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Le totalitarisme de l'édredon

Politiquement correct, médiatiquement correct, judiciairement correct : le totalitarisme à la française étouffe la parole, mais la résistance s'organise.
Le peuple français vient d'essuyer, à quelques jours de distance, deux camouflets qui témoignent du mépris que lui portent les prétendues élites qui ont pour mission théorique de le servir et de le guider. En premier lieu, le vote dans des circonstances ubuesques de la loi dite Taubira, dénaturant le mariage civil et ouvrant l'adoption aux homosexuels. Pour imposer, par le biais de ce texte, un changement de civilisation contre lequel les Français manifestent massivement dans la rue, le gouvernement l'a fait voter à mains levées par le Sénat, avant d'en brusquer le retour devant l'Assemblée nationale. C'est ainsi que l'on conçoit, en France, l'exercice de la démocratie, fût-il exercé, sans le peuple et contre lui, par un président élu par défaut appuyé sur une majorité de hasard.
L'autre injure faite aux Français est venue d'un syndicat très politisé de magistrats qui trouvait plaisant, jusqu'à ce qu'un journaliste ne le révèle, d'épingler ceux qui ne trouvaient pas grâce à ses yeux au « mur des cons ». Parmi les « cons » figuraient les pères de deux jeunes filles sauvagement assassinées par des criminels récidivistes, que les juges membres de ce syndicat tiennent ordinairement pour les victimes de la société.
Ces deux camouflets, chacun à sa manière, ont montré à de nombreux Français la face sombre, mais bien réelle, du totalitarisme à la française, un totalitarisme d'édredon qui contraint lorsqu'il ne parvient plus à étouffer. Ils illustrent aussi tout ce que l'alibi démocratique dissimule de mépris des libertés et des consciences, à l'abri de la pensée unique à laquelle une classe politique, médiatique et intellectuelle uniforme prétend soumettre les intelligences.
Ce totalitarisme de l'édredon s'appuie sur un « politiquement correct » qui se décline en médiatiquement correct, en judiciairement correct, voire en « sociétalement » correct, qui menacent en tous ces domaines les libertés fondamentales et créent une fracture entre le peuple et les prétendues « élites » qui occupent les principales places de pouvoir en France, et qui pensent, parlent, enseignent, jugent, écrivent et votent à l'unisson. La fameuse distinction maurrassienne entre pays réel et pays légal retrouve ainsi une surprenante actualité, le « pays légal » ne se composant pas seulement de l'élite administrative et politique, mais englobant tous les cercles de pouvoir : presse, syndicats, magistrature...
C'est ce totalitarisme à la française, hypocrite mais beaucoup plus intransigeant et coercitif que l'ensemble de nos compatriotes ne l'imaginent, que nous avons voulu décrire dans ce dossier, pas seulement en dénonçant ses abus extraordinaires, mais en en décrivant au contraire les mécanismes ordinaires.
Au centre, se tient l’État : j'écris bien l’État, pas le gouvernement. En démocratie française, c'est la haute administration qui détient le véritable pouvoir, pour une raison simple : les ministres passent et les fonctionnaires restent. Ce sont eux qui connaissent les dossiers. Ce haut-fonctionnariat possède un moule qui est aussi une vitrine et un réseau, l’École nationale d'administration, dont l'actuel président de la République est un brillant représentant.
Pensée unique et conformisme culturel
C'est d'ailleurs une exception française que cette importance de l’État. Le totalitarisme dont il est question ici, en effet, est international et le politiquement correct ne sévit pas seulement en France : de nombreuses autres sociétés dites développées, aux États-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Hollande... ont aussi légalisé le « mariage pour tous », adopté et imposé l'idéologie du genre, que promeuvent d'ailleurs les grandes organisations internationales. À cet égard, le totalitarisme à la française n'est que illustration locale d'un totalitarisme à vocation planétaire.
Cette importance de l’État est un héritage de l'histoire nationale, une composante de notre identité : c'est l’État, incarné par la monarchie, qui a fait la France. Mais pendant des siècles, son pouvoir s'est trouvé limité par des contre-pouvoirs qui n'émanaient pas seulement des Parlements, ni des ordres privilégiés, mais d'une myriade de communautés vivantes, à l'échelle des provinces, des villes, des métiers, nanties de franchises et de privilèges... Jacobine et centralisatrice, la Révolution a consacré la victoire de l’État sur ces contre-pouvoirs en détruisant les communautés : ainsi de la loi Le Chapelier de 1791 interdisant les associations professionnelles. Et l'Empire a couronné l'Administration, à la faveur du rapport de force pour le moins déséquilibré entre l’État et l'individu.
Des communautés se sont recréées avec le temps - chassez le naturel, il revient au galop. Mais la méfiance de l'Administration à l'égard des communautés et des corps intermédiaires n'a pas désarmé et l'Etat n'a de cesse de les contrôler, si nécessaire en les achetant par le jeu des subventions - c'est ce qui ressort notamment du fameux rapport Perruchot sur le financement des syndicats.
Si l’État reste au cœur du système, il n'en est cependant pas le seul acteur et ce n'est pas son administration, si nombreuse et pesante soit-elle, qui y exerce sur les esprits la plus grande coercition. La pensée unique s'appuie sur le conformisme culturel, auquel il est à la fois risqué et douloureux de déroger : comme le dit Xavier Bébin, secrétaire général de l'Institut pour la Justice, il faut une carapace solide pour résister au courant dominant.
Voilà pourquoi l'ampleur et la persistance du mouvement de protestation contre la loi Taubira dénaturant le mariage est une excellente nouvelle. Pour la première fois depuis longtemps, un coup de ciseau est donné dans l'édredon. Cette entrée des Français en résistance, ce réveil des consciences utilise en outre Internet et les réseaux sociaux, instruments malaisément contrôlables par l’État et peu solubles dans la pensée unique. Il recommence à souffler une gentille brise de liberté.
Eric Letty monde & vie 21 mai 2013

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