On connaît George Steiner, érudit juif et polyglotte politiquement incorrect, amateur du Rebatet romancier et ami de Pierre Boutang jadis. Ce qu’il dit reproduit tellement ce que j’écris d’habitude que je n’ajouterai pas une ligne. Si, qu’il faut que des ligues idoines poursuivent ce noble homme en justice.
Dans Le Monde du 11 mai 2013, le grand George Steiner (84 ans, critique, philosophe) répond à la dernière question du journaliste : « Quel sera, selon vous, l’avenir de la jeunesse estudiantine, avec laquelle vous êtes en contact ? » de la façon suivante : « Il m’effraie. Nous sommes en train de créer une apathie chez les jeunes, une "acédie", grand mot médiéval, sur laquelle Dante et saint Thomas d’Aquin ont écrit des choses formidables. Cette forme de torpeur spirituelle me fait peur. Le philatéliste qui est prêt à tuer pour un timbre, lui, a de la chance. »
Wikipédia définit ainsi l’acédie : « Dans la religion catholique, l’acédie est un mal de l’âme qui s’exprime par l’ennui, le dégoût pour la prière, la pénitence, la lecture spirituelle. L’acédie peut être une épreuve passagère, mais peut être aussi un état de l’âme qui devient une véritable torpeur spirituelle et la replie sur elle-même. C’est alors une maladie spirituelle. »
« Je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir, ni de quoi est faite la jeunesse. L’avenir est noir et la jeunesse est paresseuse. Elle est assez peu encline à sortir du cadre, assez soumise, obéissante (je parle de celle que je connais, la française), et donc obéissante à ce qui a noirci cet avenir. Idiote, finalement, incapable d’inverser le mouvement. Certains jours, j’ai l’impression que les gens de mon âge sont tous plus bêtes et incapables les uns que les autres, d’autres, je leur trouve au contraire du talent, de la poésie, de l’imagination et parfois du courage. Les progressistes estiment que la jeunesse est telle qu’elle a toujours été, je crois quand même qu’elle est un peu plus abrutie que celle des générations précédentes. Globalement, elle est inculte, franchement inculte, dotée de connaissances plus que vagues dans tous les domaines, l’histoire en particulier. Elle est mondialisée et mondialiste, ne comprend plus les discours vantant les mérites de l’existence même d’une nation, à l’intérieur de frontières, gouvernée par un pouvoir fort, etc. : tout ça la dépasse, Rio est tout proche et tellement plus vivant.
Nous vivons la fin des nations. Elles ne meurent pas parce qu’elles sont inefficaces, elles meurent parce qu’elles sont conquises, avalées par la globalisation. Les nouvelles générations se moquent absolument de toute idée patriote : pour eux, cet espace est trop étroit, il est synonyme de chômage et d’impôts, de gouvernants nuls et de mauvais temps. Les jeunes Français n’aiment plus du tout la France : soit ils la quittent, soit ils en brûlent les emblèmes. A cause de la nouvelle grande dépression provoquée par le socialisme, il est devenu impossible de réussir autrement que grâce à des parents ayant déjà eux-mêmes réussi. La gauche, avec ses taxes, ses règles, son désastre scolaire, sa médiocrité jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir, son discours misérabiliste et bas du front, sa haine du patron, a tellement bloqué l’ascenseur social qu’elle a fait la fortune des héritiers. »
« Je crois que si la jeunesse française est acédique, c’est parce que la France ne croit plus en elle-même, et je crois que la raison à cela, c’est qu’elle est trop normée. La législation sur le travail, sur le tabac, sur la drogue, sur la sécurité routière, sur l’urbanisme, se déploie comme une gigantesque toile d’araignée tissée de fils barbelés à l’intérieur desquels le moindre mouvement est impossible à moins d’enfreindre la loi.
Tout est fait pour tuer les individus par étouffement. Seul l’argent permet de sortir un peu de ça, mais il est désormais interdit d’en gagner : les héritiers sont les derniers à s’amuser un peu, et beaucoup d’entre eux préfèrent danser ailleurs.
Le grand problème français, c’est la sécurité de l’emploi de ses dirigeants. La gauche au pouvoir, que ce soit le pouvoir politique ou celui de l’administration, raisonne et gouverne comme si les entrepreneurs entreprenaient sans stress, avec le même état d’esprit que les fonctionnaires. François Hollande, qui est certain, depuis son entrée à l’Ena, d’avoir tous les mois, quoi qu’il advienne, un salaire confortable même s’il ne fait rien pour cela, ne peut rien comprendre à la création.
Les créateurs, qu’ils soient peintres ou boulangers, créent avec l’angoisse au ventre ; souvent, ils doivent avoir faim pendant des années avant de pouvoir jouir des fruits de leur sueur et de leur talent. Or, ces gens sont le poumon de la collectivité. Cela ne les autorise certes pas à tous les abus, mais cela leur donne le droit à tous les excès, l’excès étant la matrice même de leur action. Puisqu’on les étouffe, c’est tout le pays qui, avec eux, est asphyxié.
Le "choc de simplification" promis par notre président ne servira à rien s’il ne s’accompagne pas d’un choc de défiscalisation, de déflation législative et réglementaire, et de créativité, d’art partout. La France a besoin d’un choc d’art partout. »
Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info/