Dans son édition du 14 novembre 2009, Le Monde rapporte les propos du député français au Parlement européen, le socialiste Vincent Peillon : « L’identité nationale française ne se définit pas par rapport à l’étranger, l’immigration, la race ou le sol, elle se définit par rapport à l’école (1). » Si cela est avéré, gageons que l’identité française se trouve dans le même coma dépassé que le système scolaire hexagonal… Ce débat sur l’identité nationale est d’abord une manœuvre électorale du parti au pouvoir et de son chef qui, craignant de recevoir une raclée magistrale aux prochaines régionales, racolent les électorats conservateur, droitier et national. Il s’inscrit ensuite dans un sentiment général, quoique diffus, ainsi résumé : « Qu’est-ce qu’être Français au terme de la première décennie du XXIe siècle ? » La question mérite d’être posée. En revanche, les réponses ne doivent pas se focaliser sur les seules problématiques de l’immigration et de l’islam. Certes, l’identité nationale se doit de répondre au phénomène migratoire et au défi musulman. Il ne faut cependant pas oublier d’autres interrogations connexes telles que « L’identité nationale est-elle compatible avec la mondialisation libérale ? », « Peut-elle se mouler dans le processus européen en cours ? », « Ne nuit-elle pas à la renaissance des régions et aux mesures décentralisatrices ? », « Ne contrarie-t-elle pas la politique des genres, l’exercice des “ reconnaissances ”, les actions anti-discriminatoires et le caractère “ multiculturel ” des sociétés post-industrialisées ? ». On peut même se demander si l’identité nationale est encore possible après les grandes messes médiatiques du “ Grenelle de l’environnement ” et de la conférence de Copenhague… Si l’identité nationale française est en crise, c’est parce que l’unité politique de la France, l’État, doute maintenant de lui-même. Sans remonter à l’œuvre des Capétiens, disons que les violentes querelles qui stimulèrent et fortifièrent la République (affaire Dreyfus, séparation entre l’État et l’Église, cristallisation du clivage droite – gauche, anticommunisme et anti-fascisme parfois élargi à l’anti-gaullisme du R.P.F.) et la mission intégratrice de l’école, de la conscription, des élections régulières, des syndicats, de la colonisation, de la presse, de l’essor économique avec la promesse du plein emploi et de l’industrialisation comme projet de vie meilleure, modelèrent les mentalités et favorisèrent un homme français dont l’acmé coïncide avec la présidence de Georges Pompidou (1969 – 1974). Aujourd’hui, la suppression du service militaire obligatoire, la perte des colonies, le naufrage de l’enseignement, la désindustrialisation massive, le chômage élevé, les délocalisations incessantes, la crise du syndicalisme, de l’information, des partis politiques et de la représentation témoignent d’une indéniable mutation dont seule une certaine vision de l’identité nationale semble ne pas vouloir entériner, car elle repose sur le mythe de la République qui a tendance dans les discours à se substituer à la France. Héritière des Lumières dont nous entrevoyons les dernières lueurs, la République française n’est pas une res publica telle que la concevaient les Romains ou l’envisageait Machiavel. Cette République-là est une divinité vorace, un Moloch, qui n’accepte que des zélateurs et dont les limites idéales correspondent à celles du monde. « L’identité française se résume pour l’essentiel à l’idée républicaine, affirme Maurice Szafran (2). » C’est une idéologie totale qui sacralise le citoyen rationnel délié de toutes ses appartenances et de tous ses héritages, y compris et surtout spirituels, d’où une grande défiance envers toute forme de sacré, en particulier quand se rassemblent dans un même lieu, pas forcément privatif, les membres d’un même groupe afin de partager un vivre-ensemble commun (communier). Pour Maurice Szafran, « l’identité nationale républicaine, c’est la laïcité […], c’est la relégation du religieux dans la sphère familiale et privée […], c’est l’affirmation du principe égalitaire contre le principe héréditaire (3). » La République ne reconnaît par conséquent que des individus et leur addition hypothétique en l’Humanité. Elle se fiche du destin des patries incarnées et de leurs personnes. Son message se veut messianique; il se concentre sur le seul épanouissement de l’individu, épanouissement garanti par des droits de l’homme désormais érigés en dogme théocratique, qu’il lui sied, celui du matérialisme profane, sans dessein anagogique. Il en résulte le refus répété des autorités de reconnaître les cultures vernaculaires et d’accepter les manifestations religieuses hors de l’intimité. L’identité nationale française s’est construite contre les peuples et leur foi. Naguère, notre pays était la terre des hommes libres. La République qui valorise la Liberté broie ces libertés profuses. Mais le bagne qu’elle est n’arrive pas à étouffer les revendications venues des profondeurs de l’histoire. Désormais sur la défensive, la République et ses laudateurs montrent d’irréfutables signes de crispation pathologique. En témoignent les diverses tentatives de légiférer le port du voile musulman ou de restreindre les nouveaux mouvements religieux sous le prétexte que ce serait des « sectes » dont les membres n’apprendraient pas à leurs enfants qui est Zidane ! Les prises de position anti-musulmanes reposent bien trop souvent sur une haine de la religiosité et des légitimes différences. Ainsi, le Grand-Maître du Grand Orient de France, Jean-Michel Quillardet, dit qu’il est « pour l’interdiction de la burqa, pas au nom de l’identité nationale mais au nom de l’universalité (4) ». Il se désintéresse de la submersion démographique issue des flux migratoires qui accélèrent le remplacement des populations autochtones par de nouveaux habitants allogènes. Il veut poursuivre l’arasement des cultures et l’édification d’un Pandémonium planétaire qui serait une juxtaposition anarchique de collectivités d’égo soumises au Diktat du Marché et de l’hyper-consommation, bref, tout le contraire d’une authentique complexité communautaire spirituelle et ethno-culturelle agencée. Trop régulièrement, la lutte contre l’islam, le christianisme ou les « sectes » exprime, au-delà des justifications féministes, égalitaristes, nationistes ou droit-de-l’hommistes, un ressentiment, une haine, envers tout ce qui est spirituel. « La spiritualité, voilà l’ennemi ! », estime notre classe politique faillie. Or, s’il manque à l’identité nationale un esprit, car être Français, ce n’est pas que vivre en France ou bénéficier de ses largesses sociales, notre époque, par chance, n’en manque pas; il gît dans les solidarités sensibles, les communautés concrètes et les identités tangibles, dans ces structures de vivre-ensemble alternatives qui préparent l’avènement du pluralisme (ou polythéisme) des valeurs. Malgré les incantations de quelques élus qui veulent interdire les drapeaux étrangers lors des mariages (5) parce qu’« à l’heure de ce grand rendez-vous, il faut choisir : ou bien l’on décide de s’unir à l’être aimé lors d’un mariage, uniquement drapé aux couleurs de la République (et l’on épouse alors tous les principes [serait-ce donc un appel à la polygamie ?]), ou bien on l’y renonce, en toute liberté (sic !) (6) », le quidam ne croit plus en une uniformité inefficiente, paralysante et mortifère. Et les politicards n’y pourront rien ! L’ère de l’homogène et de l’unitaire s’achève et « empiriquement, l’hétérogénéité reprend force et vigueur. Réaffirmation de la différence, localismes divers, spécificités langagières et idéologiques, rassemblement autour d’une commune origine, réelle ou mythifiée. Voire exacerbation de convictions religieuses », relève Michel Maffesoli (7). L’État-nation éclate, se disloque, se fragmente, se désagrège : les polémiques autour de l’immigration et de la burqa n’en sont que les symptômes les plus visibles ! L’identité nationale est à refonder et donc à reformuler en prenant acte de l’individualisme exacerbé, du déracinement de masse accompli et de la menace mondialiste du métissage, ce métissage que vante Nicolas Sarközy dans Le Monde du 9 décembre 2009. Loin d’être la panacée espérée, le métissage se comprend comme l’effacement des différences au profit d’une morale républicaine à finalité universelle. Repenser l’identité nationale implique de se défaire de ce fétichisme politique qu’est l’État national souverain. « Il est dangereux, au nom d’une conception quelque peu vieillissante de l’unité nationale et d’une identité figée, de ne pas reconnaître la force du pluralisme, la conjonction d’identifications diverses, souligne Michel Maffesoli (8). » Il ajoute plus loin que les communautés (ou « tribus ») « soient sexuelles, musicales, religieuses, sportives, culturelles, importe peu, ce qui est certain, c’est qu’elles occupent l’espace public » (9). Que surgissent donc ces ensembles variés qui redonneront aux Français de racines européennes, parmi d’autres, l’appartenance à un peuple façonné par sa langue ! « Encore faut-il, naturellement, qu’il y ait un peuple, c’est-à-dire des communautés vivantes et enracinées, tout ce que l’État centraliste n’aime pas et a toujours combattu, note Dominique Venner (10). » Cela suppose de mettre l’identité française, identité linguistique (11) et historique, en résonance avec les identités régionales d’une part et avec l’identité européenne matricielle d’autre part. Cela implique en outre de redéfinir la vision de l’État et, « après tout, pourquoi ne pas envisager que la “ chose publique ” (res publica) s’organise à partir de l’ajustement, a posteriori, de ces tribus électives ? […] Le centre de l’union peut se vivre dans la reliance, a posteriori, de valeurs opposées, énonce Michel Maffesoli (12) ». Cette vision de l’organisation sociale s’appelle l’Empire ! Et, n’en déplaise à MM. Peillon, Szafran, Gallo, Besson et Sarközy, « il faut avoir l’audace intellectuelle de savoir penser la viridité d’un idéal communautaire en gestation » (13). Avec les « tribus » post-modernes, c’est à la fin de la modernité que nous assistons et à l’émergence d’une nouvelle sapience. La France se métamorphose et adopte des caractéristiques plus européennes, plus culturalistes, plus bigarrées et plus effervescentes. L’hiver stato-national s’en va tandis que nous parviennent les premières senteurs printanières. Alors, « dans la grisaille quotidienne, l’existence s’empourpre de couleurs nouvelles, traduisant ainsi la féconde multiplicité des enfants des dieux (14) ». Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com Notes 1 : À l’émission « Questions du mercredi », organisée par France Inter, Le Monde et Dailymotion, du 11 novembre 2009. 2 : in Marianne, 31 octobre – 6 novembre 2009. 3 : Idem. Dans Le Figaro du 30 octobre 2009, Max Gallo évoque « Les dix points cardinaux de l’identité française » : le droit du sol, l’égalité, l’État, la citoyenneté, l’école, la laïcité, l’éclatement (le risque permanent de), la langue française, l’égalité des femmes et l’universalisme. Hormis pour le huitième point et, avec des réserves, le quatrième, nous sommes en désaccord complet avec son propos. 4 : in Le Nouvel Observateur, 5 – 11 novembre 2009. 5 : Il est vrai que dans de nombreuses communes françaises, les samedis après-midi sont perturbés par l’entourage bruyant des nouveaux mariés qui n’hésite pas à brandir des drapeaux provenant rarement d’Europe centrale ou d’Océanie… En revanche, rares ont été les réactions, suite au pavoisement de voitures et d’immeubles aux couleurs algériennes dans l’Hexagone au moment de la qualification de ce pays à la Coupe du monde de football en Afrique du Sud. Ce déferlement inouï de couleurs verte et blanche est bien plus grave que la question du « foulard islamique ». 6 : Proposition de loi du député U.M.P. de l’Hérault, Élie Aboud, cité par Le Monde, 9 décembre 2009. Les arguments sont proprement totalitaires. La loi actuelle oblige déjà les futurs mariés à passer d’abord en mairie avant que leur union soit célébrée par un prêtre. Toujours ce carcan laïque sur les croyances… 7 : Michel Maffesoli, « Communautés ou communautarisme ? », in Le Figaro, 21 décembre 2009. 8 : Idem. 9 : Id. 10 : Dominique Venner, « Souveraineté et identité », in Le Figaro, 1er février 1999. On lira aussi l’entretien qu’il accorde à Jean-Paul Angelelli, « Europe, identité et souveraineté », in Rivarol, 19 février 1999. 11 : On ne peut qu’être surpris par l’absence dans ce débat du moindre questionnement autour de la langue française qui est moins menacée par la résurgence nécessaire des langues dites régionales que par le sabir anglophone d’aéroport, l’emploi toujours plus banalisé du franglais et l’appauvrissement lexical des locuteurs. Une véritable discussion devrait au préalable traiter de son rôle fondamental dans la construction de l’identité nationale. 12 : Michel Maffesoli, « Communautés ou communautarisme ? », art. cit. 13 : Idem. 14 : Id.