À bas la culture bourgeoise ! », « Une France qui nous dégoûte », « Sortirons-nous de l’abjection française ? », « Désobéissance aux lois » ou « Nous voulons des agitateurs » (Thierry Maulnier). À l’instar de Maulnier qui préfaça Le Troisième Empire d’Arthur Mœller van den Bruck, le groupe lit les penseurs de la révolution conservatrice d’outre-Rhin (Ernst van Salomon, par exemple), élabore un nationalisme révolutionnaire et social, se mue en droite révolutionnaire. Faut-il pour autant parler d’une « dérive » ou d’une « tentation » fasciste comme l’ont fait Zeev Sternhell et Pierre Milza ? Avec honnêteté et en comparant les itinéraires parallèles de la Jeune Droite et de l’équipe de Je Suis Partout, Nicolas Kessler ne le croît pas, car la Jeune Droite s’est toujours montrée méfiante envers l’expérience italienne. Le corporatisme mussolinien, l’État totalitaire répugnent ces adeptes de la libre personne, enracinée dans ses communautés naturelles et protégée par ses corps intermédiaires. Quant au nazisme, les jeunes maurrassiens y voient, certes, l’éternel esprit de l’Allemagne, « romantique et barbare », mais aussi un système qui mêle massification complète et administration totale. Anecdote éclairante, Nicolas Kessler signale en outre que les articles de Lucien Rebatet seront systématiquement refusés par Combat et L’Insurgé !

 

À partir de 1938 avec la montée des périls en Europe, la Jeune Droite prend conscience de l’imminence du danger nazi. Récusant ses positions des derniers mois, elle en appelle au redressement de la France, à son réarmement militaire et moral. Dans le même temps, Jean de Fabrègues, quelque peu marginalisé par le caractère polémique, politicien et nationaliste des dernières publications, lance une nouvelle revue, Civilisation, d’orientation explicitement philosophique et catholique.

 

La soudaine défaite de mai-juin 1940 meurtrit profondément les intellectuels de la Jeune Droite. Tout ce qu’ils avaient prévu et dénoncé se réalise ! Seule note d’espoir dans ce crépuscule : le régime honni laisse la place à la Révolution nationale et à son chef, le Maréchal Pétain. Certains de ses éléments se mettent au service de Vichy soit pour redonner une forme à la jeunesse française et à sa culture avec Jeune France (où la confrontation entre Mounier et Fabrègues y est paroxystique), soit avec la revue Idées conduite par René Vincent. Pourtant, toujours lucide, la Jeune Droite n’hésite pas à critiquer les travers bureaucratiques de l’État français.

 

La Libération et l’Épuration mettent-elles un terme à la Jeune Droite ? Bien sûr, c’est la fin des revues et d’une aventure; ceux qui y on participé se dispersent. Néanmoins, dès les années 1950, au marxisme dominant, Jacques Laurent qui a collaboré étroitement, avant-guerre, à Combat (en compagnie de Kléber Haedens) célèbre une littérature désengagée que les critiques qualifient vite de « hussarde ». Dans sa conclusion, il est à déplorer que Nicolas Kessler suive l’opinion générale sur l’« embourgeoisement » de Thierry Maulnier. Il ignore que l’ancien co-directeur de Combat et de L’Insurgé, celui qui fut l’une des vedettes de la Jeune Droite, participa activement, à la fin des années 1960, avec Dominique Venner à l’Institut d’Études Occidentales, une des matrices intellectuelles d’où allait sortir quelques années plus tard la « Nouvelle Droite » !

 

Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com

 

• Nicolas Kessler, Histoire politique de la Jeune Droite (1929 – 1942). Une révolution conservatrice à la française, L’Harmattan, Paris, 2001, 494 p., 38,11 €.

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