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Nos ancêtres les Gaulois – par Stéphane Foucart (2)

II- Une certaine idée de la guerre

Les troupes de Vercingétorix sont dépeintes comme farouches et indisciplinées, ignorantes de l’art de la guerre et étrangères à l’ordre et à la rigueur. Même s’ils osnt largement erronés, ces stéréotypes imprègnent profondément l’imaginaire national.

Chariot Nervien avec escorte

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« La rigueur germanique aura-t-elle raison de l’audace française ? « . Un journaliste de radio décrivait en ces termes, mi-juin, la compétition entre une Audi et une Peugeot engagées dans les 24 heures du Mans. Quelques mots qu’on écoute sans qu’ils ne nous heurtent. Et pour cause : ils donnent à entendre une idée si habituelle, si consensuelle, qu’elle pourrait être inscrite au patrimoine national. Nous autre, Français, sommes une nation farouche, dit-elle en substance. notre talent et notre intrépidité suffisent parfois à pallier à notre peu d’organisation. sur la piste du Mans, comme dans les aventures d’Astérix, la même dramaturgie est à l’oeuvre. D’un côté la « rigueur », l’ordre des légionnaires en uniforme, de l’autre « l’audace », une somme bruyante de courages individuels, une foule désordonnée qui percute le carré des Romains pétrifiés. Dans l’antiquité, les auteurs grecs et romains produisent quantité de textes sur ce thème. C’est presque un genre littéraire à part entière : force brute, folie furieuse contre violence légale et policée. L’historien grec Polybe (vers – 205 – 126) en donne un bel exemple dans une description – de seconde main – de la bataille de Télamon, en – 225. « L’aspect de l’armée gauloise et le bruit qui s’y faisait gluaçaient [les Romains] d’épouvante, écrit-il. Le nombre des cors et des trompettes était incalculable (…). Une chose non moins effrayante, c’était l’apparence et les mouvements des hommes nus placés au premier rang: ils étaient tous d’une force et d’une beauté extraordinaires, tous parés de colliers et de bracelets en or. » Ces descriptions sont-elles crédibles ? La pensée antique oppose l’ordre de la civilisation au désordre de la barbarie, dit l’archéologue Michel Reddé (CNRS), coauteur des dernières fouilles d’Alésia. Il n’est pas très étonnant qu’ils mettent leurs adversaires dans la seconde catégorie ! Bien sûr, les descriptions de ces guerriers gaulois, nus sur le champ de bataille, nous évoquent des peuples encore proche de l’état de nature. Des hommes qui se jettent dans la mêlée avec une fougue animale et un équipement rudimentaire. Des hommes qui ignorent tout de l’art de la guerre. Et pourtant ! « on sait que les Gaulois ont été des mercenaires extrêmement efficaces et professionnels, raconte l’archéologue et historien Christian Goudineau (Collège de France). Toutes les armées voulaient leur contingent de Gaulois ! Nous avons un texte qui nous dit que pour une campagne, à l’époque hellénistique, une troupe de 1000 cavaliers et de 4000 fantassins gaulois est payée en or, pour un montant de l’ordre de la tonne. » En bons professionnels, ils disposent de l’équipement « dernier cri » : ce sont eux ,qui inventent la cotte de mailles, vers le IVe siècle avant notre ère. Du coup, on comprend que la nudité sur le champ de bataille est rituelle: elle est l’apanage « des guerriers d’élite qui se placent au premier rang pour impressionner l’ennemi et montrer leur mépris de la mort », dit M. Reddé. Pour « nos ancêtres les Gaulois », la guerre est d’autant moins synonyme d’anarchie qu’elle s’inscrit, selon l’archéologue et historien Jean-Louis Brunaux (CNRS), dans un ensemble de codes et de rites complexes. Pour en saisir quelques-uns-dans toute leur étrangeté- rien de tel que raconter une bataille. Une boucherie formidable perpétrée vers – 260 dans le nord de la Gaule. Et ce ne sont pas des Grecs ou des Romains qui en font la relation : l’affrontement se joue entre des Armoricains – comme Astérix! – et des Ambiens, des Gaulois belges installés depuis peu de ce côté-ci du Rhin… Qui raconte, alors, puisque ni les uns ni les autres n’ont consigné leurs démêlés par écrit? Ce sont les vestiges archéologiques mis au jour dans les années 1960 sur la commune de Ribemont-sur-Ancre (Somme), sur ce qui est considéré comme l’un des plus vastes sanctuaires gaulois du IIIe siècle avant J.-C. Des enclos remplis de milliers d’ossements humains, de centaines d’armes, des monnaies… Que disent les vestiges ? Pour des questions territoriales, une grande bataille éclate entre Ambiens et Armoricains. Ces derniers sont lourdement défaits. Après l’affrontement, les Ambiens transportent les cadavres – les leurs et ceux de leurs vaincus à quelques centaines de mètres de la plaine sur laquelle les deux tribus se sont massacrées. Ils érigent un sanctuaire. Les corps des défunts des deux camps sont exposés dans des enclos séparés. Pendant plusieurs années, plusieurs décennies peut-être, les Ambiens reviennent au sanctuaire et accomplissent une manière de rituel commémoratif. Ils outragent les restes de leurs vaincus: ils prennent des ossements, pour les broyer, les brûler et en placent les esquilles dans des ossuaires disposés dans les coins de l’enclos… Cité par Diodore de Sicile, Poseidonios d’Apamée (- 135/ – 51) rapporte que « au sortir du combat [les Gaulois] suspendent à l’encolure de leurs chevaux les têtes des ennemis qu’ils ont tués et les rapportent avec eux comme trophée. Un rite guerrier qui correspond bien aux découvertes de Ribemont: malgré les centaines de cadavres entreposés et « traités » sur le sanctuaire, aucun crâne n’y a été retrouvé… Certains exégètes de l’oeuvre de Goscinny et Uderzo voient d’ailleurs dans la manie d’Obélix à collectionner les casques, une métaphore aimable de cette terrible habitude gauloise. « Poseidonios nous dit aussi que les guerriers remettaient le corps de ceux qu’ils venaient de tuer à leur servant d’armes que celui-ci emportait en procession solennelle, explique Jean-Louis Brunaux, qui a mené les dernières fouilles sur le site. Il ne précise pas où, mais c’était sans doute dans des sanctuaires comme celui-ci. » Quant à l’étude des ossements retrouvés sur le site, menée par Jannick Ricard, légiste et praticien au CHU d’Amiens, elle en dit long sur la force physique des belligérants – certains atteignent 1,90 m – et sur la qualité de leurs armes. Certains os longs, fémur ou tibia, ont été tranchés net, d’un seul coup d’épée. On comprend pourquoi, à Rome, à l’époque de la République, leurs incursions en Italie suscitent la terreur. Ils prennent la ville éternelle en -389 et rançonnent la population. Un siècle plus tard, une coalition gauloise parvient jusque dans le nord de la Grèce, en – 279, crime suprême et impardonnable contre le monde « civilisé », le sanctuaire panhéllénique de Delphes est mis à sac. Reste une question. Comment pareils soldats ont-ils pu, en dépit de leur écrasante supériorité numérique, s’incliner devant Rome ? « Du IVe au Ie siècle avant notre ère, le mouvement général, en Gaule, est à une démilitarisation de la société » dit Jean Louis Brunaux. Ceux que rencontrent César dans les années – 50 ne sont plus les Gaulois de Télamon ou de Ribemont, qui combattent nus et s’arrachent les membres d’un coup d’épée. Mais il y a aussi des aspects bêtement techniques… Revenons en – 51. Vercingétorix vient d’être battu à Alésia. Toute la Gaule est occupée. Toute ? Non ! Un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur. « Après Alésia, la guerre est considérée comme achevée, raconte Matthieu Poux (université Lyon II). César emmène Vercingétorix à Rome et prépare son triomphe. Mais un évènement imprévu survient : un peuple gaulois du sud ouest, les Cadurques, tente un ultime sursaut. César y envoit Caninius, l’un de ses lieutenants pour mâter la rébellion« . Mais celle-ci est tenace. D’autant que les Gaulois peuvent tenir longtemps : ils disposent d’une source au pied de leur place forte. De retour en Gaule, César se rend sur place et mène le siège. « Il fait construire une grande tour en bois du haut de laquelle les artilleurs bombardent littéralement les assiégés de projectiles, à chaque fois qu’ils vont se ravitailler en eau, raconte M. Poux. Puis il fait percer la montagne sur laquelle est juchée la ville, pour détourner la source en question. Le sapeurs romains y parviennent ;les Gaulois doivent se rendre ». Le proconsul laisse la vie sauve aux insurgés. Mais leur fait couper les mains. Au Puy d’Issolud (nom moderne d’Uxellodunum), on a retrouvé les galeries des sapeurs de César, creusées dans la roche. Les fouilles menées par Jean-Pierre Girault ont permis d’exhumer d’impressionnantes quantités de projectiles. « Un détail frappant sur les grands sites de bataille de la guerre des Gaules, est que dans le corpus des armes retrouvées, on a 90 % d’armes de jet et de projectiles romains, explique M. Poux. Des traits de catapultes, des boulets de baliste, des pointes de flèches à barbelure ou des balles de fronde en plomb qui fusent à 400 km/h et peuvent fracasser un crâne à plusieurs centaines de m de distance. » La victoire romaine fut-elle celle de l’artillerie et de l’art du siège ? Fut-elle banalement technologique ? Les images forgées de longue date nous ramènent plutôt à la victoire de l’ordre sur le désordre. D’où vient cette idée tenace ? « César commence La Guerre des Gaules en distinguant la Belgique, la Celtique et l’Aquitaine », dit M. Goudineau. Dans ces trois ensembles, il décrit des peuples de langues et de coutumes différentes. « Puis à mesure qu’il rédige, une sorte de nation gauloise se dégage, qui s’incarnera en la personne de Vercingétorix… » Alors ? Alors peut-être les Gaulois – mot forgé par les Romains – n’ont-ils jamais existé en tant que tels. A dire « les Séquanes se battent contre les Arvernes » ou « les Eduens s’affrontent aux Helvètes » au lieu de dire « les Gaulois se battent entre eux », on cesserait d’associer désordre et désunion à « nos ancêtres les Gaulois ». Et on cesserait de penser que les automobiles allemandes sont plus fiables que les françaises.

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A lire Le Dossier Vercingétorix, de Christian Goudineau, Actes Sud-Errance, 2001. Nos ancêtres les Gaulois, de Jean-Louis Brunaux, Seuil, 2008.

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