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Romantisme et Révolution de Charles Maurras

Accaparé par les nécessités du combat politique et la rédaction de ses articles quotidiens, Maurras n’a pas pu écrire tous les livres dont il avait le projet. Heureusement - et ceux qui ont beaucoup fréquenté son oeuvre le savent bien -, il a souvent donné de précieuses indications à leur sujet dans les nombreux avant-propos ou préfaces qu’il a rédigés à l’occasion des fréquentes rééditions de certains de ses textes sous forme d’anthologies. C’est le cas en 1922 avec le volume Romantisme et Révolution qui unit L’Avenir de l’Intelligence à Trois Idées politiques et dont la préface est l’objet de notre article.
Il affirme dans ce long prologue son intention d’entreprendre un vaste « exposé d’histoire politique et littéraire » qui compléterait sa critique du romantisme encore éparpillée dans plusieurs textes comme les deux réédités dans le volume ou comme ses célèbres Amants de Venise, consacrés à George Sand et Musset. Le projet ne verra jamais le jour mais la préface de Romantisme et Révolution en constitue, comme nous allons le voir, une version synthétique déjà substantielle.
Maurras veut d’abord y disculper le classicisme de l’accusation d’avoir accouché de la Révolution : les auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles partagent la même écriture mais pas la même pensée, le même goût pour l’art des orateurs républicains de l’Antiquité mais éclairé par l’étude de l’Histoire chez les uns, aveugle et sans réserve chez les autres. L’Histoire nous l’apprend en effet : « ces antiques expériences du gouvernement populaire […] comportaient des conditions très spéciales, la servitude par exemple, et ces conditions favorables ne purent épargner au régime insensé des conséquences qui font figures de sanction. » C’est toute une interprétation de la Révolution comme conséquence logique du mouvement de l’humanisme et du classicisme - interprétation attribuée par Maurras à Taine mais que l’on retrouve au XXe siècle chez un Guénon par exemple - qui est ici récusée.
La réalité et l'idée
Au-delà d’un simple plaidoyer en faveur du classicisme, Maurras dénonce l’opposition des faits et de la raison dans laquelle se fourvoie une certaine contre-révolution anti-rationaliste et anti-intellectualiste. Il faut montrer au contraire que les idées révolutionnaires sont pernicieuses non parce qu’elles sont abstraites mais parce qu’elles sont fausses. « La réalité et l’idée n’ont rien d’opposé ni d’incompatible. Il y a des idées conformes au réel, ce sont les idées vraies ; il y a des réalités conformes aux plus nobles idées, ce sont les choses saintes et les personnes grandes. S’il y a une opposition qu’il vaille la peine d’instituer, c’est celle des idées vraies et des idées fausses, des réalités bonnes et des mauvaises. » Maurras nous invite donc à ne pas calomnier la raison et à attaquer l’idéologie révolutionnaire non seulement sur le terrain de l’Histoire mais aussi sur celui de la philosophie et des principes.
Il prend l’exemple de l’article II de La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Son énoncé n’est pas seulement contestable parce que, voulant fonder la cité sur des principes universels, elle en oublie que la politique s’occupe d’hommes concrets qui vivent dans une société réelle, mais surtout parce que, sur le plan même des idées pures, son raisonnement est faux. Relisons-le : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »
Maurras remarque que ce texte définit la société comme une simple “association” (proposition irrationnelle puisque la société préexiste à l'individu et à son éventuelle volonté de s’associer) et lui assigne pour but non le Bien commun (l'intérêt du tout étant nécessairement supérieur à celui des parties) mais la conservation de “droits”, en particulier du droit de propriété. Les rédacteurs de cet article auraient été bien inspirés de relire le livre I de La Politique d’Aristote dont Maurras reprendra, en se situant justement sur le terrain philosophique, la démonstration dans une autre préface, celle de Mes Idées politiques.
Bouleversement de la sensibilité
Le maître de l’Action française peut alors proposer sa propre généalogie des idées révolutionnaires. Il convient pour cela de prendre la mesure du bouleversement de la sensibilité initié par Rousseau qui introduit derrière le classicisme apparent de l’écriture, une révolution intellectuelle et morale qui fait du "Moi" le juge de tout et le critérium des valeurs, en opposition totale avec la pensée classique. « Les arts, les lettres, les sciences, la tradition, le passé, en un mot tout ce qui était fait, n’importaient plus, car la nature pure introduisait immédiatement au divin : elle seule pouvait parler au monde le langage infaillible de l’avenir. On donnait la parole, entre les hommes, à l’homme ignorant, entre les peuples, au peuple en retard. » Maurras opère donc un tri à l’intérieur de la littérature du XVIIIe siècle entre les éléments matériels, qui prolongent la langue et l’écriture du siècle précédent, et les éléments spirituels, en particulier l’exaltation de la conscience individuelle et l’opposition entre la nature et la civilisation, qui annoncent l’avènement du romantisme au siècle suivant. Que des romanciers et des poètes romantiques aient - dans un premier temps - été favorables à la Restauration ne doit pas masquer cette parenté profonde entre romantisme et révolution.
Crise individualiste
Maurras veut regarder la littérature comme un témoin particulièrement révélateur de la crise individualiste moderne par l’exaltation du style propre à chaque auteur et de son prétendu génie au détriment de l’écriture et de la pensée. « Soeur légitime de ce que les philologues appellent le langage individuel, une littérature individualiste tendait à supprimer tout autre lecteur que l’auteur : comment n’eût-elle pas attiré l’attention sur le système social qui oppose le citoyen à l’État et, au nom d’un État meurtrier de lui-même, provoque tour à tour aux fureurs de l’insurrection et aux torpeurs de l’indifférence civique ? » La solidarité de fond de la Révolution et du romantisme réside donc dans le drame d’une liberté absolue revendiquée par le créateur dans le domaine littéraire ou artistique et par le citoyen dans le domaine politique qui, au bout du compte, aboutit dans un cas à la ruine de l’oeuvre, dans l’autre à la ruine de la cité. Pour la littérature, Maurras rapporte ce jugement très pénétrant de Barrès sur les conséquences de ce primat de la liberté et de la spontanéité de l’écrivain : « Chose étrange, au XIXe siècle, il est plus aisé de citer des noms immortels que des oeuvres qui ne périront pas. »
Aux yeux de Maurras, qui développe ici un véritable Art poétique, ce n’est pas l’intensité de ce que ressent le créateur qui importe mais l’art avec lequel il va traduire ses émotions, comme l’indique l’étymologie du terme "poète" (du grec "faire") : « la structure de son nom donne son signe exact. Il est celui qui fait quelque chose avec ce qu’il sent. Les autres n’en font rien que le vulgaire usage pour vivre et pour mourir. » On peut dire que la poétique maurrassienne en se situant à égale distance du romantisme, qui subordonne l’art aux forces brutes du sentiment, et du Parnasse, qui prône l’art pour l’art, rejoint le classicisme éternel dont la formule consiste à équilibrer inspiration et technique. C’est ce dialogue permanent entre poétique et politique qui fait de la préface de Romantisme et Révolution, un texte exemplaire de l’oeuvre de Maurras.
L’Action Française 2000 du 17 au 30 novembre 2005

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