Autre témoignage surréaliste :
"En sortant de ma journée de travail j'ai décidé de rejoindre les quelques jeunes place Vendôme qui témoignaient leur soutien à Nicolas Bernard-Buss. Après avoir essuyé un premier refus de pénétrer sur la place Vendôme côté Opéra, je coutourne pour tenter de pénétrer côté Tuileries. Arrivé à l'angle rue de la Paix - rue saint Honoré, j'avance d'un pas décidé, franchis le cordon des gendarmes mobiles en leur agitant mon badge de travail qui me sert alors de sésame et m'offre l'accès à la place quasi déserte ...
Pendant toute la durée de la manifestation qui se déroulait aux abords de la place, j'étais donc derrière les rangs des gendarmes mobiles, bénéficiant d'un terrain d'observation assez exceptionnel ! De façon assez incroyable, je suis resté au milieu des forces de l'ordre pendant toute la soirée et j'ai pu ainsi assister à l'arrestation de 2 jeunes gens, qui ont été trainés sans ménagement à l'intérieur du "dispositif" et sans raison apparente. Il apparaît assez clairement que ces 2 jeunes ont été arrêtés pour le principe et sans fondement. Alors que l'un d'entre eux téléphonait, son téléphone lui a été arraché des mains par un des responsables de forces de l'ordre, probablement sous-préfet à en juger sa casquette aux feuilles de chêne. Ils ont ensuite été chargés dans le "panier à salade". Un bus escorté par deux motards pour deux jeunes gens pacifiques ...
Une fois les 2 jeunes embarqués, j'ai été témoin d'une scène ahurissante. Grâce à mon badge autour du cou et mon air assuré, les forces de l'ordre ne semblaient aucunement se soucier de ma présence. Je me suis rapproché du commissaire et des chefs de section et j'ai alors entendu le commissaire donner des instructions à un gendarme mobile pour témoigner à charge contre les jeunes interpellés ! Quelques minutes après, alors qu'il s'apprêtait à monter en voiture, je suis allé à sa rencontre et lui ai demandé s'il avait donné des consignes claires pour "charger" le cas des deux manifestants, tout en donnant l'impression qu'il aurait eu raison de le faire. Il commença à répondre puis s'interrompit, suspicieux, en me demandant mon identité. Je me suis alors présenté comme membre du service de sécurité du Ministère de la Justice ... ce qu'il avala sans trop de problème avant de rentrer dans sa voiture sans rien vérifier.
Peu avant 22h, voyant que la manifestation touchait à sa fin, je décidai de rentrer vers l'Opéra en traversant la place encore bouclée. Quelle ne fut pas ma surprise d'apercevoir au loin, devant le porche du ministère, Christiane Taubira en personne ! Je me dis que jamais pareille occasion ne se représenterait. Je traverse la place vers le ministère d'un pas décidé, passe devant 2 gendarmes mobiles en agitant une fois de plus mon badge sésame, me rapproche de Mme Taubira l'air de rien, comme si je me joignais au rapport qui était en train d'être fait à le Garde des Sceaux par un petit chef qui essayait de se faire mousser auprès du Ministre ... Il se scandalisait de l'attitude du député Jen-Frédéric Poisson venu saluer les manifestants, "acte honteux qui déshonorait la République" !
Je me suis alors immiscé dans leur discussion, l'air de rien, comme si j'étais membre de l'équipe de sécurité, faisant un commentaire sur le dispositif policier. Nous étions très peu nombreux, 5 ou 6. S'en est alors suivi une discussion à battons rompus, un véritable débat avec Mme Taubira sur le sujet de la loi. De façon totalement surréaliste, elle et moi avons discuté pendant près de 15min sur le mariage homosexuel. Nous avons échangé de nombreux arguments sous l'oeil un peu ahuri des 3 gendarmes et du service de sécurité du Ministre. Il serait trop long de narrer tous les détails de cet échange. Toutefois un élément me semble particulièrement intéressant. Après quelques minutes, Mme Taubira me demande d'un air exaspéré, mélé d'une pointe d'inquiétude : "Quand allez-vous donc vous arrêter ? Dans 10 ans, dans 20 ans, vous manifesterez encore ?" Cela témoigne du côté totalement désemparé de ce gourvernement, pris de court par un mouvement qui ne semble pas se fatiguer, bien au contraire.
Au milieu de notre conversation, une des personnes, manifestement membre de la sécurité de la Ministre, me demande "Mais qui êtes-vous Monsieur ?" ce à quoi je réponds "Je suis citoyen français et discute avec Madame la Garde des Sceaux, ce qui n'est pas encore considéré comme répréhensible sur le territoire national". Au fur et à mesure, la tension montait mais nos échanges restaient parfaitement courtois. En me précisant que sa journée de travail n'était pas terminée, elle m'a finalement invité à la quitter ce que j'ai fait après l'avoir remerciée de cet échange.
On me fit raccompagner par deux gendarmes mobiles. Au bout de quelques mètres, l'un d'eux me demande mon identité. Je lui demande alors pour quel motif ; il me répond qu'il n'a pas à se justifier, ce que je conteste. Il réplique qu'il peut très bien procéder à un relevé d'identité si il a un mandat du procureur ou si il est avec un commissaire de police. Je lui demande alors de me montrer le mandat du procureur ... Il me demande de le suivre et m'emmène vers une fourgonnette où il me fait patienter sous solide escorte. Il m'annonce qu'ils sont allés chercher un commissaire de police. Je leur fait part de mon étonnement devant le ridicule de la situation : discuter courtoisement avec Madame la Garde des Sceaux serait un motif de contrôle d'identité ?! Après une bonne dizaine de minutes, ils finissent par me relâcher et me raccompagnent à l'extrémité de la place Vendôme."